Depuis le XVIIIe siècle, Pompéi est au cœur de la culture européenne. En conséquence, les représentations et les clichés ont parfois pris le pas sur la connaissance historique, et le livre de Mary Beard, professeur d’histoire antique à Cambridge, par ailleurs auteure d’un blog dont on ne peut que recommander la lecture (http://timesonline.typepad.com/dons_life/), vient à point pour remettre en perspective plusieurs siècles d’archéologie.
Pompéi, cette méconnue
Car c’est bien ce qui frappe à la lecture de l’ouvrage : il est nécessaire de se défaire de nombreux présupposés et de ce qu’on croit savoir. Des générations d’archéologues ont projeté sur les vestiges leurs fantasmes, leurs opinions, et l’auteure commence par les remettre en cause.
L’idée d’une ville romaine en pleine activité que l’éruption du Vésuve en 79 aurait conservée intacte, est à écarter : un premier grave tremblement de terre en 62 avait en effet détruit de nombreux bâtiments dont certains au moins étaient toujours en ruines dix-sept ans plus tard. Le système d’adduction d’eau était également pour partie en réparation lors de l’éruption. De plus, les mois précédents la catastrophe furent sans doute caractérisés par une activité sismique intense, dont témoignent de nombreuses fissures dans les murs, qui dut inciter de très nombreux habitants à quitter la ville. Ainsi s’expliquerait le nombre finalement assez réduit de corps retrouvé (1100) pour un total d’habitant dont l’estimation varie de 6400 à 30000. L’absence relative de meubles serait également la conséquence d’un exode préalable, mais aussi des fouilles (ou pillages) ultérieurs, bien attestés.
Même la date est objet de controverse : Pline le Jeune la situe le 24 août 79, du moins dans les versions de son texte qui nous sont parvenues (mais les erreurs de copie de chiffres sur les manuscrits sont fréquentes au Moyen Âge), cependant les habitants étaient vêtus trop chaudement pour l’été, avaient de nombreux fruits d’automne chez eux, et surtout une pièce de monnaie frappée au plus tôt en septembre 79 a été trouvée dans un contexte qui exclut l’hypothèse d’une perte par les pillards.
Une longue histoire
En 79, Pompéi avait derrière elle une très longue histoire, et les recherches récentes se sont attachées à la préciser. Les plus anciens vestiges remontent au VIe siècle avant notre ère et révèlent une agglomération déjà développée, dont nous ne savons pas si elle fut fondée par les Osques locaux, les Grecs ou les Étrusques. Elle fut en tout cas conquises par les Samnites, originaires d’Italie centrale, à la fin du Ve siècle. Ces derniers affrontèrent ensuite les Romains, auxquels ils infligèrent à quelques kilomètres la retentissante défaite des fourches Caudines en 321 av. J.-C., avant d’être progressivement vaincus : Pompéi devint au IIIe siècle une alliée de Rome, qui lui laissa toutefois une très large autonomie. L’intégration dans les réseaux commerciaux romains permit à la ville de prospérer à partir de la fin du IIIe siècle, mais c’est précisément pour obtenir le statut de citoyen romain que les Pompéiens se joignirent aux autres habitants de la région pour mener la guerre sociale en 91 av. J.-C. La ville fut assiégée par les troupes de Sylla, et les trous fait par les projectiles sont encore visibles, de même que des inscriptions en osque, sans doute des indications pour les assiégés.
Par la suite, Pompéi fut romanisée et devint un centre de production de garum, cette sauce de poisson dont on ne parvient pas à reconstituer le goût, de vin, et un lieu de villégiature, comme toute la région, pour les Romains fortunés.
La vie à Pompéi : un confort réservé à une minorité
Si Pompéi évoque pour nous avant tout les somptueuses villae, l’immense majorité des habitants vivaient dans des conditions bien plus précaires. Du reste, les plus riches n’étaient pas à l’écart puisque souvent, leurs demeures comprenaient sur l’extérieur des boutiques qui étaient louées. Tous devaient utiliser les rues sans doute crasseuses – tant à cause du crottin que des divers détritus qu’on y jetait. C’est l’une des raisons pour lesquelles les trottoirs étaient surélevés, l’autre étant le risque de pluies très fortes.
Ces rues étaient un lieu de vie et d’activités pour de très nombreux habitants, ceux qui n’avaient pas l’eau courante ni de quoi cuisiner correctement chez eux, sans parler du fameux triclinium, encore plus rare. Ils devaient donc utiliser les très nombreux bars et fast-foods : comme le remarque l’auteure, nous sommes à l’opposé des conventions sociales actuelles, puisque ce sont les pauvres qui vont manger dehors, et les riches qui restent chez eux.
Impossible enfin de ne pas évoquer la question du sexe et de sa place à Pompéi : de très nombreuses représentations phalliques ont été découvertes, dont le sens – grivoiserie ou mystique – nous échappe souvent. Mais les plus obsédés ne sont pas forcément ceux que l’on croit : les chercheurs ont en effet une tendance certaine à voir des bordels un peu partout, alors que le nombre de cas bien attestés demeure limité. Ainsi, certaines pièces uniques avec un lit et une représentation phallique peuvent aussi bien être les habitations d’individus très pauvres et non des cabines de prostituées.
Une activité économique intense
La richesse de Pompéi est très liée à la terre et à l’arrière-pays aujourd’hui mieux connu : il produisait suffisamment pour nourrir la ville et pour exporter les surplus, mais les plus riches importaient des produits de qualité supérieure, préférant à la piquette locale le vin de Falernes et d’autres régions méditerranéennes.
Parmi les professions identifiées figurent les boulangers, nombreux, et les banquiers, comme Caecilius Jucundus, dont on connaît 153 documents comptables : il intervenait lors des enchères comme intermédiaire et prêteur. La production de garum permit aussi à certains de s’enrichir de manière considérable.
Bien écrit, l’ouvrage se lit très aisément et couvre tous les aspects de la vie à Pompéi, et donc dans l’Empire romain. Il montre aussi tout ce que nous ignorons ou croyons savoir, au delà du cas de Pompéi. Les Romains respectaient-ils en allant aux bains publics (eux-aussi très sales) l’ordre du froid vers le chaud ? Rien n’est moins sûr et il s’agit sans doute d’une systématisation a posteriori. Étaient-ils largement cultivés comme le laissent entendre de nombreuses citations littéraires gravées ? Peut-être, mais ces citations se limitent le plus souvent aux passages les plus connus d’une œuvre : qui connaît « to be or not to be » n’a pas nécessairement lu tout Shakespeare. Les jeux du Cirque étaient-ils partout si spectaculaires que cela ? Pas sûr, d’autant qu’à la suite d’émeutes en 59, Pompéi fut privée par Néron de combats de gladiateurs durant 10 ans. Les bêtes qu’on voyait dans l’arène étaient surtout des chiens et des chèvres, non des lions ou des animaux exotiques. Bref, un ouvrage qui pose autant de questions salutaires qu’il apporte de réponses, et qu’on recommandera donc chaudement.