A défaut d’être un géographe professionnel, le journaliste Olivier Da Lage connaît bien l’espace qu’il étudie. Aujourd’hui chef du service international de RFI, il fut longtemps reporter au Moyen-Orient et a rédigé de nombreux articles sur la région du Golfe. Il est, par ailleurs, un théoricien du journalisme. En novembre 2006 est parue une réédition de son ouvrage sorti en 1996, Géopolitique de l’Arabie Saoudite.

L’ouvrage est divisé en 5 chapitres, qui sont davantage des flashs sur des thèmes particuliers que les éléments d’une véritable réflexion organisée et problématisée. Cela a le mérite de permettre une lecture facile et aléatoire du livre.

Dans un premier point, l’auteur tente d’analyser les contraintes géostratégiques auxquelles l’Arabie Saoudite est appelée à répondre. Comme on peut s’y attendre, après une rapide présentation du territoire, cette analyse débute par le rôle primordial du pétrole, à la fois « bénédiction » et « malédiction » pour la région, placée « sous la surveillance, pour ne pas dire la tutelle, des grands pays industriels ». L’Arabie Saoudite mérite sans aucun doute le qualificatif de « puissance pétrolière », ce que démontre aisément l’auteur en étudiant la place du pays au sein de l’O.P.E.P. Cependant, ce pays fait figure de colosse aux pieds d’argile. Ses vulnérabilités tiennent moins au climat, pourtant très difficile, qu’à son hydrographie marquée par l’absence de cours d’eau et par une utilisation intensive des nombreuses nappes dont « le niveau baisse dangereusement ». L’auteur voit dans ce milieu hostile l’explication du sous-peuplement du pays, à peine plus peuplé que son voisin yéménite. Le recours à la main d’œuvre immigrée y devient dès lors nécessaire, malgré de récentes dispositions répressives. Ce recours, par le jeu des pressions possibles sur les pays d’origine, en partie tributaires des « transferts des expatriés », constitue autant un atout politique qu’une vulnérabilité. L’analyse fouillée de la question des frontières et de l’évolution de leur tracé clôt cet exposé sur les contraintes.

Le deuxième chapitre est consacré à l’étude de l’identité politique saoudienne. On s’étonnera du choix de l’auteur de ne pas y joindre la présentation du système politique, qui fait l’objet du 4e chapitre. Olivier Da Lage insiste sur deux éléments fondamentaux de cette identité : le pays est l’Etat d’une famille, les Al Saoud, qui ont donné leur nom à l’Arabie Saoudite ; par ailleurs, cet Etat se réclame de l’islam wahhabite. Seule la pratique musulmane y est autorisée, les non-musulmans étant d’ailleurs interdits dans l’enceinte sacrée de Médine et de La Mecque. Ces deux fondements ne semblent guère suffire à asseoir une conscience nationale plutôt fragile. Le système politique, objet du 4e chapitre, est certes une monarchie, mais l’auteur pose aussi, à travers l’expérience historique autant qu’à travers le problème de la succession, la question de l’oligarchie confiscant le pouvoir. La charia constituant le fondement juridique de l’Etat saoudien, la traditionnelle « police religieuse » composée des mouttawayn exerce un contrôle sévère sur le respect par tous des règles du wahabbisme. D’autres groupes musulmans, se situant dans la lignée des révoltes bédouines contre le roi Abdelaziz, exigent une application plus stricte encore de la charia, refusant par exemple le droit « pour un Etat véritablement musulman d’avoir des relations diplomatiques avec des Etats infidèles ».

Les relations extérieures font d’ailleurs l’objet du chapitre 5. Leur fondement en est bien évidemment l’Islam, ce qui est à l’origine de la rivalité de l’Arabie Saoudite avec l’Iran. Les liens que le pays entretient avec les pays occidentaux se résument par la formule « protecteurs, clients et fournisseurs ». L’amitié ancienne avec les Etats-Unis est troublée par les conséquences des attentats du 11 septembre 2001. Les relations entre l’Arabie Saoudite et l’Union Européenne sont des plus complexes : elles alternent tensions et cordialité avec la Grande-Bretagne, ignorance, énervement et partenariat avec la France. Les liens entre l’Arabie Saoudite et l’ensemble du globe sont ensuite étudiés, en trois zones : la Péninsule Arabique, le Moyen Orient et le reste du monde, ce qui permet de mieux situer le jeu diplomatique du pays.

Enfin, l’auteur dresse une esquisse de géographie régionale de l’Arabie Saoudite dans son 3e chapitre : du Nedj central ressort l’image d’une région « sauvage », au climat « d’une grande dureté » et peuplée de « barbares » fidèles à un wahabbisme strict. Il est prolongé au sud par le très hostile Roub Al Khali. Le djebel Chammar et le Grand Néfoud servent de « transition entre le Nedj et le Proche-Orient », tandis que le Hassa, sur la côte du Golfe Persique, concentre l’essentiel des ressources pétrolières connues. Le Hedjaz, ouvert sur la Mer Rouge, est de tradition commerçante, tandis que, plus au Sud, l’Assir apparaît comme une poche yéménite dans le pays, « loin de l’austérité nedjie ».

L’ouvrage se termine par un utile glossaire assez complet. On pourra regretter l’absence d’une réflexion véritablement cartographique, le choix étant plutôt de suivre les informations d’un journalisme pointu que la démonstration d’un géographe. Cependant, cet ouvrage, y compris dans les cartes, apporte de très nombreux renseignements et permet de nuancer une image souvent monolithique de l’Arabie Saoudite.

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