Dans la foulée de la parution des cinq premiers ouvrages de la collection MAPPE, édités par les Ateliers Henry Dougier et dirigés par Guillaume Fourmont (Revue Carto), le sixième livre pliable s’intéresse à la Turquie.
Les précédents compte-rendus des Clionautes dans la même collection :
– L’Amazonie
– L’Arctique
– L’Himalaya
– La Chine
– Berlin
La Turquie : une république sous tension(s)
Ce nouveau numéro est l’objet d’une innovation bienvenue : la carte est désormais accompagnée d’un rabat en carton permettant une lecture et un rangement plus aisé.
Interviewé par David Amsellem, Hamit Bozarslan (directeur d’études à l’EHESS) fait tout d’abord une mise au point sur la politique actuelle. La société est polarisée et semble en crise. La principale cause mise en avant est celle de l’évolution du discours du parti au pouvoir, l’AKP. En effet, à la suite d’un processus de déradicalisation dans les années 1990 et à la crise économique de 2001, l’AKP (Parti de la justice et du développement) parvient à rallier les voies des classes moyennes sunnites, les populations défavorisées et une partie de la bourgeoisie. Sur fond de nostalgie impériale, une étape est franchie avec la nomination d’Ahmet Davutoglu au ministère des Affaires étrangères en 2009. Associé au « culte de puissance » de Recep Tayyip Erdogan, les oppositions sont graduellement marginalisées puisqu’elles remettent en cause le soutien à la patrie. L’entretien se conclut sur les Kurdes, la reconnaissance tronquée du génocide arménien et la place de la Turquie dans les relations internationales. Hamit Bozarslan qualifie la forme du régime actuel d’autoritaire, puisque « le président Erdogan ne se considère plus tenu par la Constitution ou les institutions » (p. 3).
De l’Empire à la République
Un article lumineux de François Georgeon aborde en quelques paragraphes la construction progressive de l’État depuis le Nord de la Mongolie au VIIIème siècle jusqu’à la fixation des frontières actuelles (1923-1938). Convertis à l’islam à la fin du XIème siècle, les Turcs étendent leur domination par la guerre et les mariages. C’est le fondateur, Osman Ier (1258-1326) qui donne son nom à l’émirat turc à l’origine de l’Empire Ottoman. A la fin du XVIème siècle, l’Empire s’étend de « la Hongrie jusqu’au Yémen et du Caucase jusqu’au Maroc » (p. 5). L’un des paragraphes éclaire de manière particulièrement didactique le lien entre la Première Guerre mondiale et la genèse du génocide arménien. « Sentant la fin de l’empire, les Jeunes Turcs envisagent la construction d’un État-nation sans les populations non turques, en particulier les Arméniens dont le nationalisme se heurte à leur projet d’État en Anatolie ». 60% de la population arménienne d’Anatolie est exterminée.
La langue turque : une lange d’unité ou de domination ?
Stéphane de Tapia aborde la question de la langue, dont on apprend qu’elle n’est qu’une variété du turc (au même titre que la langue ouzbèke). Elle est attestée dès le VIIIème siècle, en Mongolie, grâce aux archéologues qui ont analysé les stèles de la vallée de l’Orkhon. Le monde turcophone se sépare à la suite de la Première Guerre mondiale (Turquie kémaliste, URSS, Turkestan et Xinjiang). Le régime kémaliste se démarque en changeant d’alphabet : de l’arabe au latin alors que l’URSS passe de l’arabe à l’écriture cyrillique.
Un pays émergent
Jean-Françoise Pérouse analyse la place d’Istanbul, ville-symbole de cette économie émergente. La croissance démographique de la métropole est faible (moins de 2%). De grands projets sont mis en oeuvre, ce qui a pour conséquence d’accélérer l’étalement urbain : villes nouvelles, grands équipements et infrastructures de transport. La désindustrialisation du centre et de la première couronne a pour principale conséquence de reléguer les espaces de production vers les périphéries de plus en plus lointaines. Les derniers éclairages sur les enjeux actuels en Turquie portent sur le rôle de l’islam dans la politique de l’AKP (Gérard Groc), les relations internationales (Didier Billion), l’armée (Jean Marcou), les contestations sociales (Elise Massicard) et la ville-carrefour de Cizre (Allan Kaval). Ce dernier article présente clairement l’évolution des enjeux sur la domination de la ville proche des frontières syrienne et irakienne, entre les Kurdes turcs, les Kurdes syriens/irakiens et l’AKP. La ville est l’objet de nombreuses luttes de pouvoir sur les territoires.
Enfin, une carte grand format à l’échelle nationale accompagné d’un focus sur la métropole stambouliote, réalisée par Blanche Baron clôt ce livre-pliable.
Antoine BARONNET @ Les Clionautes.