Un colloque a été organisé sur ce sujet en novembre 2011 par le Centre d’Etudes et de Recherches Appliquées du Massif Central (Clermont Ferrand). Trente six articles, mis à jour, issus des communications, ont été regroupés par Mauricette Fournier (Univ. Blaise-Pacal) dans cet ouvrage de plus de six cents pages: géographes, sociologues, ethnologues, agronomes, économistes ruraux , spécialistes en mercatique et ingénieurs territoriaux donnent à ce volume une approche pluridisciplinaire renforcée par le fait que de nombreux articles écrits à plusieurs mains associaient des disciplines différentes.
Un foisonnement de labels aux impacts inégaux
Le premier chapitre retrace l’histoire des Signes d’Identification de Qualité et d’Origine. Ce sigle SIQO désigne ce que nous connaissons sous la forme des appellations contrôlées ou protégées et autres labels rouges : instaurés dans une volonté de protection de production puis de recherche de valeur ajoutée, ils sont doublés par des marques territoriales, aux critères moins contraignants et parfois élargis au-delà de la sphère alimentaire, mais qui posent le problème de leur prolifération et de la confusion avec les SIQO. Ce « labyrinthe des labels » (E. Ramos Real, D. Garrido García) pousse les autorités, notamment à l’échelle européenne , à chercher à les évaluer et à définir des critères de bons labels territoriaux et de qualité: il en est ainsi de la Marque de Qualité Territoirale Européenne (MQTE).
Les articles présentent également les enjeux de recherche que représentent la définition de ces critères. Malgré les problèmes évoqués, les chercheurs voient dans la construction de ces labels, pour peu qu’il répondent à une démarche rigoureuse par exemple dans le cas d’une certification contrôlée par des autorités supérieures ou attribuée suite à un concours, l’occasion d’une dynamique de projets de territoires associant des réseaux d’acteurs et créant une culture commune. Le Label Pays Cathare est à cet égard présenté comme un bon exemple. Le dernier article fait un parallèle intéressant entre les labels de qualité alimentaires et les éco-quartiers (L. Trognon, H. Delahaye) : ces derniers présentent des enjeux et des difficultés similaires à celle des SIQO.
L’impact économique des labels est inscrit dans le contexte de la mondialisation et des transformations des espaces agricoles. Il est toutefois abordé non seulement dans le cas des labels liés à des productions agricoles mais aussi pour ceux provenant du patrimoine (UNESCO) et qui ici s’appliquent à des espaces urbains. Les appellations protégées concernant les vins et les aliments réussissent à développer le territoire dans le cas de produits ayant une notoriété forte et qui sont liées à l’identité du lieu concerné (Rosé de Provence, Barolo dans le Piemont italien) : on constate alors un impact positif dans les deux sens par la valorisation à la fois du produit et du lieu. L’interaction avec le tourisme et le développement culturel qui lui est associé (festivals etc.) permet par exemple aux exploitations viticoles inscrites dans le label de bien mieux résister qu’aux échelles régionales et nationales (S
.Pavone), elle créé des réseaux d’acteurs et une culture commune qui permettent des actions puissantes (lutte contre le coupage du rosé). En revanche, dans ces territoires attractifs, la pression de l’urbanisation risque de diminuer et de fractionner les espaces de productions et de poser le problème du lien au terroir pourtant inscrit dans les SIQO (S. Angles, P. Minvielle).
Sur les marchés extérieurs, les SIQO ont un double rôle de protection et de conquête . Le cas le plus intéressant pour l’enseignement de la géographie étant ici l’étude sur les enjeux d’une Indication géographique protégée pour l’huile d’argan au Maroc (E. Erraoui). L’arbre dont les amandes fournissent cette huile est au cœur d’un écosystème unique et d’un système agro-pastoral qui assure les revenus des communautés paysanne et participe à leur identité berbère. Mais la réputation de l’huile, tant culinaire que cosmétique, pousse à industrialiser et donc à déplacer la fabrication de l’huile, limitant les retombées économiques locales : l’intérêt de l’IGP serait ici de garantir une production locale et traditionnelle.
Inversement, le développement des marchés émergents représente des possibilités de conquêtes pour des production labellisées : encore faut-il communiquer dans ces marchés, qui les ignorent, sur les logiques et les avantages de nos appellations protégées comme ce fut le cas pour la défense de l’AOC Chablis au Japon contre une logique anglo-saxonne d’appellation générique (« Chablis » signifie tout vin blanc sec en globish) : un exemple des années 1980 qui pourrait bien servir de leçon pour les marchés en développement actuels.
En revanche, les deux articles sur les effets du label de l’Unesco relativisent fortement leur impact et les propos des élus qui le présentent comme un sésame miraculeux de développement économique. L’augmentation des visites ne peut pas servir de seul indicateur fiable et le poids du tourisme dans l’économie urbaine ne doit pas être surestimé. Les effets du label de l’Unesco sur l’image et l’attractivité plus général de la ville sont aussi discutés par comparaison avec la réussite de la politique patrimoniale et d’image d’une ville comme Rennes qui a décidé de se passer de ce label (L. Prigent) .
un bon observatoire pour la recherche sur les réseaux d’acteurs, la gouvernance et re-création des territoires
Des labels qui s’empilent parfois dans la confusions, des retombées économiques qui ne sont pas toujours évidentes: pourquoi diable s’intéresser à un miroir aux alouettes dont la démarche peut sembler bien superficielle. La meilleure réponse est sans doute celle de S. Chiarini, dans le cadre de son étude sur les vallées occitanes en Italie:
Les processus de labellisation sont des observatoires féconds, révélateurs d’enjeux de nature politique , économique, identitaires, mobilisant une multiplicité d’acteurs porteurs de représentations, pratiques et objectifs variés.
La mise en image des territoires par des marques et des labels correspond à deux objectifs : elle vise à développer l’attractivité, notamment touristique du territoire, à répondre à des défis posés soit par un manque de notoriété soit par les stéréotypes négatifs, ou bien encore par l’effet tunnel induit par le passage d’une autoroute. Mais elle fournit également une identification des ses habitants et de ses acteurs au territoire (ou plutôt à une image construite de celui-ci). On retiendra de deux articles que les éléments choisis pour identifier un territoire lui sont parfois extérieurs : il s’agit de mettre l’accent sur la position (Pau) ou de se rattacher à une « marque » territoriale puissante (PNR des Baronnies provençales). Le processus de la construction d’une marque et d’un label est identifié à celui d’une démarche de marketing (notamment en ce qui concerne la Bretagne), avec une phase analytique, une phase stratégique et une phase opérationnelle (C.-E. Houllier-Guibert).
Ces chapitres permettent de mieux cerner les enjeux de la recherche sur les labels et le marketing territorial : en préambule de l’article sur les labels dans les pays basques français et espagnols, si différemment gérés de part et d’autre de la frontière, C. Chamard et J.-M. Izquierdo exposent les enjeux de gouvernance du marketing territorial et des labels dont ils donnent de solides définitions. Les disciplines, dont la géographie, qui étudient ces outils de protection et de promotion montrent qu’ils peuvent participer aux dynamiques de construction de territoires (article de C. Margetic et J. Noël entre autres), mais les chercheurs doivent construire des outils d’enquête et d’analyse pour évaluer le développement territorial apporté (ou non) par les labels comme dans le cas des « Pôles d’Excellence Rurale ».
Comme pour les labels alimentaires, et parfois en lien avec eux, les démarches de labellisation du patrimoines permettent de mettre en évidence les réseaux d’acteurs qui se créent pour soutenir et mener à bien le projet ; ils permettent d’observer des requalifications du territoire autour de données culturelles comme le classement de la grotte Chauvet qui permet de redéfinir le tourisme Ardéchois au-delà du terrain de jeu pour kayakistes et rafteurs . De même, l’étude remarquable de l’éthnographe S. Chiarini montre comment la langue occitane des vallées italiennes a permit à ces territoires de développer tout un système économique et commercial par l’utilisation de labels autour d’une identité reconstituée et qui en retour renforce « l’occitanité » du territoire concerné,au grand dam des occitanistes purs et durs qui y voient une marchandisation de ce qui était pour eux au départ un combat politique).
Banalisation, vues divergentes et tensions : la construction des territoire au risque de la mise en marque.
Les paysages et les labels entretiennent eux aussi des liens à double sens : le paysage est utilisé comme argument de communication des labels et des marques territoriales : ainsi Bourgogne et Provence font-elle l’objet d’une mise en marque à travers les aires d’autoroute et la signalisation : on est ici évidemment dans une caricature des paysages concernés. Inversement, les cahiers des charges des labels et des marques peuvent avoir un impact sur les paysages, à condition d’être assez stricts (cas de l’AOC Comté au contraires des AOC de fromages d’Auvergne). Le risque, déjà entr’aperçu dans les chapitres précédents est celui d’une banalisation des paysages (cas de la protection des grand sites bretons) D’autre part les qualités paysagères voulues par ceux qui gèrent les labels ne sot pas toujours celles qui sont perçues par les habitants ou les visiteurs de ces territoires. En dehors du cas de Vancouver (labellisation informelle fondée sur une politique d’urbanisme) la labellisation par le « bien vivre » concerne ici d’abord une image issue de la gastronomie même si elle a des implications sur l’organisation des territoires et le bien être des habitants.
La mise en marque des territoires peut se faire par d’autres voies que la labellisation reconnue, certifiée et au cahier des charges contraignant. Des manifestations (villages du livre), la création de lieu de mémoire (mémorial de la Shoah) ou des titres autoproclamés (villes impressionnistes, routes picturales) participent eux aussi à la qualification des territoires. Mais les auteurs montrent que cela ne se fait pas toujours sans tensions.
La lecture de l’ouvrage peut laisser le lecteur pour le moins circonspect quant à la pertinence de cette mise en marque des territoires, cette course effrénée à la labellisation tous azimuts. En revanche pour la recherche sur les dynamiques territoriale, il s’agit incontestablement d’un prisme intéressant. Il en est sans doute de même pour l’enseignement de la géographie dans le secondaire. Dans les classes technologiques où les élèves vont s’orienter vers la mercatique (STMG), il y a dans certains articles matière à des études croisées en tout cas des pistes (analyse de la démarche mercatique sur la marque Bretagne). En seconde, l’analyse de cas de la protection de l’huile d’argan constitue un bon exemple pour le développement durable. Bien des labellisations patrimoniales sont utiles pour la géographie urbaine. Et au delà, il s’agit bien sûr d’une excellente approche pour développer le regard critique chez nos élèves.
-> sommaire de l’ouvrage. (PDF)