Tidiane SanéEnseignant-chercheur, membre du Laboratoire de Géomatique et d’Environnement (LGE) du Département de Géographie , il a soutenu, en 2017, une thèse de géographie, sous la direction de Catherine Mering et Amadou Tahirou Diaw en cotutelle Sorbonne-Paris Cité -Université Chiekh Antafiop de Dakar en partenariat avec l’Université – Diderot Paris 7 : Vulnérabilité et adaptabilité des systèmes agraires à la variabilité climatique et aux changements sociaux en Basse-Casamance (Sud-Ouest du Sénégal). Il est l’un des auteurs de cet ouvrage, publié aussi en 2023 : Impact des mesures d’adaptation au changement climatique et du désenclavement sur la production agricole en Casamance, Mbaye Diop, Tidiane Sane, El Hadji Balla Dieye, Andrea Di Vicchia, Dakar, L’Harmattan Sénégal. est géographe et enseignant à l’Université Assane Seck de Ziguinchor, il étudie les terroirs rizicoles diola. À partir d’exemple précis, il décrit la diversité des systèmes, la dynamique des paysages et confronte cette réalité, héritière d’une riziculture ancestrale aux politiques publiques, souvent technicistes et à la question du changement climatique.
Partant de l’étude ancienne de Paul PélissierLes paysans du Sénégal : les civilisations agraires du Cayor à la Casamance, paru en 1966. On peut lire la recension de Pierre Gourou dans les Annales de Géographie, n°419, 1968. qui décrivait les techniques agraires avant la grande sécheresse des années 1970, l’auteur entend montrer les permanences, les mutations socio-environnementales, notamment liées au conflit armé survenu depuis 1982 et la recomposition de ces terroirs agricoles.
Fondements des systèmes agraires de la Basse-Casamance
La verte Casamance est depuis longtemps considérée comme un « grenier agricole ».
Cette première partie vise à décrire le peuplement et l’organisation spatiale autour de la riziculture.
Peuplement et organisation spatiale des établissements humains
Comme dans bien d’autres régions d’Afrique, le peuplement est marqué par une succession de vagues migratoires. Si les Diolas sont, sans doute, arrivés avant le XVIe siècle, la région connaît de profondes mutations à la fin du XIXe siècle : arrivée d’autres groupes africains, colonisation. L’étude de Tidiane Sané porte sur la seule Basse-Casamance
Les actuels départements de Ziguinchor, de Bignona et d’Oussouye, zone de mangroves et de bolongs de la côte Atlantique, de des paysages de plateaux boisés et de rizières de bas-fonds. L’auteur note un attachement profond des Diolas aux traditions malgré des différences dialectales, une longue résistance à la pénétration européenneVoir la thèse de Philippe Méguelle : Chefferie coloniale et égalitarisme diola – Les difficultés de la politique indigène de la France en Basse-Casamance (Sénégal), 1828-1923, Ed. L’Harmattan, collection Etudes Africaines, 2013 et le caractère récent de l’islamisation. Il détermine trois foyers de peuplement : les Diola de la rive sud du fleuve Casamance, la plus ancienne implantation et un statut égalitaire au sein des classes d’âge ou des catégories de genre, pratiquent une riziculture manuelle ; les Diola installés à l’ouest de la rive nord du fleuve Casamance ont adopté l’islam et pratique la culture de ; les Diola d’influence mandingue sont présents vers la frontière gambienne. S’il existe des différences linguistiques et à propos des régimes fonciers, ils ont le même système social sans autorité politique permettant une grande place à l’initiative individuelle, y compris pour les femmes. Cependant, aujourd’hui, toutes les composantes ethniques sénégalaises sont présentes en Casamance.
Depuis 1976, on constate une baisse de la population rurale qui se déclare musulmane à 74%, mais les croyances traditionnelles demeurent très vivantes dans la société diola..
Aménagements agricoles traditionnels, gestion foncière et mode de mise en valeur
Les paysans diola ont développé un aménagement des rizières de mangrove quand les autres cultures (arachide, mil, maïs, etc.) sont installées sur les plateaux. Les paysages de Basse-Casamance sont caractérisés par cette opposition bas-fonds/plateaux. L’auteur décrit en détail l’agrosystème traditionnel autour du riz qui organise la société et le régime foncier. Les villages sont, en général, situés à la limite des zones inondables et des plateaux. Le riz a une fonction sociale très importante pour l’alimentation, les rituels, il est signe de richesse, on le donne, mais on ne le vend pas. Sa culture détermine le calendrier des cérémonies. La sécheresse des années 70-80 ont entraîné un recul des variétés africaines de riz. L’auteur montre le rôle des femmes dans la conservation et le choix des variétés en fonction de l’implantation des rizières. Il décrit les modes de culture et les outils traditionnels comme le kajendu et les moyens de lutte contre l’intrusion de l’eau de mer.
L’accès à la terre est déterminé par le régime coutumier, la terre est inaliénable. Elle n’appartient pas à un individu, qui n’en est que l’usager. La forêt, autour des villages, est également un bien commun : le droit de hache est reconnu aux ancêtres du groupe qui est le premier à s’installer. La volonté politique de l’État sénégalais de réformer le droit de la terre, instituant le domaine national, vient bousculer ce système non sans réactions
La réforme agraire est l’une des causes du conflit casamançais.
Mutations environnementales dans les systèmes agraires de la Basse-Casamance
Évolution récente des conditions climatiques
L’analyse de l’évolution climatique porte sur un peu plus de soixante-dix années, de 1951 à 2022. L’étude est détaillée tant pour la circulation atmosphérique que la pluviométrie. L’auteur décrit un climat à deux saisons : une saison sèche de décembre et avril et une saison des pluies ou hivernage de mai à novembre. Deux courtes saisons intermédiaires marquent la vie agricole. La période fraîche, entre fin octobre et décembre, est celle des récoles. Entre mai et la mi-juin ; on prépare les champs et les rizières.
La période 1968-2022 est caractérisée par une pluviométrie plus faible que pour la période 1951-1967 et plus particulièrement en début et fin de saison humide. D’autre part, l’auteur constate une forte variabilité interannuelle. La sécheresse des années 70 et 80 a eu d’autant plus de conséquences que, dans le même temps, l’état s’est désengagée de laide à l’agriculture, entraînant une déprise agricole en Basse-Casamance. Depuis 2008, la pluviométrie est normale.
En matière de température, on constate une rupture au début des années 80 avec une augmentation des températures minimales, évolution constante jusqu’en 2022 qui correspond à une péjoration des conditions climatiques.
Analyses des ressources pédologiques et hydriques
Les écosystèmes de la Basse-Casamance sont à la fois fragiles et vulnérables. Les données géologiques et géomorphologiques du bassin de sédimentation sénégalo-mauritanien permettent une présentation détaillée des sols de la zone avec une forte présence de sols ferrugineux tropicaux lessivés. L’évolution des sols est marquée par une forte augmentation de la salinité des eaux des fleuves comme des bolonsUn bolon est un chenal d’eau salée, caractéristique des zones côtières du Sénégal ou de Gambie, proches d’ estuaires depuis l’épisode de sécheresse. L’auteur étudie particulièrement quelques sites (kafountine, Baïla, Thionck-Essyl, Coubanao…). La fertilité est affectée par la salinisation et une acidification des sols des bas-fonds. Il détermine l’aptitude des sols aux cultures de riz, d’arachide et de mil.
L’étude du réseau hydrographique montre une forte densité (carte p. 184) mais la ressource en eau est fragilisée par les remontées de sels liées à l’influence des marées assez loin à l’intérieur des terres. Les influences marines se manifestent, sur le cours principal du fleuve Casamance, jusqu’à Diana Malary situé à environ 152 km de l’embouchure. Les conséquences de la sécheresse des années 1970-1980 sont l’augmentation de la salinité des eaux de surface ce qui une salinisation des sols et une limitation des possibilités d’irrigation.
Dynamique des paysages de la Basse-Casamance
L’étude a été rendue possible par l’utilisation des images satellitaires. La comparaison entre occupation des sols en 1972 (carte p. 205), 1984 (carte p. 217) et 1999 montre un recul de la mangrove notamment sur la rive droite du fleuve Casamance et des surfaces forestières. La mangrove tient une grande place en Basse-Casamance : aménagements agricoles, approvisionnement en bois (énergie, œuvre, service), milieu de pêche et lieu de culte.
En 1972, les forêts (hors mangrove) occupaient 36,8 % du territoire. En 1999, l’auteur constate une diminution des surfaces forestières des Kalounayes et au nord-est du département de Bignona (carte p. 220). La diminution de la forêt sèche claire s’accompagne d’une augmentation des superficies des savanes boisées.
La situation en 2014 (carte p. 225) montre une aggravation du recul forestier (forêt dense -63,5%, fore claire -103,2% et galerie -14,6%) et des cultures de plateau, ce recul est lié à la crise arachidière et au conflit armé. La dégradation des massifs forestiers est surtout localisée dans le nord de la Basse-Casamance. Pour la mangrove, la mangrove dense régresse fortement alors que la mangrove moins dense progresse.
On peut parler de « savanisation » progressive de la Basse-Casamance.
Paysages agraires, dynamiques des terroirs rizicoles et politiques publiques agricoles
Dynamique des terroirs rizicoles et caractérisation des exploitations agricoles familiales
La Basse-Casamance est une région à vocation rizicole, une agriculture soumise à de multiples contraintes. L’étude approfondie porte sur dix sites situés de part et d’autre du fleuve Casamance.
Les terroirs rizicoles du « système agraire diola originel » sont principalement situés sur la frange littorale sud. L’auteur décrit les paysages et les activités agricoles. Il note la répartition genrée du travail : « Les labours des parcelles rizicoles sont effectués par les hommes à l’aide du kajendu, les femmes réalisent les travaux de repiquage, de sarclage et récolte le riz. »Citation p. 245
La zone de Cabrousse et Diémbéring connaît un fort développement touristique (Cap Skirring) ce qui a modifié la rapport à la terre, vente de terres agricoles, migration vers les emplois de service, litiges fonciers. Malgré les difficultés, la riziculture demeure vivante à Cabrousse et à Diémbéring, le riz étant indispensable pour la consommation et l’organisation de cérémonies religieuses.
Si les terroirs rizicoles des environs d’Oussouye sont fragilisés par la baisse de fertilité des rizières, les aléas climatiques et l’exode rural, ceux du Bandial connaissent un recul de la riziculture, en raison de la salinité des sols. Sur l’île de Niomoune, les rizières ont été gagnées sur la mangrove ; elles sont sensibles aux problèmes d’acidification des sols et de salinisation des eaux.
Thionck-Essyl est un terroir rizicole villageois du Buluf qui connaît, à la fois, la permanence des caractères originaux d’une civilisation de riz développée par le peuple diola et une intégration plus large au monde extérieur. La mangrove comme riziculture recule devant le développement des tannes, des sols acidifiés et asséchés. L’exode rural s’est accéléré au moment de la sécheresse, il touche fortement les jeunes.
Les terroirs rizicoles de la zone dite mixte : à Adéane, la population n’est plus principalement diola ce qui explique des techniques agraires différentes ; traction bovine et semis direct du riz. La mangrove a presque totalement disparu dans les années 1970 et 1980 et aujourd’hui la riziculture est en crise, remplacée par l’arboriculture de l’anacardier.
Le terroir rizicole villageois à la lisière de deux systèmes agraires, cette situation est décrite à Baïla. La mangrove recule, les rizières, aussi, du fait de la remontée des eaux marines.
Le terroir villageois des Kalounayes à influence manding : à Coubanao, l’influence manding se lit à la prédominance du semis direct du riz, aux cultures de plateau et à la traction bovine et à quelques motoculteurs. Les rizières sont séparées des lieux d’habitation par une bande de palmeraies. La riziculture était réservée aux femmes, c’est moins le cas aujourd’hui car le raccourcissement de la saison des pluies impose un travail plus rapide. L’auteur montre le rôle du mouvement coopératif et de la coopération italienne dans cette évolution. Il décrit la mise en place de systèmes pour freiner la salinisation.
Le terroir rizicole de Kafountine confirme les évolutions déjà évoquées : les importantes pertes de parcelles en rapport avec des phénomènes de salinisation et d’acidification des eaux et des sols, la forte mortalité de la mangrove.
Les exploitations agricoles sont, dans leur très grande majorité, des exploitations familiales dont les caractéristiques sont décrites en détail : situation matrimoniale, nombre de femmes, ethnie, niveau d’études des chefs d’exploitation – superficies exploitées et mode d’acquisition des champs – poids de l’exode rural. L’étude porte aussi sur les techniques agraires, les équipements, l’utilisation de la fumure.
La production est surtout vivrière, autrefois autosuffisante en riz. Elle est influencée par l’introduction de la culture arachidière et l’importation du riz asiatique. Avec la croissance démographique, la production du riz est aujourd’hui largement insuffisante.
Politiques publiques agricoles au Sénégal et implications en Basse-Casamance
Tidiane Sané commence par rappeler les différents programmes agricoles en faveur d’un développement rural durable et de la sécurité alimentaire. Après une politique dans la continuité de l’action coloniale, la Nouvelle Politique Agricole, initiée au début des années 1980, se caractérise par un certain désengagement de l’État et une plus grande responsabilisation des paysans. Elle vise à libéraliser les initiatives privées, laisser au marcher le soin de régulariser la production, elle limite l’intervention de l’État aux domaines de la recherche et de la vulgarisation.
Les organisations paysannes créent, en 1993, le Comité National de Concertation des Ruraux qui devient le Réseau des Organisations Paysannes et des Producteurs de l’Afrique de l’Ouest, plate-forme de représentation des producteurs au niveau régional et international.
À partir de 2000, le Sénégal s’oriente vers des politiques agricoles libérales qui favorisent le développement de l’agriculture d’entreprise qui pourrait remplacer l’agriculture paysanne et familiale. l’administration retrouve une place dans la production des semences, la distribution des intrants et l’organisation du commerce agricole.
Le Plan Sénégal Émergent vise l’augmentation de la productivité, le développement de productions à haute valeur ajoutée (cultures maraîchères ou fruitières, apiculture…) et le renforcement les synergies entre l’agriculture familiale et l’agro-business.
En Basse Casamance, ces politiques se manifestent par le développement de la culture de l’arachide, des opérations d’aménagements hydro-agricoles du génie rural qui s’opposent aux techniques traditionnelles paysannes. L’auteur analyse notamment les aménagements de la Mission Agricole Chinoise entre 1973 et 1979 et les grands projets de gestion des ressources en eau dans les années 1980 : le barrage de Guidel financé par la Banque Africaine de Développement et le barrage d’Affiniam, des résultats décevants avec des phénomènes d’acidification en amont et de sursalure en aval des vallées.
Dans les années 1990 et 2000, des projets de récupérations des rizières abandonnées voient le jour : construction de digues anti-sel et de rétention d’eau, pour accroître la production vivrière, améliorer la nutrition des populations et réduire le déficit céréalier.
L’auteur analyse les conséquences de la rébellion casamançaise sur la relance du développement rural et les actions de l’ANRACAgence Nationale pour la Relance des Activités économiques et sociales en Casamance et du PROCASUn programme financé par la coopération allemande.
Le Programme d’Appui au Développement Rural de la Casamance (PADERCA) a été mis en place au milieu des années 2000 ; il est financé par la Banque Africaine de Développement. Pour l’auteur, il est trop tôt pour une véritable évaluation de leur efficacité, même s’il note une relance des activités économiques et une amélioration des conditions de vie des populations.
La recherche, la formation et les services techniques agricoles et ruraux font l’objet d’une description nuancée suivant les périodes.
En conclusion, le contexte sociopolitique, marqué par le conflit armé en Casamance qui dure depuis le début des années 80, a eu des répercussions négatives sur le développement agricole de la région ; le pari de la sécurité alimentaire demande des politiques soutenues dans leur mise en œuvre. Le dynamisme des organisations professionnelles paysannes suscitent de l’espoir.
Tidiane Sané propose, dans ce travail de grande qualité, une approche géographique globale et multiscalaire de la « civilisation agraire diola ». Il peut fournir des exemples précis pour une étude de cas.