Une œuvre majeure de la BD française
L’œuvre de François Bourgeon est certainement connue de beaucoup parmi les lecteurs et auteurs de la Cliothèque. Le scénariste et auteur de bandes dessinées est avant tout reconnu pour sa série Les passagers du vent qui, au travers de ses héroïnes, dépeint l’histoire sociale et politique française du XIXe siècle. Par une série de neuf tomes, débutée dans les années 1980, François Bourgeon est entré dans les bibliothèques de nombreux Français. C’est au tome huit et neuf notamment, prénommés « Le sang des cerises », que Michel Thiébaut consacre son travail et vient terminer l’analyse engagée depuis 2017.
En suivant Zabo, plongée dans la Commune, François Bourgeon se focalise sur cet événement majeur de l’histoire politique française, mythe fondateur des espérances des gauches de l’Hexagone et d’ailleurs (rappelons les écrits de Marx sur l’expérience des communards). Travail documenté et riche en détails, l’œuvre de François Bourgeon est ici analysée et complétée du travail de Michel Thiébaut pour apporter le complément historique à même de mieux éclairer notre découverte ou redécouverte.
Un large complément historique sur la Commune
Le travail de Michel Thiébaut se destine avant tout un public peu connaisseur de la période mouvementée précédant et suivant la Commune. Les 70 premières pages sont consacrées à la recontextualisation des multiples crises institutionnelles précipitant la naissance de la IIIe République, à rebours dans un pays largement monarchiste à ce moment. Le 18 mars, la Commune et la Semaine Sanglante, la répression judiciaire et la déportation en Nouvelle-Calédonie, Michel Thiébaut aborde largement et avec minutie chaque étape du parcours des personnages de la bande dessinée.
À travers Zabo se dessine la trajectoire de toute la Commune et de ses acteurs, notamment féminins. L’iconographie, riche et diverse, appuie le récit. Le lecteur profane trouvera une riche matière pour sa curiosité, l’historien pourra quant à lui (re)découvrir des lieux (Auberive) et des actrices de la commune (Nathalie Le Mel) souvent ignorésNathalie Le Mel a été récemment l’objet d’une bande dessinée : Des graines sous la neige, publiée en 2017.
Un travail documentaire approfondi
Au-delà des précisions historiques, Michel Thiébaut revient sur le travail minutieux mené par François Bourgeon pour nourrir son récit et reconstituer les ambiances, quartiers et espaces traversés par nos héroïnes rebelles. Montmartre est un personnage à lui seul, mis en lumière au retour de la déportation dans la décennie 1880. Il aura fallu à l’auteur se plonger dans les archives et les vastes ressources pour reconstruire au mieux l’espace où vont évoluer Klervi et Zabo (devenu Clara).
Montmartre est un quartier où vit la mémoire de la Commune, à l’ombre du Sacré-Cœur en construction et chargé de laver les péchés des renégats et pétroleuses, si lourdement conspués par le verbe de leurs contemporainsCitons à cet effet Alexandre Dumas fils : « Nous ne dirons rien de ces femelles, par respect pour les femmes à qui elles ressemblent quand elles sont mortes. ». Un quartier d’artistes dont la réputation naîtra à la même époque. Mais aussi un quartier de migration pour les foules bretonnes ayant fui la pauvreté de leur région natale afin d’essayer de trouver fortune à la capitale. Klervi, jeune fille ne parlant que le breton, illustre la dynamique sociale alors à l’œuvre.
La jeune femme sera mise à rude épreuve, devant rapidement apprendre le français pour cesser de baragouiner, chassée de sa maison après avoir refusé, comme bonne, les avances de Monsieur et avoir brisé le cristal du service. Elle est obligée alors de « faire le tapin » tout en gardant le secret espoir de fuir la misère et la peine. Ce qu’elle parviendra à faire en toute fin de bande dessinée en rejoignant sa Bretagne natale accompagnée de Clara/Zabo.
Le travail de Michel Thiébaut, en contextualisant, annotant et complétant l’œuvre de François Bourgeon, offre une relecture plaisante du Le sang des cerises. Une occasion de ce replonger dans cette saga mythique.
