Cette nouvelle édition, revue et mise à jour, d’un livre paru en 1991 a pour ambition d’écrire une histoire de l’énergie électrique. Ce bouleversement technique fut accueilli avec crainte et enthousiasme, curiosité ou imagination débridée.
Les deux chapitres sur les énergies nouvelles et les nouveaux usages de même que les apports de la sociologie, des sciences de la communication et de l’information justifient cette nouvelle édition par deux historiens de formation engagés professionnellement sans les secteurs de l’énergie et des télécommunications.

Quinze chapitres pour un voyage au pays de la fée électricité, la société française face à l’électricité au XIXe-XXe siècle.

Quand s’achève le XIXe siècle Paris expose l’électricité en 1881? Le visiteur de l’exposition y découvre les débuts de cette nouvelle énergie dont les prémisses sont racontés au chapitre premier, un lent cheminement scientifique pour un phénomène naturel : la foudre qui longtemps et partout dans le monde a engendré peur, curiosité et représentations relieuses ou profanes. Le magnétisme décrit par Messner a d’abord suscité des espoirs médicaux (XVIIIe-XIXe siècle).
Très vite l’électricité rime avec communication à travers les travaux de Volta puis le télégraphe dont la première exploitation commerciale date de juillet 1837 à Londres. Cette innovation rapidement accueillie en Angleterre fut d’abord rejetée en France avant son développement sous Napoléon III. Les auteurs évoquent les conséquences en matière de communication, de presse, de bourse. Avec le téléphone on assiste à un rétrécissement de l’espace mondial. Ils traquent l’électricité et la télégraphie dans la littérature et pas seulement chez Jules Verne.

L’exposition de 1881 marque un moment important en popularisant la science et les innovations techniques. C’est l’aboutissement d’une nouveauté d’avenir, la lampe à incandescence pour un nouvel usage: l’éclairage mis à l’honneur lors de cette manifestation dont tous les détails sont décrits. La question du transport de l’électricité est d’autant plus importante qu’outre l’éclairage l’électricité prend une nouvelle place comme force motrice dans l’industrie.

Un nouveau chapitre s’ouvre avec les transports : tramways et, métro d’abord aux Etats-Unis puis en France avec des conséquences sur le paysage urbain.
Le métro avec son aspect souterrain fait après la première guerre mondiale partie de l’imaginaire parisien notamment dans la peinture. Dangers et accidents de ces nouveaux modes de transports n’empêchent pas leur développement.

L’éclairage public répond à un souci longtemps exprimé de sécurité des rues des villes il est perçu comme plus sûr que le gaz et il permet aussi la mise en valeur du patrimoine (façades, ponts, vitrines, salles de spectacles). Si l’électricité semble correspondre à l’idée même de la ville lumière elle doit lutter pour se faire une place.

Dans le chapitre six, les auteurs reviennent sur les réticences d’autant que les premiers utilisateurs ont pu être déçus: usines de production bruyantes et malsaines (fumées) au cœur même des villes, interruptions fréquentes de l’alimentation, installations peu sûres à l’origine de nombreux accidents ou incendies. D’autre part au plan social les syndicats des employés de l’électricité détiennent un réel pouvoir au point que leur leader Emile Patard a pu être surnommé « le prince des ténèbres ».

Contrairement au gaz l’électricité est perçue par beaucoup comme l’énergie du riche. Et pourtant au XXe siècle elle apparaît comme une solution à la crise sociale. En effet sa souplesse pouvait donner une seconde chance à l’atelier domestique face à l’usine et la vapeur et ainsi freiner l’exode rural comme le montre le texte de Kroptkine paru en 1910 Champs, usines et ateliers ou les propos de Paul Leroy-Beaulieu sur l’application de l’électricité au métier Jacquard.
Restait posé la question de la fabrication de l’électricité: charbon, usage de l’eau, un coût qui ruina les espoirs d’un frein à l’exode rural.

Face aux considérations économiques et sociales, les auteurs montrent comment l’électricité a hanté l’imaginaire : elle apporte la lumière, surveille l’ouvrier, le prisonnier, elle punit même aux Etats-Unis. De l’œuvre de Dieu pour l’abbé Moigno aux êtres mi-hommes mi-machines d’Edgar Poé ou Théophile Gautier l’électricité devient un personnage à la fois fascinant et angoissant l’Eve future de Villiers de l Isle Adam. Elle semble permettre les rêves les plus fous comme le montre les romans, les ouvrages de vulgarisation du sous-marin de Jules Verne aux très réels véhicules électriques du service postal des années 1900 qui n’ont pas résisté à la victoire de l’automobile à essence. Elle rencontre les même difficultés à accéder au chemin de fer.

Si l’électricité a suscité beaucoup d’enthousiasme son apparente toute puissance a engendré la crainte: peur du défi prométhéen, se saisir de la puissance divine de la foudre d’autant qu’elle a occasionné de nombreux accidents par électrocution qui sont venus alimenter les peurs, crainte aussi d’être rendu aveugle par sa lueur intense. Comme toute innovation importante elle interroge sur la capacité des hommes, de la société à la maîtriser. L’expression de ces craintes se lit à longueur de colonnes des journaux ou dans de nombreux romans Robida : La Vie électrique (1892).

Vivre et travailler autrement, c’est avec le XXe siècle que les transformations profondes apparaissent en particulier avec l’électrification des campagnes. A la ferme l’électricité vient abolir le rythme de la durée du jour quand à l’usine elle modifie les conditions de travail : fini les courroies, éclairage du poste de travail.
Au sein même de la maison elle part à la conquête de l’espace domestique : éclairage des diverses pièces en fonction des activités. Les auteurs montrent son rôle dans le développement de la lecture individuelle mais aussi les soins de la personne (association lumière-miroir) et le développement de l’électro-ménager à partir du fer à repasser. L’architecture en est modifiée Le Corbusier.

Le chapitre douze est consacré aux crises et pénuries, il s’ouvre sur la question des infrastructures: hydroélectricité, réseaux, intérêts publics et privés, non sans hésitation certains se souvenant du propos de Lénine définissant le socialisme comme : « les soviets plus l’électricité ».
Les auteurs mesurent la distance parcourue au regard de l’exposition universelle de 1937. Avec la seconde guerre mondiale ce qui domine c’est la pénurie et les interdictions jusqu’en 1949.

Les trente glorieuses sont caractérisées par l’électricité et la croissance. Il s’agissait d’abord de combler le retard dû à la guerre. L’exemple de Plovezet dit bien cette évolution A. Burguière, Bretons de Plovezet, Flammarion, 1977. Sur le plan de la production c’est l’introduction du nucléaire qui marque la période. Les auteurs évoquent à la fois les quelques combats Du village de Tignes à Creys-Malville et le développement du tout électrique notamment pour le chauffage des ménages.

Avec les années 70 restait à aborder la « question » énergétique depuis le choc pétrolier. Désormais le débat énergétique va de pair avec le souci de l’environnement. Sont abordés successivement : les coûts, les risques technologiques, le choix français de l’indépendance incarnée par le nucléaire, les économies d’énergie création de l’ADEME en 1992, la recherche de solutions renouvelables et les évolutions législatives.

Cette période très contemporaine voit naître de nouveaux imaginaires. Dans un monde en mutation l’électricité n’est plus synonyme de progrès, elle est perçue comme un droit élémentaire dans un contexte de précarité croissante des ménages. Une autre crainte se développe celle d’une rupture de production, d’un black out total.

Le dernier chapitre plus descriptif qu’analytique traite du mix énergétique français, de la transition énergétique, de décroissance. L’imaginaire des énergies vertes est évoqué à grands traits.

Dans sa postface Alain Corbin fait une place particulière à l’idée du recul de l’ombre et de la perception du temps.

Un encart central présente quelques documents iconographiques