Il commence par une chronologie claire et détaillée où l’on remarque néanmoins, là comme dans d’autres parties où elle aurait eu sa place, l’absence de la période Napoléon III, pourtant originale et remarquée par des historiens algériens. Mais le personnage et la situation de l’Algérie d’alors sont peut être trop controversés pour un ouvrage qui se veut consensuel, et donc parfois un peu artificiellement équilibré.
Evoquons rapidement ces « idées reçues » :
1) «L’Algérie a toujours été colonisée ». Un historique précis nuance cette affirmation. La question devient délicate quand est abordée l’époque française et la guerre. Le traitement « équilibré » mène à épargner relativement le FLN. La controverse sur le nombre de morts est évoquée sans signaler les travaux démographiques qui le minorent encore.
2) « L’Algérie de 1820 était en friche » donne lieu également à une rédaction nuancée tant pour l’agriculture que pour le système éducatif.
3) « Les Algériens ont toujours milité pour l’indépendance » : affirmation cette fois nettement (et justement) réfutée, notamment faute « d’Algérie », idée nationale dont l’apparition très progressive au XXème siècle est bien décrite.
4) Réfutation aussi de l’affirmation : « les Harkis ont fait le mauvais choix » en exposant le contexte largement tribal des ralliements à chaque camp. La lenteur de la prise de conscience du problème en France et le blocage officiel algérien expliquent la persistance de cette question aujourd’hui.
5) Réfutation également de la légende « Les Pieds-Noirs étaient des nantis ». Rien à rajouter à ces quelques pages précises, sinon qu’est peut être poussée un peu loin la démonstration de « l’innocence » des Pieds-noirs.
6) Réponse exacte également à l’affirmation « les Juifs algériens sont des Pieds-Noirs » : non historiquement, oui finalement.
7) « L’Algérie est un pays arabe ». Réponse : pas complètement, du fait du « problème berbère » que l’auteur relativise en le limitant au plan linguistique. N’y a-t-il que cela ? J’ai entendu certains Algériens déplorer être placés dans la même « case » que le Moyen-Orient. Bien sur, c’est contraire à tout discours algérien, officiel comme scolaire, et je comprends que la question ne soit pas soulevée.
8) « L’Algérie est un pays francophone ». Réponse nuancée : aucune langue n’est bien enseignée, le français reste largement connu mais mal possédé et surtout l’état d’esprit qui empoisonne cette question (contrairement au Maroc ou en Tunisie) est calmement expliqué. Manque à mon avis le rôle de la transmission du français par les plus de 50 ans via les entreprises sans lesquelles le relatif maintien de notre langue est incompréhensible.
9) « L’Algérie est une terre de violence » donne lieu là aussi à un rappel historique équilibré sans conclusion nette … Ce qui se comprend.
10) « L’Algérie a sombré dans un système de type soviétique » : l’affirmation vient de la coopération avec l’URSS et du régime de parti unique jusqu’en 1988. L’auteur rappelle que le « vrai » régime est celui d’un pouvoir militaire lancé dans une «révolution industrielle d’Etat » … qui a échoué. La libéralisation « chaotique » actuelle est évoquée sans le rappel du « fond du gouffre » où l’économie Algérie était tombée en 1994, et qui a rendu inévitable ce tournant politico-économique.
11) « L’Algérie est une dictature militaire » est l’occasion d’un bon rappel historique, dont la disparition de l’armée de l’intérieur du fait de la « victoire militaire française » (je cite), affirmation politiquement incorrecte immédiatement équilibrée par celle de « défaite politique », qui s’applique pourtant mal à la stratégie gaullienne. Puis la description d’une armée paralysée par ses divisions permet de répondre « oui » jusqu’en 1988 et de se borner à des données contradictoires ensuite.
12) « C’est le FLN qui dirige l’Algérie depuis 1962 » Réponse : non, c’est l’armée, car jusqu’en 1989, le parti ne fut qu’une courroie de transmission. Il prit une certaine autonomie en 1992 et en fut puni par la création du PND aux élections de 1997. Remis en selle en 2001, le FLN gagne les élections de 2002, mais son candidat est écrasé en 2004 et le président Bouteflika réélu. Finalement, il pâtit du scepticisme des Algériens envers tous les partis politiques.
13) « Il n’y a pas de presse libre en Algérie » Vrai jusqu’en 1988 et faux à partir de 1990 avec la floraison de journaux indépendants. Cette liberté a été rognée depuis, mais la majorité des journaux reste « plutôt » d’opposition. L’Etat a gardé comme moyen de pression les imprimeries et la distribution de la publicité étatique. La libéralisation économique vient toutefois de permettre la création de 2 imprimeries privées et l’explosion de la publicité indépendante. Les islamistes de leur côté ont sans cesse menacé les journalistes et en ont assassiné 62.
Le résultat global serait une presse plus bouillonnante que compétente.
14) « L’armée manipule les islamistes » (le fameux « qui tue qui ? »). Réponse négative avec nuances : si les islamistes sont délibérément et ostensiblement massacreurs (« il faut tuer les mécréants », c’est-à-dire ceux d’un autre avis), l’armée réagit très brutalement (on retrouve les schémas de la guerre d’indépendance) et surtout la séparation des camps n’est pas nette. En effet le pouvoir est lui-même très « islamique » et avait souvent aidé les islamistes pour lutter contre les « laïques » ou « les démocrates ».
Ce livre me paraît solide et « évident », mais je sais que cette « évidence » n’est pas partagée par tous, même dans des milieux enseignants. Sa grande force (et sa petite faiblesse) est une légère indulgence, la vérité complète étant pire et insupportable pour tous. Mais cet apaisement était indispensable pour rappeler les principales données sans poser trop de problèmes diplomatiques (à tous les sens du terme). Bref une vulgarisation utile et réussie.
Copyright Clionautes
Auteur : Yves Montenay dont un des axes de travail est la « démographie politique des pays arabes d’Afrique »