Le souffle : voici le maitre mot de ce nouveau numéro de la Revue Dessinée. En effet, comme le mentionne l’édito, « il faut du souffle pour dissiper l’opacité » de l’accident de Lubrizol en 2019. Il en faut aussi pour les journalistes qui enquêtent sur les phénomènes qui touchent des fermes situées à proximité d’installations comme des antennes relais ou des lignes à haute tension.
Ca grésille dans le troupeau
L’enquête commence en Loire Atlantique avec le cas de Didier Potiron, agriculteur, qui a vu mourir de façon anormale 350 de ses vaches en huit ans, soit un pourcentage bien supérieur à la normale. En 2012, il est favorable à l’installation d’éoliennes à côté de son installation, mais très rapidement plusieurs phénomènes l’inquiètent : les vaches deviennent moins productives et cela aboutit, pour lui, à la perte de contrats. Les ennuis ne font que commencer car il n’arrive pas à faire établir de lien de cause à effet. Pourtant, la corrélation semble évidente quand, à l’occasion d’un arrêt technique des éoliennes pendant quatre jours, le comportement et la productivité de ses animaux retrouvent la normale. Le reportage développe ensuite d’autres exemples à travers le pays. Un agriculteur a engagé des frais très importants pour faire déplacer l’installation incriminée. Très et trop souvent, les procédures sont longues et les agriculteurs s’épuisent face à des entreprises plus puissantes. Les auteurs pointent aussi le rôle pour le moins ambigu du GPSE, le Groupe Permanent pour la Sécurité Electrique. Le financement d’une telle structure pose pour le moins question car elle n’a pas de moyens propres. On remarque aussi que certaines entreprises nient à la fois le lien de cause à effet mais investissent pourtant des sommes importantes pour aider certains agriculteurs : cela ressemble fort à acheter le silence. Plusieurs personnes mises en cause par les résultats de cette enquête n’ont pas souhaité répondre aux questions de la Revue dessinée.
Les rubriques
« Instantané » offre un cliché saisissant pris à l’occasion d’une grève en 1972 en France. On voit toute la tension entre un manifestant et un CRS mais le cliché prend tout son sens lorsque l’on sait que les deux personnes se connaissaient, ayant été lycéens ensemble. « L’effet domino » montre les effets du confinement sur la biodiversité. On constate que s’il y a eu une amélioration durant la période, cette embellie fut de courte durée. « La sémantique, c’est élastique » vous aidera à y voir plus clair entre chiffre et nombre tout en insistant sur le fait qu’une langue est toujours en évolution. « La revue des cinés », quant à elle, décrypte les ressorts du succès du « Secret des poignards volants », le premier blockbuster chinois. « Inconsciences » raconte l’histoire des tests de grossesse et pointe le rôle fondamental, et pourtant trop longtemps oublié, de Margaret Crane. Graphiste de formation, elle se dit qu’il faudrait pouvoir pratiquer ces tests chez soi alors qu’à l’époque le juteux marché est aux mains d’entreprises qui analysent les résultats. Après avoir réussi à imposer son point de vue, le brevet est déposé… mais par son entreprise, ce qui fait qu’elle n’a tiré aucun bénéfice de son invention.
Notre société
« Gonflés à bloc » : ce reportage revient sur le coup d’éclat médiatique d’un groupe de soignants au moment du 14 juillet 2020. Ce jour là, le Président de la République a prévu de rendre hommage aux soignants mais eux veulent afficher une banderole au-dessus du défilé prévu. On s’aperçoit que leur mobilisation avait en réalité commencé bien avant la crise sanitaire. On suit les préparatifs de cette opération : recherche de l’appartement approprié, matériel à acheminer, pièges à déjouer pour ne pas se faire repérer.
Jérôme Polidor et Otto T s’intéressent au service civique. Ils en retracent précisément la genèse mais pointent aussi les dérives qu’il peut produire sous forme de travail à bas coût pour l’employeur. « Face B » éclaire la personnalité et l’oeuvre de Fela Kuti. Il maria le jazz, le funk et la musique africaine mais se révéla, dans le privé, un véritable tyran qui s’autorisait tout.
Lubrizol, écrans de fumée
Que sait-on exactement sur ce qui s’est passé à Lubrizol en septembre 2019 ? 9 000 tonnes de produits chimiques sont partis en fumée. Un premier rapport pointe la présence de produits dangereux ainsi que l’impréparation de l’industriel, un laxisme certain de l’Etat et des mises en garde restées lettres mortes. L’usine est pourtant classée Seveso seuil haut et les 200 pompiers présents sur place ont du lutter contre le feu pendant dix-sept heures. Le reportage montre comment les habitants se sont organisés ensuite pour essayer d’en savoir plus. En face, le patron de l’usine faisait pression pour réouvrir au plus vite le site. C’est une enquête un peu particulière pour leurs auteurs qui ont vécu la situation de près, habitant à trois kilomètres de l’usine.
Le canal de Suez au centre du monde
Le point de départ du reportage, c’est le blocage engendré par un porte conteneur en 2021. Sylvain Venayre et Benjamin Adès font dialoguer entre eux les personnages historiques qui ont joué un rôle dans l’édification et l’histoire de ce canal. On rencontre donc ainsi Napoléon, Churchill ou encore Nasser. Le procédé s’avère payant et on apprend beaucoup de choses sur cet axe central de la mondialisation. Une double page récapitule les évènements présentés.
Le désarmement nucléaire
Pierre Alonso et Fabien Roché racontent l’histoire du désarmement nucléaire. En effet, la fin de la guerre froide n’a pas signifié la fin du danger, bien au contraire. On assiste à un retour des tensions et à une tendance à la prolifération. Des pays se retirent de traités internationaux comme les Etats-Unis au temps de Donald Trump avec la sortie du traité du ciel ouvert. La Maison blanche affiche aujourd’hui trois objectifs : conclure de nouveaux accords de désarmement, réduire le rôle des armes nucléaires dans sa stratégie de sécurité nationale et engager un dialogue avec la Russie et la Chine sur les technologies militaires émergentes.
On retrouvera « La Revue dessinée » en décembre avec des reportages annoncés sur les ultra-catholiques, un sur la campagne électorale et le besoin d’amis fortunés.
Jean-Pierre Costille