Cette biographie d’Hitler est la première d’une nouvelle collection lancée par les PUF, intitulée « Biographies ». Elle a suscité de nombreux commentaires et de nombreuses polémiques dans la presse, dans le monde universitaire et chez les lecteurs, voire chez ceux qui  ne l’ont pas lue. Face à cela, les deux auteurs ont répondu et leur communiqué est facilement trouvable sur l’Internet. L’ensemble de ces polémiques, souvent stériles et ressemblant plus à des querelles de chapelles et d’égo d’universitaires, ne seront pas traitées dans ce compte-rendu.

Ce livre est écrit par deux illustres chercheurs et spécialistes du l’univers nazi. Johann Chapoutot est professeur d’histoire contemporaine à La Sorbonne, spécialiste de l’Allemagne contemporaine. Parmi ses ouvrages, qui font aujourd’hui référence, nous pouvons citer et conseiller plus que vivement Comprendre le nazisme, Le nazisme et l’Antiquité, La Révolution culturelle nazie ou encore Le meurtre de Weimar. Johann Chapoutot s’est fait remarquer pour sa maîtrise de l’allemand, son énorme travail de recherche et de décryptage des sources en allemand et par sa capacité à faire entrer le lecteur dans cet univers tant complexe qu’est l’idéologie nazie. Christian Ingrao est directeur de recherche à l’Institut du temps présent, au sein du CNRS. Il est l’auteur de nombreux ouvrages autour du nazisme, comme La promesse de l’Est. Espérance nazie et génocide (1919-1943) ou Croire et détruire. Les intellectuels dans la machine de guerre nazie.

L’ouvrage se veut clairement accessible au plus grand nombre. Le style est très clair, le découpage est chronologique, donnant une cohérence d’ensemble très agréable. Le point de départ des auteurs est une phrase du jeune Adolphe Hitler, à la sortie de la 1ère Guerre mondiale: « Il n’y aura plus jamais de novembre 1918 dans l’histoire allemande ». Le traumatisme de la guerre, les conséquences du traité de Versailles, l’Allemagne sont au coeur de cet ouvrage. Ils sont vus à travers le destin de cet homme, au parcours hors du commun et à la destinée inattendue. 10 chapitres composent ce livre et permettent de suivre une vie aussi chaotique que dramatique.

Les auteurs démarrent par l’enfance en Autriche puis relatent une vie d’errance et de bohème, en insistant sur le vécu de la Grande Guerre. On y trouve le cheminement intellectuel d’un Hitler qui n’est qu’un soldat parmi les autres, un peintre sans talent, un enfant touché par la mort de sa mère. Rien de bien particulier, rien qui le distingue, rien qui ne peut expliquer encore une ascension aussi fulgurante que dévastatrice. Cette montée en puissance et cette arrivée au pouvoir est l’objet des chapitres 4 à 6. Les auteurs décrivent les rencontres, les influences intellectuelles, mais aussi la prise de pouvoir d’Hitler au sein du parti nazi, les échecs, les doutes et finalement ce basculement inattendu qui propulse le parti nazi au pouvoir en Allemagne. Le chapitre 7 fait office de transition jusqu’à la Seconde Guerre mondiale. Les auteurs décrivent l’exercice du pouvoir, les hésitations, la manière d’amadouer les puissances étrangères mais aussi la violence exacerbée à l’intérieur la société allemande par la présence des SS. Il permet aussi de comprendre le projet nazi et comment celui va trouver son aboutissement si funeste pendant le deuxième conflit mondial. Enfin les chapitres 8 à 10 évoquent les tragédies de la Seconde Guerre mondiale.

Que penser d’un tel ouvrage en-dehors des polémiques évoquées plus haut? Il en ressort un bilan mitigé. L’œuvre est clairement annoncée comme une biographie d’Hitler. Les 6 premiers chapitres le sont clairement et s’il est possible de regretter un manque de détails sur la famille d’Hitler ou sur ses relations intimes, ces chapitres évoquent très bien son cheminement intellectuel, sa montée progressive en puissance, ses multiples influences, ses combats. On découvre en même qu’Hitler ses capacités, son charisme, ses capacités oratoires, ses stratégies d’élimination de ses adversaires (même en interne), ce qui permet de mieux comprendre comment il a pu fasciner autant et attirer vers lui autant de voix, mais aussi ce qu’il a mis en place une fois au sommet de l’État.

Par contre, il paraît regrettable de le voir autant disparaître sur les quatre derniers chapitres. Il y a clairement une rupture, que l’on pourrait qualifier de disparition. La vie intime dans les bunkers (quid d’Eva Braun, des relations avec les gens présents dans ces lieux), la montée de ses maladies physique et mentale, sa position de donneur d’ordres sont quasiment absentes. Ces chapitres, pertinents, très bien documentés, accessibles, ressemblent plus à une histoire de l’Allemagne nazie qu’au récit de la vie de son leader. C’est un écueil fort dommageable. Beaucoup d’éléments sont présents dans les ouvrages précédents des deux auteurs et ne sont pas forcément les attendus d’un tel livre. Hitler est absent de cette fin d’ouvrage, ses apparitions clairsemées semblent en faire un acteur secondaire des événements, ce qui n’était évidemment pas le cas. Le parti pris étonne et peut justifier un ensemble de remarques négatives qui ont été faites sur ce livre. Cela donne au final une certaine déception. Si la taille du livre, la pagination et le format choisis par l’éditeur ne permettent clairement pas l’exhaustivité, cela ne peut justifier cette absence et cette transformation du livre.