Amadou Ndiaye, socio-économiste, formateur en éducation non formelle et aujourd’hui enseignant à l’université Gaston Berger de St Louis du Sénégal présente une analyse des politiques agricoles de son pays de la veille de l’indépendance à il y a quelques mois, 60 ans d’évolution de l’agriculture d’un pays où la paysannerie représente encore l’essentiel de la population active. Des structures de production encore traditionnelles, de faibles rendements, une formation professionnelle quasi inexistante expliquent en parti l’échec des politiques agricoles. L’auteur propose des pistes pour un développement agricole et rural.

Les politiques agricoles

L’auteur analyse les finalités et objectifs des systèmes agricoles traditionnels et coloniaux ainsi que les politiques mises en œuvre depuis l’indépendance pour sortir d’une agriculture céréalière déficitaire et de la mono-culture d’exportation de l’arachide.

En 1958, l’agriculture est basée sur la culture céréalière (mil ou riz en Casamance) en période d’hivernage (saison des pluies) associée à un élevage sédentaire, semi-transhumant ou transhumant dans la zone sylvopastorale de la vallée du fleuve Sénégal. Les politiques de l’époque coloniale ont surtout visé l’élevage et l’introduction de la culture arachidière. L’auteur rappelle les premiers et anciens projets d’aménagement de la vallée du Sénégal, dès les années 20.

Pour chaque période depuis l’indépendance il décrit les grands axes des politiques agricoles et les structures mises en place pour leur réalisation. Remettant en cause l’économie de traite, ces politiques visent à une sénégalisation de la filière de l’arachide, une diversification des productions, la mise en place d’une organisation de base du développement : la communauté rurale et la formation de techniciens agricoles pour accompagner les paysans, le développement des coopératives.
Chaque période garde une couleur particulière : 1958-1964 une économie agricole encadrée ; 1965-1979 décentralisation et spécialisation des zones agro-écologiques ; 1979-1997: la politique d’ajustement structurel débouche sur une libéralisation et un désengagement de l’État; 1997-2012 politique de relance des infrastructures, programme de développement local.
Cette dernière période est décrite avec plus de détail : relance de la recherche agronomique, loi d’orientation agro-sylvo-pastorale de 2004, lancement en 2008 de la GOANA (Grande Offensive pour la Nourriture et l’Abondance et son plan d’installation des jeunes comme réponse aux mouvements migratoires.

Un modèle d’analyse de l’agriculture : le système de développement agricole et rural

Partant d’une définition de la FAO fondée sur les ressources naturelles, le type d’activités agricoles, les technologies utilisées et la relation entre le secteur primaire et les secteurs secondaire et tertiaire Amadou Ndiaye propose une méthodologie d’analyse associant ces données à une étude des problèmes stratégiques au niveau des acteurs et/ou au niveau de l’État, soit un modèle systémique sociopolitique et économique de l’agriculture qui l’amène à définir 3 types de sociétés agricoles :

  • une société traditionnelle et lignagère fortement autarcique
  • une société rurale plus en rapport avec la ville
  • une société urbanisée où les agriculteurs sont de véritables professionnels et intégrés à la société en terme d’accès aux services sociaux de base.
    Appuyant sa réflexion sur les travaux des sociologues Redfield et Rambaud
    l’auteur décrit 3 systèmes : « paysannal », « agricultural » « et agro-industriel ».

L’étude qui suit est consacrée aux structures de production, aux coopératives, GIE, associations et cadres de concertation. La loi d’orientation de 2004 permet une définition du métier d’agriculteur, de l’exploitation agricole ainsi que des organisations professionnelles.
Un long chapitre est consacré à l’éducation agricole : formation initiale (il n’existe que 2 lycées agricoles à Thies et Bignona), formation des agents techniques à partir du brevet et enseignement supérieur d’une part, formation non formelle d’autre part: vulgarisation; animation rurale, encadrement des coopérateurs. Un bilan mitigé, certes le Sénégal a formé des cadres techniques mais peu les agriculteurs, les conseils en matière de gestion manquent.
L’auteur analyse dans le chapitre suivant les appuis et subventions à l’agriculture sur les 60 dernières années.

L’agriculture sénégalaise : caractérisation et prospective

Pour l’auteur l’absence d’une définition claire de l’exploitation agricole comme unité économique viable a focalisé les actions sur nombre d’acteurs qui n’étaient pas des exploitants, les organisations civiles et politiques se sont développés au dépens des regroupements professionnels, le système de financement a fait faillite et les subventions furent plus souvent politiques qu’économiques. Enfin la formation a été plus tournée vers les cadres que vers les producteurs eux-mêmes.

Partant de ce constat il propose des pistes prospectives: réflexion économique de l’exploitation comme structure de base, développement d’organisations agricoles spécialisées notamment pour la structuration des marchés, mise en place d’offices d’aménagement. Il propose une redéfinition du financement de l’agriculture et des aides en éliminant les multiples intermédiaires, le développement d’un système d’assurance et un accès au crédit. Enfin il définit des pistes de rénovation et de réorientation de l’éducation agricole.
Dans un dernier chapitre l’auteur liste les différents facteurs limitant du développement agricole: qualité des semences, sélection animale, maîtrise du foncier et de l’eau.

Un livre clair qui rompt avec une vision négative de l’agriculture en Afrique et montre l’existence d’une réelle réflexion.