La collection Géographie sociale des PUR est très souvent consacrée à la publication d’actes de colloques. C’est ici le cas puisque se trouvent réunis dans ce volume les actes du colloque pluridisciplinaire « Espaces hérités, espaces enjeux : appropriation – (dé) valorisation – catégorisation » qui s’est tenu en 2007 à l’université de Caen Basse Normandie. La dénomination du colloque ; qui fait appel aux termes d’appropriation, de catégorisation et de (dé) valorisation, plutôt qu’à ceux de territoire, identité et de valeur ; vise à montrer que « dans tous les cas et malgré les apparences et les discours de naturalisation ou d’universalisation, les chercheurs ont à faire à des processus et des constructions sociales ». Il s’agit de voir « en quoi l’appropriation, la catégorisation, la valorisation, différentielle des espaces jouent-elles un rôle dans la production des inégalités sociales » ?

Les seize articles qui sont regroupés ici sont très divers quant aux terrains de recherche exploités (la ville, la montagne, la mer, l’industrie, la prison) comme des angles d’étude retenus (conflits d’usage, valorisation des espaces ou dévalorisation en raison de la présence de groupes à faibles ressources) à partir d’exemples présents sur différents continents : Afrique, Europe, Moyen Orient.
La partie consacrée aux enjeux de la catégorisation des espaces propose matière à réflexion sur la mise en place d’espaces au sein de la ville et comment ceux-ci évoluent. Est aussi analysée la manière avec laquelle la ZUP est passée d’un espace valorisé à un lieu d’exclusion. De la même manière, est décortiqué le transfert d’image qui s’est opéré pour les lotissements périurbains qui sont devenus le « symbole de la dérive des classes moyennes repliées sur leur espace d’habitation ». Cette modification n’est pas obligatoirement le résultat de l’enclosure même si, lui est reproché « la création d’un entre soi, protecteur ou sélectif, que renvoie leur rapport à l’espace. » Pour Stéphanie Vermeersch, il faut comprendre ces installations de classes moyennes dans les quartiers centraux ou périphériques dans le contexte des « velléités anti-individualistes de mai 1968 ». En partant du cas d’une opération d’habitat social autogéré, situé dans la périphérie d’Angers, et entamée dans les années 1983 sous le titre de « Habitat différent. Vivre ensemble mais chacun chez soi », elle montre comment s’est constitué un entre-soi qui se maintient, y compris, lors de la sélection de nouveaux locataires. L’analyse des discours développés par la presse écrite lors de la campagne présidentielle de 2007, par Jean Rivière, montre que ce sont surtout les « quartiers où Darty n’ose plus aller » qui retiennent l’attention des journalistes (dans 62% des articles du corpus). Les espaces périurbains, le « Tiers espace » de Martin Vanier, est quasi absent en tant que tel. Les communes citées par les journaux font partie de l’espace à dominante urbaine dont la définition est basée sur les mobilités. Le périurbain est « invisible », il est assigné à l’espace rural, comme si rien n’avait jamais changé et que la dichotomie ville – campagne existait encore !

Une place est faite aussi aux « dépossédés » : prisonniers, enfants des rues, locataires du logement social. Le cas des prisonniers étudiants est particulièrement intéressant. Ces détenus étudiant dans le cadre de leur incarcération ont un rapport à l’espace différent. Ils sont des sortes de privilégiés. Plutôt issus de catégories socioprofessionnelles plus favorables que la moyenne des autres détenus, ils ont un niveau scolaire de base supérieur par rapport aux autres prisonniers. Etre étudiant facilite l’accès à une cellule individuelle ou partagée avec un autre détenu étudiant. Il permet aussi d’être plus mobile au sein de la prison (accès à la bibliothèque, possibilité de travailler en groupe). Tout cela n’est possible qu’en échange d’un bon comportement en détention (« système bonbon » de Gilles Chantraine, 2006). Ces privilèges s’apparentent en partie à ceux des auxiliaires, des détenus faiblement rémunérés qui travaillent au sein de la prison et peuvent ainsi sortir de leur cellule. Il est aussi possible d’être auxiliaire et étudiant et de cumuler ainsi les avantages. La cellule devient pour beaucoup un lieu habité, un lieu de refuge, à l’écart de l’ensemble de la population carcérale. Le statut à part des étudiants n’est pas perçu de manière positive par les autres détenus. Le capital scolaire et social des étudiants leur permet de détourner un système contraint à leur avantage. Ils sont les gagnants de la « lutte des places » mise en avant par Michel Lussault.

Voici, au final, dans ce volume, une grande variété des cas proposés. De quoi alimenter une réflexion fructueuse et non déterministe ! L’un des mérites de cet ouvrage est bien de présenter des articles qui posent la question de savoir si c’est l’installation de populations qui déclenche la valorisation d’un espace ou si c’est une « intervention sur l’espace (aménagements divers, désenclavement) qui attirent les groupes sociaux » dans certains espaces. Il apparaît ainsi qu’il ne suffit pas de mettre en œuvre des équipements pour que ceux-ci soient appropriés par des populations, le « génie des lieux » est le résultat d’une alchimie complexe qui échappe en partie aux aménageurs comme aux chercheurs en sciences sociales !

Catherine Didier-Fèvre © Les Clionautes