La réédition d’un manuel sorti en 2015

Après une première édition en 2015, les éditions Armand Colin viennent de republier « l’introduction à la géohistoire » de Christian Grataloup. Véritable porte d’entrée en la matière, ce court manuel réussit à présenter les principaux principes et modèles permettant d’adopter et de comprendre la démarche géohistorique.

L’auteur débute par l’analyse de trois termes cruciaux dans la géographie contemporaine : le territoire, le milieu et l’espace. Les logiques spatiales à l’oeuvre se forment en fonction de la distance et de la stabilité. Ces deux conditions sont nécessaires pour développer une capacité d’innovation sur un milieu. Christian Grataloup mobilise l’exemple de la plaine indo-gangétique pour comprendre l’inversion des densités entre la vallée de l’Indus (peu densément peuplé et recouverte de forêt tropicale humide à l’époque de la civilisation de l’Indus) et la vallée du Gange en fonction de l’ancienneté de la déforestation.

Cependant, si la mondialisation contemporaine incite plutôt à associer la démarche géohistorique avec l’étude de la temporalité du système-monde, elle ne peut l’y réduire. La géohistoire n’est pas une variante de l’histoire dite globale. Et pour le niveau mondial, comme pour l’ensemble de l’échelle des sociétés, la contextualisation géographique est nécessaire, certes, mais ne peut en être la seule approche. Au contraire, la question de l’échelle est au cœur de toute réflexion géohistorique.

Introduction à la géohistoire de Christian Grataloup, Armand Colin, page 13

La seconde partie s’intéresse aux échelles. L’élargissement de l’horizon à partir de l’ouverture atlantique permet de changer d’échelle à partir du XV-XVIe siècle. Christian Grataloup explique que l’une des causes de l’effondrement de l’empire mongol à la fin du Moyen-Age est la gestion de la distance. Le modèle centre-périphérie, popularisé par Fernand Braudel, Alain Reynaud et Olivier Dollfus, est innovant en raison de sa faculté à « penser le sous-développement et le développement simultanément, et non successivement, de basculer de l’évolution, de la diachronie, à la simultanéité des processus, à la synchronie » (page 91). Les deux entités (développement et sous-développement) sont donc intrinsèquement liées par un centre qui attirerait les richesses de sa périphérie intégrée.

Enfin, la dernière partie de l’ouvrage définit de grands principes et des scénarios géohistoriques. La logique de la capitale en position arrière est expliquée par l’exemple de Pékin : la capitale Nankin aurait ainsi été délaissée pour se rapprochée de la frontière nord et des menaces d’invasion. L’autre logique est celle de Delhi où la capitale devient la tête de pont à la suite d’une invasion : la capitale d’origine est ainsi délaissée au profit de cette nouvelle.

Considérons la situation de Delhi. Là encore, on pourrait s’étonner aujourd’hui que la capitale de l’immense Inde soit si décentrée vers le Nord-Ouest. Les Britanniques, tout en dédoublant la cité, n’avaient fait que reprendre la situation de la capitale de l’Empire moghol. Sa position est proche de celles de plusieurs capitales antérieures (Lahore, Agra…), toutes décentrées, même si les territoires qu’elles commandent et ne s’étendaient que sur une partie de l’immense péninsule. La raison relève de la même logique scolaire qu’à Pékin. La plaine indo-gangétique fut soumise à des invasions récurrentes venues également des steppes d’Asie centrale. La situation de Delhi fait donc face aux routes des envahisseurs, la passe de Khyber en particulier. Les empires ont d’ailleurs souvent été le résultat d’invasions victorieuses, en particulier le dernier, celui des Moghols fondateur de Delhi, dont la situation a d’abord été celle d’une tête de pont, comme Khanbalik, avant de devenir une base arrière face à de nouveaux risques d’invasion.

Introduction à la géohistoire de Christian Grataloup, Armand Colin, page 151

Cette réédition permet de corriger la quasi-totalité des erreurs de forme soulignées par Frédéric Stevenot dans le compte-rendu de la première édition. Ce manuel plaira aux étudiants de licence qui désire une première approche de la géohistoire pour un cours d’épistémologie ou d’histoire de la géographie.

Pour aller plus loin :

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Antoine BARONNET @ Clionautes