A chaque fois, un sous-titre fournit l’angle d’approche choisi et en l’occurrence ici une réflexion sur l’état de la Russie cent ans après la Révolution russe. Le format de la collection offre d’un côté une carte de grande taille et de l’autre des informations sous forme d’articles. Chacun est le fruit d’un auteur différent.
De quelle Russie géographique parle-t-on ?
Sabine Dullin revient sur cette question problématique de savoir jusqu’où s’étend la Russie ? A travers l’histoire, elle insiste notamment sur le fait qu’il a toujours fallu conquérir et maitriser le territoire. On trouve de nombreux éclairages sur des portions du territoire russe avec notamment une contribution d’Aude Merlin sur le Caucase du Nord. Historiquement, cette zone a eu du mal à être conquise et dans l’histoire récente, on a bien l’impression d’une « marge volatile » comme en témoignent les conflits de Tchétchénie. « L’extrême-Orient, terre de conquête » représente également un enjeu majeur à travers le port de Vladivostok. C’est une zone particulièrement stratégique en lien avec l’Asie.
Une puissance en reconstruction
Dans « L’œil de l’expert », Jean Radvanyi, ancien directeur du Centre d’études franco-russe de Moscou et professeur de géographie à l’Inalco, revient sur l’histoire récente du pays et montre comment Vladimir Poutine symbolise une renaissance d’un pays très affaibli au début des années 90. Cécile Lefèvre, sociologue et démographe, choisit d’insister sur les enjeux car le pays a perdu cinq millions d’habitants depuis 1992. Cependant, depuis 2007, une nouvelle politique familiale est en place, mais les prévisions tablent tout de même sur une population qui devrait continuer à diminuer. Variant les échelles, Olga Vendina focalise ensuite le regard sur Moscou et montre les transformations de la cité communiste en ville monde. Kevin Limonier envisage un aspect essentiel de la puissance aujourd’hui en traitant des « origines de la cyberpuissance russe ». D’abord en retard, le pays a comblé son retard et développe une politique très active en ce domaine. Julien Vercueil parle d’une « économie soumise à des chocs » mais qu’il est parfois difficile à analyser. Le problème, en effet, est de faire la part du conjoncturel et du structurel, des facteurs internes et externes. Il est certain en tout cas que le pétrole joue un rôle fondamental. On peut prolonger le raisonnement en l’étendant aux matières premières en général.
Le poids de l’histoire
Le sous-titre du numéro invite à se donner de la profondeur historique pour envisager la Russie. On pourra évoquer l’influence de l’Eglise orthodoxe. Son image a totalement changé en trente ans, passant d’appui du pouvoir communiste, à élément de l’identité nationale. On peut noter l’introduction de cours sur les fondements des cultures religieuses et l’éthique laïque dans les programmes du secondaire en 2012 et, en 2015, l’introduction de la théologie comme discipline universitaire. Le poids de l’histoire, c’est aussi l’époque du stalinisme. Il est encore très présent comme sujet dans les librairies russes, mais aussi dans les imaginaires. Un mouvement se dessine depuis les années 2000. Il ne s’agit pas de réhabilitation, mais on relève néanmoins une érection de bustes plus ou moins officiels. Depuis 2001, il existe aussi un musée du Goulag et le 30 octobre est désigné comme « journée de commémoration des victimes des répressions politiques ». La question se pose aussi de savoir comment se souvenir ? On peut citer l’initiative « dernière adresse », à savoir des tablettes métalliques nominatives fixés sur la façade des bâtiments où les gens ont été arrêtés. N’oublions pas que la Grande terreur de 1937-38 causa environ 700 000 morts.
La carte grand format
Sur la face où la carte de la Russie se déploie, sont récapitulées d’abord quelques informations de base comme la superficie, les villes principales, la densité. Un encart propose la carte administrative de la fédération de Russie. Trois points essentiels sont cartographiés dans la légende : l’espace maritime de la Russie, les facteurs économiques et l’environnement géostratégique de la Russie. La légende montre également la population urbaine en 2010 et, pour un espace comme la Russie, la taille de la carte permet de mesurer par exemple les différences de peuplement entre l’Est et l’Ouest. On visualisera aussi plusieurs aspects développés dans les articles comme les tensions dans le Caucase ou encore la géographie des gazoducs et oléoducs.
Il s’agit donc d’un bon outil de travail avec de très clairs éclairages et, à l’heure du numérique, les Ateliers Henry Dougier proposent un petit pas de côté avec ce plaisir, retrouvé, de plier et déplier la carte et de visualiser confortablement les phénomènes saillants.
© Jean-Pierre Costille pour les Cionautes