Le géographe béninois John Igué, directeur scientifique du Laboratoire d’analyse régionale et d’expertise sociale de Cotonou, est l’auteur d’un essai sur l’occupation de l’espace en Afrique de l’Ouest, parue aux éditions Karthala. Le choix et l’organisation des différents chapitres pourraient sembler sans cohérence, mais il s’agit en réalité d’un recueil de travaux de l’auteur ce qui permet, comme celui-ci le souligne dans l’introduction, de retracer « la carrière d’un géographe béninois ».

Le premier chapitre, « Le Bénin, Etat – entrepôt », souligne la domination économique du Bénin par son voisin nigérian, avec qui il partage plus de 800 km de frontières. Afin de faire face à la mondialisation, le Bénin s’est lancé dans un vaste programme de réformes visant plus particulièrement la démocratisation, la « bonne gouvernance » et l’adaptation macro-économique. Aux commerçants béninois traditionnels, en particulier les Yoruba et les « femmes importatrices », à préciser s’ajoutent désormais les marchands étrangers, Ibo, Arabes et Indo – pakistanais, ce qui dynamise le secteur privé. Les lieux d’échanges commerciaux que sont les marchés sont parfois hérités de l’époque de la traite esclavagiste, ce qui permet à l’auteur de rappeler l’ancienneté du réseau marchand. Nombre de marchés traditionnels ont conservé leur emplacement central dans la ville béninoise, contrairement aux marchés agricoles postérieurs, situés généralement en périphérie. Le chapitre s’achève par un riche et intéressant article sur le commerce du cacao, pour lequel on aurait pu souhaiter une mise à jour ou une relecture plus récente.

Le deuxième chapitre, « Le Nigeria, un pouvoir en puissance », vise à présenter ce géant africain dans sa géographie interne et dans ses liens avec ses voisins. Les 120 millions de Nigérians sont répartis en 373 ethnies, « largement dominés par les Haoussa – Peul (environ 30 millions), les Yoruba (environ 20 millions) et les Ibo (environ 15 millions) ». Le territoire apparaît comme un « résumé » de l’Afrique de l’Ouest avec ses cinq écosystèmes : la côte, la forêt des bas plateaux, le « Middle Belt » (zone de transition entre les milieux mais aussi entre les civilisations), les hauts plateaux volcaniques et le Sahel. Le pays doit en partie sa forte urbanisation à son histoire, marquée par la ville, traditionnelle (Kano, Maiduguri au Nord, Ibadan, Lagos au Sud), héritée de la colonisation anglaise (Kaduna, Port Harcourt) ou nouvelle (Abuja, capitale fédérale depuis 1983). Afin de permettre un aménagement du territoire équilibré, le Nigeria est, à partir de 1976, une fédération, regroupant 19 Etats d’abord, 36 depuis 1996. Comme le souligne l’auteur, « la création de ces Etats offre désormais au Nigeria un maillage territorial fort intéressant pour la régionalisation du développement », dont les effets sont limités par le système de la double nationalité définitive. Fondé sur une planification difficile à mettre en œuvre, le développement du Nigeria semble certes lent, mais sa volonté d’aménagement du territoire peut devenir un atout, d’autant qu’une réelle stratégie d’intégration régionale semble se réaliser. Enfin, l’auteur s’attarde sur le cas des espaces périphériques du Nigeria et plus particulièrement sur les relations commerciales bénino – nigérianes.

Le troisième chapitre, « Les formes d’organisation spatiale », insiste sur le rôle de l’habitat et sur les échanges régionaux. Le réseau urbain d’Afrique de l’Ouest se constitue de trois strates :
– les métropoles régionales millionnaires rayonnant sur toute l’Afrique de l’Ouest (Lagos, Abidjan, Dakar, Accra, voire Lomé et Ouagadougou), très attractives ;
– les métropoles nationales (Cotonou, Conakry, Niamey, Bamako, Nouakchott) d’une ouverture inégale ;
– les villes de l’intérieur (Ibadan, Kaduna).
L’auteur propose un autre découpage, celui des villes – marchés.
Il distingue les villes – marchés de distribution primaire, de celles de transit et des villes – marchés frontalières, ces dernières pouvant devenir le cœur actif de coopérations bilatérales. Ces périphéries nationales, parfois marquées par le phénomène de villes – jumelles, sont nombreuses, très actives et fortement diversifiées.

Le quatrième chapitre, « Villes et sociétés », étudie la question urbaine dans une région frappée par une « urbanisation galopante ». Les textes sur les politiques urbaines (1988), les liens entre urbanisation, culture et Etat – Nation au Nigeria (1986), voire sur l’origine des villes yoruba (1979) auraient mérité là encore une réactualisation. Seuls l’analyse démographique de l’urbanisation (1996) et l’étude de la dégradation du milieu urbain (1996) restent encore, pour un temps limité, d’actualité.

Le cinquième chapitre, « Marchés et marchands d’Afrique de l’Ouest », vise à dessiner une géographie commerciale de l’Afrique de l’Ouest. Il souffre des mêmes défauts que le quatrième chapitre, les articles qu’ils regroupent remontant à 1994, 1983 et 1987. Ainsi, le schéma du commerce « officiel, parallèle ou clandestin » reste-t-il encore valable, plus de vingt ans après ? Qu’est devenue, depuis 1987, la ville – marché de Malanville à la frontière entre Bénin et Niger ?

L’ouvrage est donc inégal d’utilisation, certaines réflexions n’ayant pas été rafraîchies. En revanche, la vigueur des démonstrations même les plus anciennes reste très utile et très stimulante. On est ainsi très loin de la vision que certains voudraient donner d’une Afrique de l’Ouest qui seraient entièrement dépendante d’une assistance extérieure. Bien au contraire, il ressort de l’ouvrage que cette région possède en elle-même les ressorts nécessaires à son développement.

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