L’équipe du « Dessous des cartes » récidive avec la publication du volume 2 de l’atlas du Dessous des cartes, faisant suite au premier opus paru en 2005. Avec cette livraison, la panoplie du Dessous des cartes s’étoffe donc puisque entre les DVD thématiques, l’intégrale et les pochettes pédagogiques, les propositions sont variées.

Dans l’introduction, Virginie Raisson du LEPAC (Laboratoire d’Etudes Politiques et Cartographiques) pose les enjeux de ce deuxième volume. Elle insiste sur le fait que si le premier volume était davantage un constat, celui-ci se veut davantage prospectif. Deux grandes parties, les chocs de la mondialisation et le redéploiement des rapports de force, structurent de multiples entrées. Ainsi dans la première partie, les auteurs proposent un développement sur un monde plus grand, plus fluide, moins égal, plus risqué, mais aussi plus fragile. Un utile index complète l’ensemble.


La méthode

Les auteurs invitent, et c’est salutaire, à la complexité. Ce n’est pas parce que les choses sont compliquées qu’on ne peut les comprendre. Les auteurs ont tout de suite la volonté de replacer les enjeux dans une perspective historique. Ils soulignent que toute décision engage l’avenir comme le montre la récente intervention en Irak. Cet atlas se veut un outil pour l’honnête homme, une aide à penser et non un prêt à penser : « Qu’il s’agisse des questions climatiques, énergétiques ou de biodiversité, nous ne serons rattrapés que par notre passivité et notre immobilisme. Pas par la fatalité ni par l’ignorance. Car nous savons. Et nous pouvons. » Les auteurs insistent sur le souhaitable, le voulu et le réalisé : connaître les enjeux du climat n’impliquent pas toujours un comportement en adéquation ; l’homme est paradoxal. La méthode d’enquête du LEPAC insiste sur les permanences et les changements. Les auteurs proposent d’isoler quelques incontournables d’aujourd’hui et de demain : la question de l’énergie comme le montre le récent Festival International de Géographie, la question de l’Etat et de la mondialisation, la question du climat.


Pour la classe

Cet atlas se révèle un guide précieux pour nos cours : préparation mais aussi utilisation avec les élèves. En lycée, il faut certes habituer les élèves à une certaine densité d’informations que représente chaque numéro du dessous des cartes et que l’on retrouve aussi ici. Densité, complexité ; on y revient. Soulignons la présence de petits encadrés très pratiques comme VIH et SIDA page 31, indice de Gini et IDH (page 47), les dispositifs de la guerre froide (page 92) ou encore page 74 les usages de l’eau.
Citons aussi l’émission oui/non sur la Turquie où autour de quelques thématiques, Jean-Christophe Victor argumente en faveur de l’intégration de la Turquie dans l’Union européenne puis contre. Formidable exercice de réflexion et de libre arbitre : à chacun de se déterminer, à chacun de penser. Cela est utilisable en classe de première et fonctionne très bien.
De nombreux thèmes abordés dans l’atlas sont traités dans les programmes : mondialisation évidemment, inégalités, question du climat, de l’énergie…Le chapitre sur « mesurer la mondialisation » est passionnant. Est utile aussi le passage sur Dubai


La chasse aux idées reçues

Tout évoquer de cet atlas relèverait de la gageure. Ne pouvant tout dire, j’ai choisi de souligner quelques idées reçues qui sont éclairées : c’est évidemment arbitraire mais proposons-en quelques-unes. La Chine, par exemple, est aujourd’hui l’objet de beaucoup d’interrogations. En quelques paragraphes, beaucoup est dit sur le pays et on peut partir de ce texte de base pour creuser tel ou tel aspect : croissance économique, démographie… La Chine s’enrichit, mais une grande partie des habitants ne le voit pas, ne le ressent pas. Cette puissance dite émergente serait-elle aujourd’hui éveillée ? Jean-Christophe Victor s’interroge sur la croissance chinoise qui s’accompagne d’une augmentation des inégalités : cette question a des implications pour le pouvoir politique chinois. Un petit encadré est consacré à la pénurie de femmes pour demain en Chine.
Le chapitre sur les délocalisations est aussi particulièrement pertinent et suit bien la méthode annoncée : donner les éléments, aider à penser et aussi faire la chasse aux idées reçues. La logique du moindre coût horaire n’est pas la seule dans leur cas. Pour s’en convaincre on prolongera utilement avec la lecture du livre de S Berger Made in monde. Les délocalisations dans le cas de la France concernent 10 % des emplois, c’est-à-dire bien moins que les restructurations. La qualité des infrastructures est aussi une donnée à prendre en considération. La France constitue l’un des pays les plus attrayants à l’échelle du monde : on est loin des clichés qui voudraient qu’aucune entreprise ne vienne s’installer en France ( grêves, coût du travail…). Les migrations offrent un autre chapitre pour faire la chasse aux idées reçues. 60 % des migrations s’effectuent dans l’hémisphère sud et d’ici à 2050 elles ne contribueront que pour 4 % de la croissance démographique dans les pays développés.

Redéploiement des rapports de force

Le chapitre sur l’OTAN se révèle particulièrement utile : il dit tout de l’évolution des relations internationales des soixante dernières années avec notamment le ralliement des pays d’Europe de l’est. On y retrouve la Russie qui, comme précisé en introduction, ne fait pas l’objet d’un chapitre précis mais se retrouve dans beaucoup.
On retrouve dans cette partie aussi la Chine et notamment son rôle en Afrique. Aspects parfois méconnus mais fondamental : la Chine a besoin d’énergie ; l’Afrique en possède et elle est le troisième partenaire derrière les Etats-Unis et la France. La Chine importe des matières premières dont sa croissance a besoin. 70 % de la valeur des importations chinoises en provenance d’Afrique est constitué par le pétrole. La Chine offre à des régimes ostracisés la possibilité d’échapper aux embargos. Elle se place en position de monopole d’achat afin de contraindre les producteurs à baisser les prix. Elle y exporte textile, biens d’équipement, produits comme le riz, et même sa main d’œuvre.
Dans le contexte actuel, un utile chapitre est consacré au Liban.

Le volume 1 a conquis, selon le dossier de presse, 300 000 lecteurs et tant mieux car cet ouvrage, et maintenant cette collection, pose en 200 pages les enjeux de notre monde. L’objet est en plus agréable à feuilleter. Est-il prévu -comme pour le premier volume- une version de poche ? Cet atlas doit donc être dans toute bibliothèque de « l’honnête homme ».
Aider à penser, bousculer des idées reçues, inviter à la complexité : ce défi et cette exigence sont pleinement remplis.

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