François Huguenin (né en 1965) est un historien des idées politiques et essayiste français. Diplômé de Sciences-Po, il a d’abord travaillé sur la pensée politique réactionnaire et libérale française, puis plus tard sur les mouvements américains de contestation du libéralisme : philosophes communautariens et la nouvelle théologie politique, notamment.
En 1998 (à 23 ans), il publie une étude critique de la pensée d’Action française (« A l’école de l’Action française – Un siècle de vie intellectuelle »), approfondie et amendée en 2006 par « Le Conservatisme impossible », où il montrait les écueils croisés des pensées libérale et réactionnaire en France. Auparavant, il avait co-écrit en 2001 avec Jean-Pierre Deschodt un essai intitulé « La République xénophobe ». Puis, il s’oriente vers l’étude de la philosophie et théologie politique anglo-américaine, en y cherchant des réponses aux impasses de la pensée politique moderne, en publiant (à l’âge de 44 ans) l’ouvrage « Résister au libéralisme, Les Penseurs de la communauté ».

François Huguenin : De l’historien-militant adepte de l’ego histoire (1998) à l’historien des idées politiques (2011)

L’ouvrage de François Huguenin « L’Action française : une histoire intellectuelle » (publié en 2011) est la version augmentée et profondément remaniée de l’ouvrage de 1998 « A l’école de l’Action française – Un siècle de vie intellectuelle » ; cette édition de 2011 (soit 13 ans après la première) est agrémentée d’une conclusion inédite. Les générations intellectuelles qui se succédèrent sont étudiées les unes après les autres, de la fondation de l’Action française jusqu’aux années 1990. L’auteur a systématiquement dépouillé les sources mêmes de la doctrine du mouvement et présente, citations à l’appui, les livres les plus marquants : « Dictateur et roi », « Enquête sur la monarchie », « L’avenir de l’intelligence », pour n’en citer que quelques-uns et les articles de la « Revue critique des idées et des livres » ainsi que la « Revue universelle ». Un gros travail, sans conteste, mais dont la présentation manque parfois de clarté et de précisions. Malgré tout, le mérite de cet ouvrage est d’exhumer quelques textes peu ou mal connus et de rappeler combien des auteurs comme Léon Daudet, Jacques Bainville, Thierry Maulnier, Jean de Fabrèges ou Henri Massis influencèrent la pensée de leur temps.

Dans un prologue introductif, François Huguenin tente d’expliquer comment peut-on être monarchiste en France au XXe siècle ? Comment expliquer que, en dépit de l’indiscutable enracinement de la République, l’idée du retour d’un roi sur le trône des Capétiens ait constitué l’idée directrice de l’une des plus influentes écoles de pensée de la première moitié du XXe siècle ? Voici la question à laquelle François Huguenin s’efforce de répondre dans le livre qu’il consacre aux idées de Charles Maurras, ses disciples et ses héritiers.

Les débuts de l’Action Française et de son fondateur Charles Maurras (1899-1919)

Dans un premier temps, François Huguenin nous rappelle que Charles Maurras (1868-1952) conçut une synthèse intellectuelle et idéologique originale du positivisme d’Auguste Comte, du traditionalisme de Joseph de Maistre et Louis de Bonald, du corporatisme de Frédéric Le Play et René La Tour du Pin, puisant également dans les doctrines de Hippolyte Taine, Ernest Renan et de Numa Denis Fustel de Coulanges. Rejoignant par là le syndicalisme révolutionnaire, Charles Maurras dénonçait avant tout la dictature exercée au nom de la démocratie et appelait à l’insurrection violente, craignant avant tout l’inaction.
Né en pleine Affaire Dreyfus (20 juin 1899), ce mouvement animé à ses débuts par Charles Maurras, le journaliste et critique littéraire Léon Daudet (fils de l’auteur « Les lettres de mon moulin » : Alphonse Daudet) ainsi que l’historien Jacques Bainville compta également dans ses rangs l’écrivain Georges Bernanos (dès 1906) et le philosophe Jacques Maritain (dès 1911).
Bref, cette première période (celle dite de la Belle Epoque) est caractérisée par la formation de cette école de pensée, le foisonnement de la découverte, l’élaboration d’une critique globale du modèle républicain dominant constituant un âge de conquête intellectuelle.

La quête de l’ordre (1919-1939)

Contrairement à une idée reçue, l’apogée de l’Action française doit sans doute être située non pas au moment de la condamnation par le Vatican (promulgation du décret du Saint-Office du 26 décembre 1926), mais à la veille de la Première guerre mondiale. La saignée que celle-ci opéra dans les rangs des jeunes militants du mouvement fut telle que jamais, selon François Huguenin, elle ne s’en releva vraiment. Perdant une partie de sa substance, le mouvement versa dans une violence purement rhétorique (les articles antisémites de Léon Daudet et Charles Maurras envers Léon Blum, alors Président du Conseil du gouvernement de Front populaire), sans prise sur le réel, se laissant aller à une dérive conservatrice qui, d’ailleurs, provoqua plusieurs dissidences : Georges Valois (novembre 1924), Louis Dimier (en 1920), Georges Bernanos (en 1938) se séparèrent de l’Action française, déçus de son incapacité à changer le cours des choses. C’est, sans doute, dans le domaine de la critique littéraire que cette école s’avéra la plus féconde.
En effet, les futurs écrivains Maurice Blanchot (1907-2003) et Claude Roy (1915-1997) ainsi que les futurs historiens Philippe Ariès (1914-1984) et Raoul Girardet (né en 1917) y passèrent pendant l’entre-deux-guerres. L’école attira non seulement nombre de normaliens pendant les années 1930 comme par exemple Thierry Maulnier (1909-1988) mais aussi un temps André Gide et André Malraux, fascina Proust et Henri de Montherlant et influença Charles de Gaulle et François Mitterrand.
Cette seconde période (soit l’Entre-deux-guerres) est celle de la consécration du rayonnement de l’Action française (dominée par la question de l’ordre) mais aussi paradoxalement du début du déclin, c’est-à-dire de l’incapacité à susciter une adhésion pleine et entière au projet royaliste, dans un monde qui a changé depuis 1918 et où l’effondrement des démocraties libérales (en Italie et en Allemagne) profite aux totalitarismes.

Le royalisme impossible (1939-1994)

Avec beaucoup de précision, François Huguenin explique l’attitude de Charles Maurras pendant la Seconde guerre mondiale. Inspiré jusqu’à l’aveuglement par le souvenir de l’Union sacré avec la République pendant la Grande guerre (1914-1918), celui-ci fit de la fidélité au Maréchal Pétain la ligne de force de son attitude, rejetant aussi bien la Collaboration que la Résistance, faisant preuve d’une germanophobie non moins virulente que son anglophobie, s’enfermant ainsi dans des contradictions insolubles.
Après la guerre de 1939-1945, l’école d’Action française éclata en plusieurs groupes : les deux pôles principaux étant constitués par les héritiers officiels autour de l’hebdomadaire « Aspects de la France » et les maurrassiens « modernistes » regroupés autour de la revue « La Nation française ». A la tête de cet organe, Pierre Boutang (disparu en 1998) entreprit de moderniser la pensée de Charles Maurras, évacuant l’antisémitisme, reconnaissant que le maître, en rejetant dos-à-dos Résistance et Collaboration par fidélité au Maréchal, n’avait sans doute pas senti où se trouvaient les forces de renouveau de la nation.
Finalement, l’école d’Action française s’incarnera le mieux dans l’état d’esprit d’un mouvement littéraire (d’extrême droite) des années 1950 et 1960 représenté par les Hussards dont le chef de file est Roger Nimier (1925-1962) et les principaux représentants sont : Antoine Blondin (1922-1991), ), Michel Déon (né en 1919) et Jacques Laurent (1919-2000).
La partie la plus novatrice de l’ouvrage concerne sans conteste les années les plus récentes, que l’auteur connaît bien dans la mesure où il a été un disciple convaincu et militant de l’école qu’il étudie (il fait référence plusieurs fois à ses publications dans la revue « Réaction » dans les années 1990). Les héritiers, au sein notamment de la revue « Réaction », continuent aujourd’hui de rejeter la « démocratie totalitaire » et de dénoncer tous ses maux : la publicité, le consumérisme et l’individualisme.
Dans un épilogue conclusif, François Huguenin nous montre clairement, au total, que l’Action française joua le rôle anticonformiste d’empêcheur de penser en rond, refusant les idées dominantes de son temps – l’héritage de la Révolution, le libéralisme, le parlementarisme. Par ses excès même, elle se mit dans l’impossibilité d’agir, brandissant le drapeau blanc de la monarchie comme un recours miraculeux aux maux de la société moderne mais se révélant elle-même incapable d’avoir une prise sur le réel.

Assurément, voici un livre utile, tant l’opprobre qui est tombée sur l’Action française et son inspirateur Charles Maurras en raison à la fois de son antisémitisme et son vichysme, avait fini par en faire un modèle-repoussoir, aussi mal connu que souvent cité. Et pourtant, en dépit de l’insuccès de quelques tentatives politiques directes, voici un mouvement qui a vraiment fait école dans l’entre-deux-guerres et dont le rayonnement dépassa largement le cercle étroit des militants engagés pour marquer véritablement une génération voire de plusieurs générations (Belle-époque, Entre-deux-guerres et années 1950).
Désormais, pour l’étudiant en histoire voulant étudier l’Action française, il y aura l’ouvrage fondateur de l’historien américain Eugen Weber (publié en 1964 et réédité en 1990 dans la collection de poche Pluriel) axé sur l’histoire politique de ce mouvement et celui beaucoup plus récent mais surtout complémentaire de l’historien français François Huguenin sur l’apport de l’Action française dans le domaine de l’histoire des idées politiques.

© Jean-François Bérel

L’Action française, une histoire intellectuelle
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