C’est un livre passionnant et complet qui aborde des domaines très variés tels que la mythologie, l’histoire, les religions, la botanique, la paléobotanique la médecine et qui nous offre une approche très enrichissante .
Directrice de recherche au CNRS, présidente du Groupe d’histoire des forêts françaises, spécialiste de l’histoire des forêts et de la place du bois dans la civilisation occidentale, Andrée Corvol nous donne accès avec cet ouvrage, à une somme de connaissances interdisciplinaires impressionnantes et lumineuses.Nous comprenons mieux ainsi le sens de l’arbre dans notre civilisation à travers les âges et partageons la gravité de la dernière phrase : « La mort de l’arbre indiquera celle de notre monde ».

Les premières pages s’interrogent sur l’arbre tel qu’il est dessiné par l’enfant. Quel est-il ? Ensuite, Andrée Corvol nous explique la dichotomie qui perdura depuis l’Antiquité jusqu’après le Moyen âge entre deux catégories étudiées à part : les «herbes » et les «arbres ». L’empirisme prévalait.
L’auteur suit l’évolution des sciences et des mentalités dans la façon d’appréhender, d’étudier les arbres : théorie des odeurs, livres de botaniques et techniques d’imprimerie, besoin d’identifier par des mots, observations soulevant la perplexité. Dans le chapitre « Avant que l’arbre ne soit » l’auteur nous explique comment l’arbre est né après un long processus de plusieurs millions d’années. Des pages basées sur des études scientifiques nous font comprendre les grandes lignes de cette évolution jusqu’au grand ancêtre commun: l’archaeopteris de 30 mètres de haut ! Après plusieurs catastrophes climatiques , à l’issue du Dévonien, où de 70 à 96% d’espèces furent décimées et où l’archaeopteris disparut, la conquête végétale repartit sur d’autres bases: l’arbre était né.

Le géant de la planète

L’auteur nous explique aussi les formations des paléo- forêts, l’exploitation des combustibles ( tourbes, lignite, charbon) et ses conséquences sur la régression des forêts. Dans le chapitre « La sexualité des conquérants » nous apprenons que dans l’Antiquité, les descriptifs des végétaux indiquaient les utilisations médicinales et les significations symboliques : les arbres étaient traités en fonction des pratiques ordinaires et des religions officielles. Les connaissances ne distinguaient pas le matériel et le spirituel. Au XVIIe siècle, la plupart des plantes acclimatées en France étaient issues de la méditerranée Orientale (d’Anatolie, du Proche et Moyen Orient, de Chypre, de la Crète, de la Sicile) ce fut le cas du platane. Au XVIII° siècle apparurent les questionnements sur la reproduction car l’intérêt était d’accroître certains arbres et d’en diminuer leur prix. Avancer certaines théories sur cette reproduction c’était accepter la théorie de l’évolution des espèces ce qui posait problème. L’auteur nous explique comment la dérive des plaques modifia l’histoire des arbres avec la variation des climats auxquels ils furent soumis. Avec l’apparition des Angiospermes, à la fin de l’ère secondaire , à l’âge Crétacé, voilà cent trente millions d’années, arrivent la fleur « moderne » et le fruit « vrai ». L’auteur évoque ensuite les symboles religieux liés aux fruits. Dans le chapitre « l’élancement vers le ciel », nous voyons que peu de choses étaient connues à la fin du XVII° siècle comme par exemple la façon dont la sève atteignait la cime et en descendait. Le système racinaire était méconnu également. Le fonctionnement ligneux interpella les physiciens et les médecins mais la sève restait assimilée au sang. L’action de l’air,, de l’eau, de la lumière, les échanges gazeux ne furent explorés que peu à peu. L’auteur nous fait partager les interrogations, les fausses pistes suivies par les scientifiques au fil des âges ainsi que leurs découvertes et les polémiques qui en résultèrent.

Le partenaire des Dieux

A l’époque des Lumières on renonce au modèle analogique : arbre= homme. Devant la longévité des arbres, devant une telle supériorité, comment ne pas les relier aux forces souterraines et aériennes ? Comment ne parleraient – ils pas aux Dieux ? Andrée Corvol nous explique ici les raisons de la divinisation des arbres, la circulation des croyances, en prenant des exemples dans les épopées (celle de Gilgamesh entre autres). Elle définit les traits de l’arbre sacré (chêne, palmier, tilleul, figuier). Elle aborde la signification de l’association « arbre-serpent » trouvés sur des pièces de monnaie très anciennes et celle de la combinaison « femme-serpent-arbre ».La grande culture de l’auteur l’amène analyser des légendes où des êtres sont transformés en végétaux. L’union de la Mère et de l’arbre présentée comme génésiaque, la célébration du premier couple, sont d’autres facettes du quatrième chapitre. Dans « Porter la trace des dieux », nous apprenons que dans la haute Antiquité, les images peintes ou gravées célébraient les Mères, déesses de la fertilité et révélaient leurs auxiliaires : l’arbre pour l’accouplement. Les mythes évoquaient l’arbre parèdre (divinité associée à une autre).L’arbre sacré ne fut plus ensuite un parèdre de la déesse mère mais l’hôte de la divinité. L’auteur prend comme exemple l’olivier qui intervint dans la fondation d’Athènes. A travers le cérémonial religieux, les citoyens célébraient l’olivier sacré. Andrée Corvol étudie ensuite le chêne (le roi des arbres) et la forêt à travers les mythes et les légendes. Les dieux étaient conçus ou instruits à l’ombre des arbres et recevaient leur force. Esculape naquit sous un cyprès ou un olivier. Hippocrate sous un platane.
L’auteur étudie également le sens du figuier dans l’Histoire de la fondation de Rome. La mort des arbres vénérés provoquait des traumatismes. Ce fut le cas du foudroiement du figuier Ruminalis qui épouvanta la population romaine. Les gens associèrent le crime de Néron et ce figuier noirci. L’auteur consacre quelques pages au figuier, à la figue, sa culture, sa valeur aux temps des romains et des carthaginois puis quelques pages sur la place occupée par l’olivier dans les rituels de couronnement, les cérémonies royales ou religieuses. Elle évoque ensuite les images de bois (ou xoanons) taillées dans les arbres sacrés et qui détenaient la puissance du végétal. L’enjeu de ces effigies en Grèce entre Épidauriens et Athéniens fait l’objet de quelques pages. La victoire d’une cité démontrait la puissance de son xoanon.

Les représentations en bois étaient universelles. Elles circulaient avec les pillages, les annexions, les migrations, les échanges culturels et commerciaux. Andrée Corvol commente ensuite « l’arbre chez les polythéistes »: Dionysos était célébré sous la forme du pin. En Thrace, Adonis, le dieu au pin régissait le calendrier agricole. En Thessalie, c’était le dieu au chêne. L’auteur développe les rites aux aspects sanguinaires liés à ces cultes. Les monothéistes dénoncèrent les superstitions idolâtres, interdirent les arbres divinisés et les divinités végétales. Les Prophètes dénoncèrent les déviances : consulter un morceau de bois, embrasser un tronc. Dans l’étude de l’arbre chez les monothéistes, sont évoqués l’arbre d’Eve (le pommier) soutenant le serpent tentateur, l’arbre de Marie (le pin parasol) qui la protégea en Égypte. Ève agissait sous un arbre. Marie surgit sur un arbre. La Genèse mentionne tardivement les arbres nécessaires à la Tentation (l’arbre de vie et l’arbre de la connaissance). Les monothéistes employaient la symbolique de l’arbre et du bois différemment. Le judaïsme considérait l’arbre ordinaire comme un messager : il prévenait de l’approche divine en frémissant ; il fournissait l’ombrage qui abritait le rendez vous.
L’arbre ne parlait jamais mais la Voix descendait et atteignait l’homme sage : ce fut le cas avec le chêne de Mambré et le chêne des Pleurs (Genèse). Le christianisme prolongea l’approche judaïque et reconnut d’avantage l’importance des arbres cultivés.
Les textes bibliques classèrent les arbres selon leur symbolique : la saisonnalité du feuillage représentait la foi renouvelée .Les réalités forestières furent transformées en allégories théologiques : le monde était l’arbre que Dieu faisait croître. L’Eden était le verger où Dieu rassembla les vertus. Cette signification fut étendue aux fruits : les fruits du juste étaient la paix de l’âme. Peu à peu le langage familier intégra les métaphores végétales : les verbes fleurir, végéter, bourgeonner, rejeter, se faner, s’épanouir, s’étioler furent appliqués à l’homme.
L’église distingua les « bons » arbres et les « bons » fruits. Les fruits « sauvages » (châtaignes) ne provenant pas du travail étaient suspects. Comme la taille d’un fruitier modifie son architecture et le distingue du pied sauvage, l’élagage symbolisa la canalisation de l’instinct. Moribonds, les fruitiers indiquaient la progression du paganisme. Prospères, ils exprimaient la victoire de la vraie foi. Les fidèles devenaient les protecteurs d’une nature qui ne renvoyait plus aux fureurs célestes mais aux fautes terrestres.

Le sauveur de l’humanité

Dans le monde chrétien, certains lieux abritaient des magiciens comme la forêt de Paimpont en région rennaise. A la fin du XIXe siècle, l’ancien monde déclinait, ses contes et légendes étaient recensés et retranscrits. Avec l’intensification de l’agriculture on supprimait les bosquets épargnés. Avec le développement des villes on arasait les bois environnants. Dans ce contexte on réclama la protection des espaces forestiers. Dans « le choc des civilisations » Andrée Corvol évoque la conquête romaine face aux Celtes, slaves ou scandinaves et aux germains. Ce fut le choc de religions et de croyances différentes. L’auteur évoque les dieux celtes, les druides, l’évangélisation du monde celtique, le culte des bois sacrés. Les contes forestiers mirent en scène ces thèmes par la suite : la difficulté d’accéder et de circuler dans la forêt profonde par exemple. La nécessité pour le héros de rencontrer les sages de la forêt et de réussir une épreuve ultime. La geste héroïque reprenait l’apprentissage druidique. Chez les celtes tout renvoyait à l’arbre et à la forêt : la tradition, la religion, l’économie, les mentalités. L’auteur nous parle ensuite des deux arbres du paradis monothéiste au cœur de l’Ancien testament mais figurant aussi dans les religions polythéistes orientales et méditerranéennes. Ils marquèrent l’art égyptien, assyrien , hellène, étrusque et chrétien. Les plantations citadines et villageoises en furent changées : un couple de platanes ou de tilleuls, arbres bénéfiques, de la catégorie des arbres de vie, veillaient aux portes des églises. Ce chapitre contient quelques pages sur l’arbre de la connaissance, sa représentation, sa signification au travers des siècles dans le monde occidental et oriental. Dans le monde septentrional, cette représentation était inimaginable car c’était une aire de toundras, de résineux, de lichens où il n’y avait pas d’espèces feuillues. Le bois de vie y devint alorsl’équivalent de l’arbre de vie : deux morceaux ficelés ou chevillés, le crucifix, l’échelle de bois qui servit à descendre le supplicié comme l’échelle de Jacob reliait la terre au ciel. Aux arbres de la crucifixion furent ajoutés le buis et l’olivier. Les deux végétaux étaient importants dans la pratique catholique. L’auteur évoque ici la métaphore de l’arbre de l’église matérialisée dans les « arbres pascals » puis les arbres de la Morale (arbre des vices et des vertus) qui assemblaient les quatre « bois » ( les quatre vertus cardinales de l’engagement monastique).L’image de Pâques renvoyait à celle des Rameaux, deux dimanches qui étaient sous le signe du végétal. Les « rameaux » étaient fonction des forêts : buis en Espagne ou sapin en Allemagne. Les évêques furent chargés de les bénir. Le palmier constitua l’arbre de référence. Le laurier fleurissait au bon moment. L’olivier était bien présent sur les collines palestiniennes. La permanence du feuillage prévalait sur la longévité de l’arbre. Le chapitre s’achève sur les « arbres de cire » et les « arbres chandeliers » qui incarnaient la colonne de lumière divine. L’ Église empruntait ainsi des éléments aux polythéismes celtes et orientaux, au monothéisme juif. Au XVIe siècle, la hiérarchie catholique demanda au clergé paroissial d’éviter l’arbre de vie dans l’enseignement dominical. Comptant moins dans la théologie et la catéchèse, l’arbre de vie prit une place croissante dans les contes forestiers.

« L’arbre qui soigne le corps » (chapitre 8) : Les analogies entre l’homme et l’arbre ont contaminé les descriptifs anatomiques et linguistiques. Les rapprochements sont nombreux : chez l’homme il existe un arbre de vie, le cervelet, et un arbre bronchique l’appareil respiratoire. Chez l’arbre, le bois est veiné, le tronc est un «pied». Un atome distingue l’hémoglobine de la chlorophylle : un atome de magnésium pour la chlorophylle, un atome de fer pour l’hémoglobine. Les savants du XIX°siècle ont noté la complémentarité entre l’homme et l’arbre. Les arbres renfermaient des substances qui soulagent et guérissent. Les hommes ont donné à l’arbre un rôle qui a évolué de l’adoration à l’utilisation. Le contact du tronc suffisait depuis des millénaires pour que les arbres absorbent le mal de la personne atteinte. Leurs fleurs, leurs racines, leurs feuilles, guérirent des maladies. Les principes actifs, extraits des plantes soignaient également.

Un jour les médicaments de synthèses ont produit les mêmes vertus. Cependant certains végétaux demeurent à découvrir et on recherche des filons de santé de nos jours. Les populations réalisent l’importance des richesses médicinales et défendent leur patrimoine botanique. La quête de l’immortalité allait de pait avec la recherche de l’arbre de vie. L’auteur évoque les récits mettant en scène sa conquête. Elle nous commente l’essentiel de la réflexion chrétienne concernant l’arbre de vie, les fruits de vie, leur symbolisme. Dans le texte grec de la Genèse il s’agissait du figuier et des figues. En Europe septentrionale, le bouleau régnait. En Europe occidentale la croyance mentionnait le pommier. L’arbre comptait moins que les fruits. Deux thèses s’affrontaient : Dieu les avait-ils rendus exquis pour tenter l’homme ?Il fallait donc les éviter ou les avait-il conçus pour le nourrir et dans ce cas ils étaient à conseiller. L’introduction des fruits exotiques modifia les points de vue. Les croisades, les conflits militaires et politiques, les échanges commerciaux permirent l’introduction d’essences nouvelles. Les diplomates revenaient avec des fruitiers d’Anatolie, du Caucase et ceux-ci furent cultivés sur les rivages italiens, provençaux, languedociens, catalans et andalous. Leur nom latin en dévoile l’origine : prunus armenia pour l’abricotier, prunus persica pour le pêcher. Au Moyen âge la liste des fruitiers était courte. Leur rareté méritait protection. Personne ne concevait qu’un bon fruit puisse venir d’un arbre sauvage .Avec les techniques de croisement, de greffes, la consommation fruitière évolua à partir du XVIII° siècle. Aux tables des Rois on défiait le temps : Louis XIV voulait des melons en décembre et des prunes en avril. Les maîtres jardiniers forcèrent la nature grâce aux serres chauffées. Au Moyen âge les fruits exotiques ont servi la morale religieuse en fonction de l’homonymie entre malum qui désignait la pomme et et malum, le mal. Ces fruits représentaient la séduction qui égare l’individu. L’auteur évoque les mythes gréco romains générés par ce fruit qui dispensait l’amour et l’immortalité, la santé et la fécondité. La pomme était singularisée par sa couleur qui déterminait ses attributions bénéfiques ou maléfiques : la jaune soignait , la rouge tuait. La qualité du sommeil sous leur ombrage distinguait les arbres bénéfiques des arbres maléfiques. L’auteur évoque l’île aux pommes où le Roi Arthur fut plongé dans une sorte de coma et fut guéri. Les Vikings, les danois et les norvégiens transmirent des légendes, des croyances. Le bouleau y était un arbre médecin dont les écorces et les feuilles détenaient des propriétés antiseptiques. Trois arbres furent dits « merveilleux » : le bouleau , arbre thérapeutique et divinatoire dans l’aire nordique, le frêne et le pommier. L’auteur nous explique pourquoi. A l’inverse certains arbres étaient jugés maléfiques : l’if associé à la tristesse, à la solitude. Sa réputation l’affecta à la signalétique funéraire, à l’entrée des cimetières. C’était aussi le cas du noyer , « l’arbre de Satan » qui faisait le vide autour de lui empêchant la croissance d’autres essences et le cas de l’aulne. Son bois brule sans fumée car il dégage très peu de vapeur d’eau. Associé à des lieux marécageux, il était considéré comme dangereux car il créait les conditions de la mort. Au Moyen âge on christianisa les arbres bénéfiques en les associant à un saint. L’arbre devenait un arbre où prier (arbres à vœux). Les guérisseurs pratiquaient la science de la phytothérapie avec les alchimistes, les apothicaires, les médecins et les chirurgiens. Les ménagères avisées récoltaient elles mêmes les ingrédients nécessaires à la santé familiale. Le chapitre 9 s’achève sur le personnage de l’ermite guérisseur près d’un arbre ou d’une source. A sa mort, ses disciples y édifiaient une chapelle.

Le représentant de la famille

« L’arbre et la femme » : Dans les langues européennes la plupart des arbres sont masculins. La pratique distingue clairement l’arbre, masculin et son peuplement, féminin. L’auteur évoque les mythes gréco romains qui abondent de nymphes changées en arbre pour les protéger du désir des mâles ou protéger l’amour des époux ou des amants. L’auteur évoque aussi les filles-fleurs dans le Roman d’Alexandre puis les forêts hantées, magiques, lieux de rencontres de jeunes filles qui malgré la force de l’amour ne renoncent pas à leur arbre, à leur monde, à leur forêt. Elle évoque également les fées dans les contes. Avant tout abattage il valait mieux amadouer les créatures surnaturelles. Au moyen âge sur le continent européen l’offrande concernait les dames des arbres (La dame au Sycomore, la Dame au Pin parasol) . Andrée Corvol analyse le sens de ces « dames des arbres » dans deux récits. L’Eglise entrepris de dissocier univers féerique et monde catholique en dénonçant certaines pratiques : pour le culte des filles -fleurs, l’évêque infligeait dix jours de pain sec et d’eau pure par exemple. L’auteur commente ensuite les deux légendes célébrées dans l’aire celte autour de Mélusine et Morgane. Elle nous explique comment le moyen âge gothique associa la diabolisation des fées et la glorification de la chasteté. Elle évoque les rôles des garçons et des filles dans les sociétés traditionnelles, leurs besognes séparées, leurs rencontres.

Et le complice des amours

Le rôle de l’arbre dans les phases d’approche. En milieu rural les arbres des premiers émois étaient le charme ou le tremble. Les arbres des noces, le tilleul ou le châtaignier selon les régions. Les jeunes gens exprimaient leur attention vis-à-vis des jeunes filles en dressant un arbre feuillé devant leur porte. Les belles devinaient le nom du galant au ruban de l’arbre. L’auteur évoque aussi les arbres dans la fête de Mai avec le jeu du mât de cocagne, les danses du tilleul lors des fêtes comprises entre le solstice d’été et le battage des blés, les arbres « porteurs » dans le tronc desquels on abandonnait l’enfant, fruit du péché, à la croisée des chemins pour que nul ne sache d’où venait la coupable. L’auteur consacre le chapitre XI, à « l’arbre et l’enfant »
L’arbre constitue un espace de transgression pour l’enfant : il s’y cache franchit les interdits en cueillent les fruits dans le verger voisin. Les montagnes couvertes de forêts ont été le théâtre des épreuves que connurent parents et enfants. Le thème du sacrifice revient dans la plupart des religions (sacrifice du fils préféré ou d la fille).Dans les contes et légendes la lisière de la forêt apparaît comme un pont métaphorique, l’enfant sot fortifié de l’ombre des arbres , la forêt est le cadre de son initiation. Le regard porté sur l’enfance évolua dans la seconde moitié du XVIII° siècle. La mortalité infantile reculait fortement. L’enfant devint précieux. La singularité de l’univers enfantin émergea alors. La littérature pour enfants adopta les contes forestiers. La mort de l’enfant fut remplacée par le perte du jouet. Les jouets en bois enseignaient les pratiques sociales. Dans les contes forestiers, l’enfant circule sous le couvert des arbres. Il se sent épié. Le moindre bruit signale une présence. Il se tait pour la discerner, la comprendre. Il prend une leçon de vie. L’auteur illustre ses propos par l’analyse de contes des frères Grimm, d’Ernest Hoffman. Au XVe siècle, l’image aidait l’enfant à retenir l’alphabet. L’auteur évoque « l’arbre à alphabet » : une scène que dominait un végétal immense :à l’ombre de ce géant un maître enseignait l’alphabet. Le feuillage comportait 23 branches soutenant 23 lettres. L’arbre à alphabet engendra « l’arbre à dialogue » ( manuscrit des trois arbres de la connaissance des trois religions) qui à son tour préfigurait « l’arbre à vertus » dit « arbre de sagesse » et « l’arbre à écrire » sur lequel l’enfant marquait les lettres manquantes. Les méthodes qui éveillaient l’intelligence ne cessèrent de progresser. Dans la première moitié du XIX°siècle, les aventures de Robin Crusoë regorgeaient d’exemples fascinants pour les enfants. Au XX° siècle avec David Crockett, avec Le dernier des Mohicans, les enfants pressentaient d’autres univers. Ils appliquaient les principes de la guérilla forestière : voir, ne pas être vus, employer les troncs et les branchages. Dans les bois, les enfants agissaient hardiment. Ils y imitaient les héros de leurs romans. L’imagination l’emportait. A la fin du XIX ° siècle, le déjeuner au bois devint la récompense des enfants. Ce déjeuner au bois fut adopté par les artistes, les peintres romantiques. L’auteur analyse deux tableaux en guise d’exemples. Peu à peu l’arbre cessa d’être un repère sur le chemin des champs et la forêt cessa d’être un espace de travail. L’un fit partie des parcs à jeux et l’autre devint un espace vert consacré aux sports et aux loisirs. Le dernier chapitre s’intitule « l’arbre et la famille » : Au XVIe siècle, les réflexions sur la famille intégraient des notions nouvelles .La charge lui incombait d’aider l’enfant au lieu de le punir. Le cadeau d’anniversaire qui marquait l’âge de raison, celui des sept ans, était l’alphabet en lettres de bois. Les parents fortunés les commandaient en cèdre, cyprès, hêtre, tilleul, buis. Ils étaient taillés dans des essences qui servaient à la sculpture religieuse. Modulables, ils permettaient de constituer des mots, puis des phrases. Au XVIIe siècle, les cubes abécédaires vinrent compléter ces outils pédagogiques. Ainsi du moyen âge à la première guerre mondiale les familles usèrent de l’arbre et du bois pour instruire leurs héritiers. L’arbre généalogique reprenait les arbres éducatifs. L’auteur développe des pages très intéressantes sur l’évolution historique de ces arbres du XI °siècle au XII° siècle jusqu’au XIV° siècle et XVI ° siècle : arbres dont le « sang » circulait de haut en bas puis de bas en haut , dont les racines sont jetées en plein ciel en haut de la page ( en lignées mythiques) ou en bas de page.Elle étudie ensuite les raisons ( politiques, historiques) de la diffusion de l’arbre généalogique. Planter un arbre était lié aux jours heureux : l’enfant qui arrivait, l’amour qui grandissait. On incisait l’écorce pour rappeler une date importante.

Le compagnon pour l’éternité

Andrée Corvol nous parle ensuite de l’arbre qui servait comme signalisation des tombes pour la population huguenote qui ne pouvait ensevelir ses morts en terre consacrée. Elle développe quelques pages sur l’histoire (guerres de religion) et les pratiques liées à l’enterrement des défunts. Elle évoque les sépulcres antiques signalés par la silhouette d’un cyprès, d’un peuplier. L’auteur analyse l’évolution à travers l’histoire, des plantations dans les cimetières et les agglomérations. Elle souligne les changements dans les mentalités qui régissent ces choix.
Les pays catholiques conservent l’héritage gréco latin en alignant les dalles tombales. Les pays protestants et anglo saxons respectent l’héritage celtique en appliquent les techniques végétalistes. La vogue de l’écologie et l’essor de la crémation ont donné ensuite, de nos jours, trois versions de la « mort verte » : «L’arbre de mémoire» (crémation du cadavre) :On propose la plantation aux proches du mort. Au pied de l’arbre on dépose l’urne funéraire biodégradable avec une plaque portant le nom du défunt. « L’arbre transgénique » (prélèvement du gène) : Un fragment d’ADN est greffé sur une cellule de pommier. Et « L’arbre sur compost » (cristallisation du corps) : On congèle le corps dans un cercueil en contre plaqué .On l’immerge dans de l’azote liquide à moins 196 degrés et on le soumet à des vibrations intenses qui transforment le corps en fines particules. Les 25 kilos de matière organique ainsi récupérés sont enterrés à 30 cm de la surface du sol et sont décomposés en engrais. Les familles y installent un rosier ou un arbre. La notion d’arbre de mémoire serait –elle une nouvelle version de l’arbre de vie ? « La mort de l’arbre indiquera celle de notre monde » nous déclare Andrée Corvol dans la dernière phrase de ce beau livre.

Noëlle Bantreil Voisin © Clionautes