Jean-Pierre Astolfi a été professeur de sciences de l’éducation et a mené de nombreux travaux dans le cadre de l’INRP. L’auteur est décédé en 2009 ; cet ouvrage est la quatrième édition de celui paru initialement en 2008. Il propose une approche stimulante pour l’enseignant et aborde notamment de front une question comme l’équilibre entre le disciplinaire et le pédagogique dans l’acte d’enseigner. Trop souvent opposés l’un à l’autre, Jean-Pierre Astolfi offre une vision loin de tout sectarisme. Ce livre se distingue par sa clarté car, au sein de chaque chapitre, on trouve des petits résumés ainsi qu’une rubrique « points clés » qui permet de vérifier qu’on a cerné l’essentiel du propos.
L’ouvrage comprend neuf chapitres et deux temps bien distincts. Les quatre premiers chapitres s’attachent à montrer l’importance d’une école centrée sur la « saveur des savoirs » et les cinq suivants reprennent cette idée en l’appliquant à différents contextes.
La saveur des savoirs
Jean-Pierre Astolfi se livre tout d’abord à un plaidoyer en faveur des savoirs en soulignant qu’aujourd’hui ce sont pourtant davantage les termes de compétences ou d’interdisciplinarité qui ont le vent en poupe. Il précise de suite qu’il ne s’agit pas non plus pour lui de plaider pour un retour vers un passé mythifié. Il souligne l’intérêt d’une approche par disciplines et pour cela il montre le côté « extra-ordinaire « qu’une discipline a à nous apporter pour comprendre tel ou tel problème. La théorie n’est donc pas un gros mot mais un moyen d’accéder à la connaissance et à la compréhension. Chaque discipline développe des méthodes qui permettent d’aller contre certaines facilités ou évidences de raisonnement. Le risque pour le professeur c’est que, maitrisant bien les savoirs, il a alors l’impression que cela doit être évident pour les élèves. L’auteur revient alors sur la transposition didactique et sur ses difficultés.
D’abord déconstruire
Ce deuxième chapitre est fondamental car Jean-Pierre Astolfi entreprend de revisiter des termes du monde de l’éducation sur lesquels soit on ne s’interroge plus, soit on confond ou caricature. Il invite par exemple à arrêter de confondre « apprendre » et « enseigner ». Il faut également se méfier de l’expression d’activité des élèves parfois brandie à tout bout de champ. De même, réduire un cours à un oral à trous n’est pas plus satisfaisant. Le passage sans doute le plus essentiel concerne l’expression « élève en difficulté » ou encore l’hétérogénéité pour laquelle l’auteur nous incite à la voir comme une chance et non comme un handicap. Jean-Pierre Astolfi réaffirme une idée forte : « ce qui manque le plus aux élèves n’est donc pas tant l’ouverture interdisciplinaire qu’une disciplinarisation préalable de leur esprit ».
L’appel des savoirs
Dans la troisième partie, l’auteur revient sur les apports de la notion de constructivisme. « Il correspond à l’état des débats entre épistémologues psychologues et didacticiens ». Il invite donc à penser les problèmes de l’éducation sans rediscuter sans cesse de certains éléments qui devraient faire l’objet, selon lui, d’un consensus. Il enchaine sur ce qu’il appelle « les nouveaux regards » et envisage par exemple l’idée de « champ conceptuel ». Cette expression désigne « un espace de problèmes assez large mais qui appartiennent à la même famille ». Cela est particulièrement valable en mathématiques et en français mais ce qui pose souvent problème est la transition pour aller vers des exercices plus difficiles et d’une autre nature. L’auteur aborde l’idée des « objectifs-obstacles » car, comme il le démontre, construire c’est déconstruire et reconstruire. Il revient aussi sur problèmes et problématisation.
Nés pour apprendre
Jean-Pierre Astolfi utilise le terme de néoténique pour qualifier l’homme, c’est-à-dire qu’il peut conserver sa vie « durant des caractères juvéniles ». Il revient ensuite sur la plasticité cérébrale. Il invite aussi à repenser l’articulation entre écrit et oral. L’auteur traite également de l’expertise spécifique du documentaliste, des problèmes qui se posent à lui en montrant qu’ils sont ceux qui se posent à toutes les disciplines. Il propose ensuite trois contrats pour l’école : un contrat pédagogique, un contrat social et un contrat didactique. Dans le premier cas, il s’agit notamment d’expliciter les attentes, dans le deuxième de maintenir un niveau d’exigence et, dans le dernier, d’entrainer les élèves dans les activités. Le dernier chapitre traite le cas spécifique de l’illetrisme à la lumière des idées qu’il a développées tout au long du livre.
C’est donc un ouvrage incisif, mais surtout sans sectarisme, qui pose beaucoup de questions sur ce qu’est l’enseignement ou l’apprentissage. Il exalte le savoir disciplinaire mais sans passéisme aucun. Une belle réflexion qui donne à penser.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes