Michel Biard, professeur d’histoire, spécialiste de la Révolution et Claire Maingon, maîtresse de conférence en histoire de l’art, tous deux à l’Université de Rouen-Normandie se sont associés pour une histoire comparée, un parallèle des souffrances de guerre à deux périodes : la Révolution et la Première guerre mondiale. Comment et pourquoi glorifier le courage du soldat-citoyen au nom de la défense de la patrie ?

La fabrique du héros

A partir d’avril 1792 se met progressivement en place la figure du héros citoyen mort pour la République, le mythe du soldat de l’An II, étudié à partir des brochures publiées à la gloire des soldats morts ou blessés. Cette figure est complétée par celle des grognards et largement diffusée au XIXe siècle notamment à l’école. Elle s’exprime aussi dans la préparation militaire après la défaite de 1870 et explique les conditions de la mobilisation en 1914. « L’héroïsme simple » s’exprime dans les lettres de poilus, l’exaltation du sacrifice est détaillé dans le Guide du poilu.

La légende des champs de bataille

Le «  citoyen-soldat défendant la patrie » né en 1793 demeure en 1914. L’idée d’honorer les héros par une trace : inscription au Panthéon (1793), Recueil des actions héroïques (1793) se retrouve dans les monuments aux morts de 14-18. L’idée que le soldat préfère la mort à la reddition est maintes fois répétée à la suite de « La Garde meurt mais ne se rend pas » selon le mot prêté au Général Cambronne à Waterloo, une défense de la République et la haine des rois conjuguées. Les auteurs évoquent aussi les enfants-héros du tambour Barra à Jean Corentin engagé à 15 ans en cachant son âge durant le premier conflit mondial.

Propagande et désillusion

Le chapitre aborde la soin aux blessés avec le création en 1813 des premiers groupes de brancardiers. C’est dans les lettres de soldats que l’ampleur des douleurs transparaît face à la propagande des gestes héroïques de soldats blessés qui continent à combattre.

Exhibitions et revendications

Où il est question de la « réception » après le conflit des blessés qui portent les traces, les cicatrices et revendiquent plus que de la compassion. Des citoyens soldats qui vont exhiber leurs plaies devant l’Assemblée nationale en 1792 aux associations d’anciens combattants, les auteurs détaillent des exemples pour les deux périodes.

Fêtes révolutionnaires et patriotiques

Pour la période révolutionnaire c’est le peintre David qui est chargé des cérémonies et autres mises en scène des « signes du martyre » entre autres pour l’assassinat de Marat et la panthéonisation de Le Pelletier.
Pour la Grande Guerre le sentiment patriotique s’exprime en référence à la Révolution par l’entrée au Panthéon en 1915 des cendres de Rouget de l’Isle. Mais comment en 1919 chanter la victoire dans un pays en deuil ? Le défilé du 14 Juillet accueille, à la demande de Clémenceau, 1000 mutilés, souvent présents lors de l’inauguration des monuments aux morts. L’hommage se confirme en 1920 avec la dépouille du soldat inconnu sous l’Arc de triomphe. Il est à noter que pour les anciens combattants les cérémonies du 11 novembre ne devaient pas être militaires, la flamme du souvenir devant être un symbole de paix.

L’impossible image

Les auteurs analysent le traitement fait par les artistes entre idéalisation et réalisme pour l’époque révolutionnaire, censure et photographie pour le XXe siècle même si la peinture notamment allemande se saisit du sujet des mutilés : Otto Dix.

Une dette nationale

Comment ont été pris en charge les blessés, les veuves et les orphelins de ces conflits ? A l’époque révolutionnaire on étend les mesures royales d’aide aux pauvres avec les « Hospices de la Patrie » et des secours mais la reconnaissance n’est guère facile. Le sujet est réactualisé pendant la Grande Guerre avec le combat de René Cassin, un des fondateurs de l’Union fédérale des anciens combattants et la Charte des pensions votée en 1919.

« Nous sommes des possédés »

Les auteurs montrent la place du « vieil invalide » dans la littérature (le Colonel Chabert, Le soldat Dubois), ils présentent Rose et Aurèle, la pièce de théâtre de Picard, et quelques autres œuvres. On retrouve à toutes les périodes des thèmes identiques chez de nombreux auteurs : Erich Maria Remarque, Blaise Cendrars ou plus récemment Marc Dugain avec La chambre des officiers qui traite les Gueules cassées.

Réparer les corps

Il est ici question de l’histoire des prothèses, des progrès de la chirurgie, de rééducation et même de réinsertion après 14-18.

Conclusion

L’existence du mythe glorieux, une forme de romantisme militaire ne saurait cacher les souffrances endurées jusque bien après les combats. Je laisserai le dernier mot aux auteurs (p. 178) : « La réalité de la guerre se situe finalement entre ces deux limites : gloire et traumatisme. ».