C’est tout le mérite de ce livre de nous faire découvrir la manœuvre d’Iéna de Napoléon, chef d’œuvre reconnu des stratègistes, et les conséquences
incalculables de l’effondrement prussien.
Depuis les « cent jours » de Dominique de Villepin (2001), l’épopée napoléonienne semble avoir retrouvé des couleurs éditoriales tout en étant destinées à un large public. Il faut dire que cette période fascine toujours autant et les récents avatars télévisuels (Napoléon sur TF1 avec Christian Clavier) ont renforcé la « légende dorée » d’une « France qui gagne ». Cette « Napoléonophilie » se retrouve à travers l’incroyable quantité de la production anglo-saxonne (plus de 500 références Napoléoniennes sur le site de Caliver Military Books .
Le livre d’Arnaud Blin apporte sa pierre à cet édifice mais dans une optique de recentrage vers une histoire plus théorique que descriptive et c’est là son grand mérite mais aussi sa faiblesse pour un public moins averti (tous ces combats nous semblent parfois bien désincarnés). L’auteur historien et journaliste se place du côté des stratégistes (théoriciens de la guerre, mot qui s’oppose à stratèges, praticiens de la guerre) et fait évoluer le lecteur dans une optique de longue durée se détachant de la bataille d’Iéna elle même. Il se singularise ainsi de ses prédécesseurs comme le fameux Bonnal (l’Esprit de la guerre moderne et la manœuvre d’Iéna) en 1909, le Commandant Lachouque (Iéna) en 1962 ou même du travail de titan réalisé par Alain Pigeard (Les campagnes napoléoniennes)en 1998.
Le découpage de l’ouvrage en deux parties de taille et densité inégales ( la guerre, la bataille) semble de facture classique mais recouvre une réflexion riche et documentée. La première partie (la guerre) insiste sur l’importance de la bataille d’Iéna comme jalon d’une histoire longue que l’auteur fait commencer à Rossbach (1757) et terminer en juin 40. Il avance et bien à propos toutes les ruptures qui vont se trouver mises en œuvre après Iéna : ruptures politiques et géopolitiques, développement du modèle de la « nation armée », reconstruction après une catastrophe politico-militaire. Sa description de cette guerre fait appel à la notion de conflit asymétrique, notion à la mode depuis une dizaine d’années chez les stratégistes, sa démonstration reste cependant peu évidente (les deux armées sont conçues suivant un modèle semblable et recherchent la même bataille tactique qui doit voir l’effondrement militaire du perdant). L’excellent livre de jacques Baud « La guerre asymétrique », l’Art de la Guerre, édition du Rocher ,2003, apportera un complément indispensable à tous ceux que la théorisation des conflits pourraient intéresser. Le second chapitre : « la continuation de la politique » a l’immense mérite de remettre en mémoire l’évolution de la pensée stratégique au XVIIIème siècle et son influence sur Napoléon. Cette formation intellectuelle lui permettant de signer son chef d’œuvre que sera la campagne de 1806. L’année 1806 verra aussi la fin de l’époque Frédéricienne avec la victoire provisoire de l’ordre profond de Folard ou Guibert sur les lignes mécaniques et huilées du « Vieux fritz ». La manœuvre d’Iéna nous est décrite par le menu depuis sa conception jusqu’à sa réalisation , l’auteur sait nous faire partager les certitudes mais aussi « le brouillard de la guerre » inhérent à cette époque.
Les quatre chapitres décrivant la bataille nous renvoient à toutes les difficultés de ce genre historique qu’est l’histoire -bataille. Si le récit est le plus clair possible, le choix de l’éditeur de renvoyer quelques misérables cartes en fin d’ouvrage est définitivement une offense au travail de l’auteur. La carte de la campagne nous est livrée sans échelle, les deux croquis du mouvement stratégique du 12 octobre sont décevants, le plan des batailles d’Iéna et d’Auerstadt est digne de figurer dans un mémento géographique des choses à ne pas faire pour un exercice de bac. Et tout cela rend compliqué la compréhension d’une bataille d’Iéna commencée dans un épais brouillard, et de l’incroyable exploit de Davout repoussant puis écrasant l’armée principale du Duc de Brunswick (celui du manifeste). Pour un non spécialiste , la multiplication des corps, divisions, brigades et autres régiments est rendue encore plus opaque par l’absence en annexe d’un ordre de bataille (qui apparaît imparfaitement et de façon incomplète en notes de bas de page). Arnaud Blin se tire cependant de ce mauvais pas et par quelques anecdotes bien choisies (mémoires de Marbot ou de Scharnhorst, cahiers de jean Roch Coignet) il arrive à donner un peu de souffle et de vie aux mouvement des unités. La bataille d’Iéna ne saurait être dissociée de celle d’Auerstadt, et celle-ci nous est conté, et avec raison, comme l’évènement qui fait basculer la défaite des prussiens en une mémorable déroute. Le dernier chapitre rappelle l’effondrement qui suivit ces deux défaites, effondrement qui ressemble étrangement à celui de juin 40.
L’épilogue est peut-être la partie la plus novatrice et utilisable auprès de nos élèves. L’auteur part de l’anecdote de la rencontre fortuite de Napoléon dans la ville d’Iéna en feu par le philosophe Hegel qui venait de poster sa « Phénoménologie de l’Esprit » à son éditeur berlinois. Au même moment Fichte entend la bataille depuis Weimar où il est réfugié. Arnaud Blin démontre brillamment, en partant des écrits des deux témoins de la bataille, que les notions de « fin de l’histoire » et du nationalisme allemand sont étroitement liées à la défaite d’Iéna. Clausewitz, présent et combattant du 14 octobre 1806, n’est pas oublié parmi les héritiers d’Iéna , toutes les conceptions stratégiques actuelles s’appuient encore sur les conceptions des idées de l’auteur de « De la guerre ». Ces idées ont été façonnées par la manœuvre d’Iéna et c’est le mérite principal de ce petit livre de nous le rappeler. La rupture d’Iéna renvoie à celle de Waterloo, où pour la dernière fois, des armées françaises s’opposeront à une armée anglaise et où la décision sera remportée par les allemands unis autour de la Prusse. Ce sera le début d’un nouvel ennemi « héréditaire ».
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