Thierry Dutour propose ici un essai d’histoire urbaine médiévale sous un angle essentiellement sociologique en donnant une nouvelle définition de la ville médiévale et en proposant une nouvelle périodisation de l’Histoire urbaine.
Thierry Dutour, maître de conférences à l’université de Paris IV-Sorbonne poursuit à la fois un parcours d’Historien et de sociologue. Il a publié Une société de l’honneur. Les notables à Dijon à la fin du Moyen Age et poursuit des recherches sur les noblesses citadines dans le royaume de France.
L’ouvrage de Thierry Dutour fait la part belle à une approche purement sociologique de la ville, l’étude des rapports entre les urbains et les ruraux ainsi que la place des hiérarchies urbaines constituent les éléments moteurs de l’étude. L’on peut parler ici d’anthropologie sociale et de perspective interactionniste selon les termes de l’auteur.
L’on ne trouvera donc pas ici de réflexions sur l’architecture urbaine et, de manière plus générale sur « l’objet » ville en tant que telle.
C’est ainsi que Thierry Dutour expose tout d’abord sa démarche pour aboutir à une définition sociologique de la ville médiévale, puis délivre la vision de la ville par les contemporains eux-mêmes. Les deux parties suivantes distinguent le temps des villes épiscopales jusqu’au IXe siècle, puis l’urbanisation de l’Europe latine au Xe siècle. L’auteur étudie ensuite les relations entre essor démographique et croissance urbaine du VIII au XIVe siècle puis l’évolution de l’organisation des relations sociales et des nouvelles façons de vivre qui en découlent pendant cette même période.
Enfin, avant de conclure sur une redéfinition de la ville médiévale selon des critères sociologiques et une nouvelle périodisation de l’histoire urbaine, Thierry Dutour s’interroge sur la nouvelle diversification des élites urbaines et sur les institutions sociales qui y sont liées.
Le Moyen Age est sans nul doute la période essentielle de l’urbanisation dans l’Europe occidentale.
Il ne s’agit pas d’une rupture, mais d’un changement décisif dans l’histoire des sociétés urbaines après l’avènement de la cité romaine.
Quelles sont donc les évolutions majeures ayant abouti à l’épanouissement de la ville médiévale ? Quels sont les nouveaux rapports entre la ville et la campagne, entre les citadins et la terre ? Telles sont les questions que pose ici Thierry Dutour.
La ville est donc perçue comme un phénomène collectif car « elle associe des existences sociales individuelles ».
L’étude des sociétés urbaines repose donc l’évolution des rapports sociaux et juridiques entre les hommes ainsi que sur les liens toujours très importants entre la ville et la campagne.
Deux grandes limites chronologiques peuvent être distinguées : du VIe au IXe siècles d’une part ; a partir du Xe siècle d’autre part. Soit les changements qui s’opèrent de la cité antique à la ville médiévale et la transformation de cette même ville en ville industrielle au XVIIIe siècle. IL n’y a donc pas de découpage classique : les Temps Modernes n’existent pas en tant que tels dans l’évolution urbaine, la ville médiévale persistant jusqu’à l’apparition de la ville ouvrière et industrielle.
Jusqu’au IXe siècle, la ville est avant tout une ville épiscopale, siège du pouvoir local après avoir été aux VIe et VIIe siècles avant tout un espace caractérisé par son aspect défensif, les fortifications, phénomène qui débute dès le IIIe siècle et qui s’amplifie avec les différentes vagues d’invasions. A cette époque, la perception de la ville est idéalisée, elle apparaît souvent comme la vision de la Jérusalem céleste.
Mais c’est aussi le lieu privilégié d’un essor économique très important : les échanges se développant avec l’accroissement démographique.
Il est délicat de mesurer un taux d’urbanisation, mais, durant cette période, il doit varier entre 6 et 11%.
A partir du Xe siècle, la ville est donc, avant tout, le lieu des échanges commerciaux et humains. Plusieurs cas sont étudiés : les villes de Germanie, Pavie et le royaume d’Italie, Salerne enfin.
Peu à peu, l’organisation des pouvoirs évolue : on passe de la cité de l’évêque représentant du Roi et de Dieu à une cité dont l’évêque n’est plus le seul maître car il est nommé par le Prince.
Cet ouvrage, on le voit, est donc avant tout un essai. Plus que la ville médiévale dans sa globalité, Thierry Dutour étudie avant tout les urbains, négligeant volontairement les aspects architecturaux et symboliques des monuments.
Autre objet d’étude important, le lien étroit entre développement urbain et expansion agraire.
La ville est une des formes de l’expansion démographique agraire et territoriale des Xe et XIIe siècles. La population européenne augmente, de nouvelles terres cultivées se développent, et certaines régions trop peuplées connaissent des mouvements d’émigration (vallées pyrénéennes de Catalogne ou zones dominant la plaine du Pô.
Tout ceci est lié également à l’apparition de nouveaux outils plus performants au XIIIe siècle ainsi qu’à l’apparition de nouvelles techniques agricoles (assolement triennal). Ainsi, « l’intensification de la circulation et des transports est un signe de l’accroissement des échanges locaux » entre les villes.
Les rapports avec les campagnes demeurent importants ; les propriétaires citadins intervenant dans l’exploitation des terres.
Conséquence de ce développement urbain, de nouvelles villes apparaissent : bastides, sauvetés…
Tout ceci entraîne de grandes évolutions dans l’organisation des relations sociales au sein des villes : expansion des villages (souvent par immigration des campagnards), développement des pouvoirs locaux, affirmation des élites urbaines (exemple pris à Vendôme, Toulouse, Reims, Dijon et Liège). Ces évolutions sont « nourries par une mobilité des hommes qui en est à la fois la cause et la conséquence ».
De tous ces changements, découlent de nouvelles façons de vivre et une mobilité croissante de la population : accueil des nouveaux ruraux, problèmes de logement, relations entre voisins, accueil des voyageurs « on passe de l’hospitalité des monastères à l’auberge payante »H. Peyer.
Les élites, elles aussi se diversifient et de nouvelles institutions sociales apparaissent dans la ville médiévale : développement du bourgeois en tant que « membre d’une communauté jouissant de certains privilèges concédés par le seigneur, formation d’associations (communes jurés, métiers organisés, confréries), importance de l’éducation (écoles et universités) et de l’apprentissage.
Le dernier chapitre de Thierry Dutour tente une nouvelle définition ainsi q’une nouvelle périodisation du Moyen Age qui tienne réellement compte de la dimension urbaine et sociologique en énonçant une nouvelle chronologie de l’histoire urbaine : un Moyen Age qui débuterait au IVe avec le passage de la cité antique à la ville médiévale ; et qui se terminerait avec l’apparition de la ville industrielle au tournant des XVIIIe et XIXe siècles, chronologie des plus originales sur laquelle nul doute que d’autres chercheurs ne tarderont pas à se pencher.
En conclusion, on tente une définition de la ville médiévale moyenne qui reprend l’ensemble des thèmes abordés dans l’ouvrage, en insistant bien entendu sur les relations humaines qui restent pour Thierry Dutour le moteur de l’histoire urbaine médiévale.
La bibliographie et les sources sont abondantes et surtout saisies dans une dimension européenne (Duby et Fossier y ont leur place ainsi qu’Alexandre-Bidon ; mais aussi de nombreux historiens italiens).
Un ouvrage de réflexion, qui présente une approche nouvelle et dynamique de la ville médiévale, replacée dans un contexte sociologique primordial pour comprendre les évolutions de l’Histoire urbaine occidentale mais qui par les choix de son auteur néglige les lieux de vie et d’exercice du pouvoir : les bâtiments urbains ainsi qu’une dimension plus proche des rapports entre les hommes, celle des liens familiaux par exemple.
Mais répétons-le cet ouvrage est avant tout un essai et non une somme des connaissances sur l’urbanité médiévale.
Un livre de réflexion donc pour aller plus loin que Jacques Heers, Bernard Chevalier ou Georges Jehel dans la sociologie et la périodisation du phénomène urbain au Moyen Age.
compte rendu effectué par Alain Garcès
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