Un roman graphique pour un sujet très sérieux, l’empoisonnement des sols antillais par un insecticide longtemps utilisé pour la culture de la banane : le chlordécone.

Le documentaire graphique de Jessica Oublié est l’aboutissement de deux années qu’elle a consacré à cette enquête, un gros travail de documentation pour décrire ces tropiques toxiques. Son but informer sur un scandale mais aussi ouvrir des portes vers l’espoir de solutions pour demain.

Un album positif sur un sujet au combien toxique du chlordécone

L’histoire commence en novembre 1992

Au Lamentin, en Martinique une manifestation réunis des producteurs de bananes en lutte contre la concurrence des bananes africaines sur les marchés de la métropole. Une occasion de rappeler les hauts et les bas du marché très concurrentiel de ce fruit tropical et les raisons de la monoculture antillaise. De solides références documentaires pour étayer une étude de cas que le professeur pourrait associer à un jeu de simulation économique déjà ancien et un peu long mais efficace : le jeu de la banane 1.

Une réalité quotidienne de la pollution de l’eau au chlroredéconne

2018, fraîchement débarquée la narratrice entend parler de la pollution de l’eau, du chloredécone et de ses effets sur l’alimentation et la santé des populations. Le tableau de la contamination impose la question : comment vivre dans un environnement contaminé.

Le choix du récit permet à tout lecteur, même ignorant du scandale, de se plonger dans cette histoire, de s’identifier aux personnages et donc de se sentir concerné.

L’enquête aux États-Unis

L’enquête conduit la narratrice sur les traces de la molécule née en Virginie sous le nom de kepone. Elle rapporte l’histoire de produit, de son industrie et de ses dégâts sur l’environnement, la santé des travailleurs, des habitants. Le kepone, devenu chloredécone a envahi le monde (carte p. 56-57).

Vingt-deux ans d’épandage sous les tropiques toxiques pour de 70 à 700 ans

Retour en France, en Martinique pour une enquête dans une bananeraie où le lecteur découvre comment le chloredécone a été promus seul adversaire du charançon du bananier et comment il s’est retrouvé dans l’environnement. Un bilan catastrophique aux plans sanitaire, environnemental, économique aussi par ces conséquences sur l’aquaculture et la pêche.

Première image positive : l’utilisation des pièges à phéromones contre le charançon.

Persistance dans les eaux, les sols du chlordécone

Comment protéger les populations menacées par la consommation quotidienne ? Ce sont tous les aliments qui posent problème, les légumes, les produits animaux, des œufs à la viande, toutes les productions sur d’anciennes bananeraies. L’auteur évoque les travaux de recherche du CIRAD2 pour aider les populations par exemple à travers l’expérience Jardins familiaux.

Bilan épidémiologique

En quelques planches il est question de comptabilité des morts et comment un bilan chiffré reste difficile à établir puisque la responsabilité de le chlodécone n’est reconnue par les instances d’État ni pour les cancers, ni comme perturbateur endocrinien et donc ni pour la mortalité. Un parallèle avec le scandale de l’amiante permet de comprendre la frilosité des institutions à déclarer la molécule comme cancérigène. Ce chapitre décrit la lutte des médecins, des victimes pour le faire reconnaître.

Un combat pour les environnementalistes

Jessica Oublié relate les premiers combats contre les pesticides depuis Rachel Carson aux États-Unis, les lacunes des procédures d’homologation des produits phytosanitaires et le poids des lobbies.

Scandale empêché

Finalement elle y voit une responsabilité collective, comme une cécité à cause des conséquences économiques qu’aurait entraîné l’arrêt du chlorecone. L’auteure dresse un portrait des lanceurs d’alerte et le combat des associations aux Antilles comme en métropole.

Et si le passé esclavagiste…

Passé esclavagiste, conscience collective antillaise, et si cela avait une influence ? Le poids économique et politique des Békés est montré ainsi que les antagonismes sociaux qui demeurent très forts.

Le plan banane

Le chapitre 10 montre la place de l’UE en matière de législation sur les substances nocives3 et ses limites.

En 2008 un Plan banane durable est lancé. Qui permet une comparaison avec la situation actuelle au Cameroun, en Côte d’Ivoire où le chloredécone est toujours utilisé.
L’auteur fait en parallèle avec une autre substance à problème : le glyphosate.

En attendant Kisa nou fé ?

Que faisons-nous ? Des solutions apparaissent pour réhabiliter les sols contaminés comme le développement de l’arboriculture, la création d’un label Zéro chloredécone et la diffusion des connaissances disponibles et des bonnes pratiques par l’INRA. Depuis il existe me une filière banane bio. Ce chapitre est l’occasion de mettre en lumière l’action de personnes motives, le rôle possible des citoyens malgré l’action limitée de l’État.

Repenser le monde

Ce dernier chapitre élargit le propos face à l’ampleur mondiale des problèmes de pollution, quelques penseurs de l’anthropocène sont invités à s’exprimer : Dominique Bourg, Malcom Ferdinand4, Cynthia Fleury ou Tanella Boni.

 

Un reportage sérieux pour une BD bien construite qui tient le lecteur en haleine. Les dessins de Nicola Gobbi, les couleurs de Kathrine Avraam et les photographies de  Vinciane Lebrun renforcent le témoignage de cette enquête

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Pour compléter :

Nos collègues ultramarins  trouveront un Dossier chlordécone sur le site Région académique de Guadeloupe

Un autre dossier Le chlordécone, poison des Antilles

A écouter en podcast une émission sur France-Inter : Chlordécone, le poison des Antilles

A voir un documentaire de 2010 : « CHLORDECONE, POISON DURABLE » (chaîne Public Sénat)

Présentation sur le site de l’éditeur

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1 On peut signaler aussi un film documentaire de François Cardona, chez Babel Presse Production, sélectionné pour le festival ALIMENTERRE 2017  : Hold up sur la banane Fiche de présentation du film https://www.alimenterre.org/system/files/films/pdf/hold-up-sur-la-banane-vf-aft.pdf

3 Schéma de la procédure d’homologation p. 187

4 Auteur de Une écologie décoloniale. Penser l’écologie depuis le monde caribéen, Paris: Le Seuil, 2019