Pierre de la Broce est sans doute né vers 1230 en Touraine. Il entre au service du roi sous le règne de Louis IX pour lequel il devient l’un des chambellans. C’est toutefois sous le règne de Philippe III que Pierre de la Broce connaît une véritable ascension. Dès 1270, il fait partie des hommes de confiance du nouveau souverain. Néanmoins, tout prend fin en 1278 lorsqu’il est arrêté et placé au secret avant d’être pendu au gibet de Montfaucon.
La chute de Pierre de la Broce a marqué les esprits de ses contemporains, car les conditions de son jugement n’ont pas été rendues publiques. Bien des années après sa mort, l’ancien chambellan n’est pas oublié puisqu’il prend place dans la Divine comédie de Dante, qui situe le malheureux non pas en enfer, mais au purgatoire, apparaissant comme victime de l’envie. Il faut attendre la mort de Philippe III en 1285 pour que l’évêque de Bayeux, le second de Pierre de la Broce, tout comme la famille du chambellan, ne soient plus inquiétés. Les descendants de Pierre se voient même restituer leurs biens, à l’exception du logis de Châtillon-sur-Indre.
Cette histoire nous est racontée dans l’ouvrage L’ascension et la chute de Pierre de la Broce, chambellan du roi († 1278), paru aux éditions Honoré Champion en 2021, et écrit par Xavier Hélary, professeur d’histoire médiévale à l’université Jean Moulin Lyon III et spécialiste de l’histoire des grands Capétiens de Saint Louis à Philippe le Bel et de l’histoire militaire du Moyen Âge. Il ne faut cependant pas s’y tromper, il ne s’agit pas d’un ouvrage biographique, mais bien d’une véritable Étude sur le pouvoir royal au temps de Saint Louis et de Philippe III (v. 1250 – v. 1280), comme l’indique le sous-titre de ce livre.
En effet, le récit de la vie de Pierre de la Broce ne constitue qu’une partie de l’ouvrage. Xavier Hélary s’interroge avant tout « sur l’ampleur de la réussite sociale et économique [du chambellan] et des siens et sur la nature de son pouvoir au temps de son ascension et de sa splendeur ». Ce questionnement implique nécessairement un examen attentif du fonctionnement de l’institution monarchique.
Xavier Hélary nous livre avec le présent ouvrage une version remaniée du premier volume de sa thèse d’habilitation à diriger des recherches qu’il a soutenue le 16 novembre 2016. L’ensemble est composé de 12 chapitres que l’on peut regrouper en quatre parties reprenant le questionnement de l’historien : une première partie dresse le tableau de l’entourage du roi et des dynamiques qui s’en dégagent ; une deuxième présente le personnage de Pierre de la Broce de ses origines à son ascension ; une troisième est consacrée à la chute du chambellan, à ses conséquences et ses échos ; enfin dans une dernière partie, l’auteur tente de comprendre quelle était la vraie nature et l’entendue du pouvoir de Pierre de la Broce.
L’Hôtel du roi
La carrière de Pierre de la Broce se déroule dans le cadre de l’Hôtel royal, tout d’abord celui de Louis IX puis celui de Philippe III. L’Hôtel correspond au cadre de vie quotidienne du roi. Il est divisé en six grands services : la Panèterie, l’Échansonnerie, la Cuisine, le « Fruit » ou la « Cire », l’Écurie et la Chambre. L’ensemble de ces services, également appelés métiers, assure les fonctions fondamentales de la vie du roi. Parmi les métiers, la Chambre paraît être le plus important. La Chambre est composée des chambellans, des valets de la Chambre, du barbier, du ou des chirurgiens, du ou des médecins. Les chambellans occupent les fonctions domestiques du roi. Ils vivent dans la proximité du souverain et restent, y compris la nuit « à portée de voix ».
Lorsque Pierre de la Broce a les faveurs du roi, il n’est en toute vraisemblance pas le seul à porter le titre de « chambellan du roi ». Quatre autres personnes le portent en même temps : Gautier de Quitriaco, Pierre de Laon, Jean Sarrazin et Jean Bourgueignit. Il faut aussi ajouter que les chambellans ne sont pas les seules personnes à se trouver dans la proximité du roi. On compte des sergents d’armes et des huissiers d’armes qui assurent la protection royale. Des clercs sont également visibles, plus nombreux sous le règne de Louis IX, dont certains forment une chancellerie encore embryonnaire.
Il faut ajouter que les clercs sont liés au fonctionnement du Parlement. On trouve également dans l’entourage royal de nombreux chevaliers, nommés dans les sources « chevaliers du roi ». Certains d’entre eux accomplissent des missions comme serviteurs de l’Hôtel, maîtres du Parlement, baillis, diplomates ou encore combattants. D’autres n’ont pour simple rôle que de participer à la vie quotidienne du roi. D’autres encore servent de « conseillers militaires ». Toutefois, le titre de « chevalier de l’Hôtel » n’apparaît pas dans les sources et il s’avère qu’un bon nombre de chevaliers du roi ne viennent à l’Hôtel que de façon exceptionnelle, par conséquent leur appartenance à l’Hôtel royal est fictive.
De l’ascension…
Xavier Hélary retrace minutieusement l’ascension du chambellan et la manière dont il s’est constitué son patrimoine. Né vers 1230 au sein d’une famille de petite noblesse de Touraine, Pierre de la Broce entre au service du roi Louis IX, au plus tard en 1256. Bien que son père l’ait précédé au sein de l’Hôtel royal, son ascension est rapide. Après avoir été valet de la Chambre, puis chirurgien, il est nommé chambellan en 1566. La fonction est bien rémunérée, cependant elle n’est pas socialement reconnue. Comme le précise Xavier Hélary, c’est donc bien Louis IX qui lui fait gravir les échelons, mais Pierre de la Broce n’est qu’une des figures de l’Hôtel parmi d’autres.
L’avènement de Philippe III entraîne une promotion immédiate du chambellan qui, en quelques semaines, devient l’homme de confiance du nouveau roi. Peut-être l’était-il déjà avant même que Philippe ne devienne roi, comme le souligne l’auteur. Pierre de la Broce intègre tout d’abord un conseil de régence dans le cas où le nouveau souverain viendrait à mourir. Puis, Philippe III le nomme grand chambellan.
Proche du nouveau roi, il fait désormais partie des hommes de confiance, ce qui permet à Pierre de la Broce d’acquérir un patrimoine considérable (les seigneuries de La Broce, Langeais, Châtillon-sur-Indre, Mouliherne, La Suze-sur-Sarthe, Louplande, Damville et des biens situés à Cormery, à Chémery, à Fins, à Chartres, à Paris et quelques autres encore). Toutefois, comme le souligne Xavier Hélary, le roi n’a pas couvert de faveurs son chambellan, car si le rythme des acquisitions a été soutenu, ce ne sont que de petites seigneuries, seule celle de Langeais étant plus importante. Il n’est donc pas le favori tout puissant qui a si souvent été dépeint par les chroniques.
Pierre de la Broce apparaît également comme un chef de famille qui use de toute son influence, notamment à partir du règne de Philippe III, pour marier avantageusement certains membres de sa famille ou pour obtenir certaines fonctions pour ses enfants (son second fils devient, avec le soutien du roi, chanoine de Tours) ou pour des parents plus éloignés (Pierre de Benais devient évêque de Bayeux en 1776 ou encore Philippe Barbe est nommé bailli de Bourges). Il s’est également imposé pour tenir sa place de seigneur féodal face à ses nouveaux vassaux souvent rétrogradés au rang d’arrière-vassaux. Il a aussi œuvré pour se libérer des liens de vassalité qui le faisaient dépendre de petits seigneurs des environs. Enfin, comme le montre Xavier Hélary, Pierre de la Broce apparaît comme un homme désireux de devenir un chevalier, comme l’était devenu son père à la fin de sa vie.
…à la chute de Pierre de la Broce
Plusieurs chroniques contradictoires ou partielles, contemporaines à la chute de Pierre de la Broce rapportent cette histoire. Xavier Hélary met en avant les clichés véhiculés dans certaines sources, visant à montrer Pierre de la Broce comme un homme d’origine modeste et qui par ses flatteries a réussi à obtenir la confiance du roi. En croisant les différentes sources, l’historien arrive à démêler l’histoire de la chute soudaine du puissant chambellan.
Tout commence en 1276 par la mort de l’héritier du trône, Louis de France alors âgé de 13 ans, né du premier mariage de Philippe III avec Isabelle d’Aragon. Selon une rumeur rapportée en juillet 1276 par le doyen Pierre de Benais, au légat Simon de Brie, la nouvelle reine, Marie de Brabant, qui vient par ailleurs de mettre au monde un enfant prénommé également Louis (Louis d’Évreux), aurait empoisonné Louis de France pour favoriser ses propres enfants. Les frères utérins de Louis de France seraient alors également en danger.
Quelques semaines plus tard au cours d’une conversation entre Philippe III et Simon de Brie, le roi parle d’une rumeur colportée à son encontre par un chanoine de Laon et deux béguines l’accusant d’avoir commis un « pêché contre nature ». Après avoir mis au secret le chanoine, le roi et le légat décident d’envoyer une mission auprès des béguines pour éclaircir cette affaire. Xavier Hélary montre notamment comment Pierre de la Broce arrive à user de son influence pour que Pierre de Benais, nouvellement élu évêque de Bayeux, fasse partie de la mission. Au retour de l’évêque, si les béguines contestent avoir nui à la réputation du roi, elles accuseraient la reine d’avoir empoisonné Louis de France, selon les dires de Pierre de Benais.
Une deuxième mission est alors décidée et Pierre de Benais en fait encore partie même s’il n’a pas la confiance du légat. Suite à cette nouvelle mission, la reine Marie de Brabant est mise en accusation, sa position est largement fragilisée au point de craindre pour sa propre vie. Toutefois, en novembre 1277, une troisième mission est envoyée, au sein de laquelle Pierre de Benais ne participe pas. Au cours de cette mission, les béguines jurent qu’on les avait forcées à accuser la reine. C’est un véritable coup de théâtre pour Pierre de la Broce qui cette fois-ci est accusé d’un complot en vue de discréditer Marie de Brabant.
Le chambellan est arrêté dans les dernières semaines de l’année 1277 ou au début 1278 et mis au secret. Quant à Pierre de Benais, il tente piteusement de s’en sortir en donnant des explications parfois contradictoires avant de s’enfuir pour se réfugier auprès du pape. Si l’arrestation du chambellan est bien connue dans les cours étrangères, les raisons restent quant à elles mystérieuses. Son « procès » est lui aussi très mystérieux car il n’a pas été rendu public. L’ensemble de la procédure engagée contre Pierre de la Broce est restée secrète. La mort, cependant a bel et bien été rendue publique.
L’ancien chambellan est emmené au gibet de Montfaucon par les ducs de Bourgogne et du Brabant et le comte d’Artois, des barons proches de la reine. Xavier Hélary s’interroge de cette mise en scène publique alors que les causes restent quant à elles secrètes. Ne serait-ce pas simplement la mise en scène du pouvoir royal ? De même pour l’historien, ce qui a surtout provoqué la chute du chambellan est qu’en bon roi féodal, Philippe III ne pouvait s’opposer à ses grands vassaux, ligués tout d’un coup contre son chambellan.
En définitive, Xavier Hélary nous livre avec cet ouvrage une histoire passionnante. Son travail d’historien est au cœur de l’action pour permettre de lever des zones d’ombres sur ce que l’on peut appeler « l’affaire Pierre de la Broce ». Même, si le contenu est précis, minutieux ou parfois technique, le texte n’en est pas moins limpide tant l’écriture de l’historien est claire. Xavier Hélary enchaîne les différentes parties dans un style agréable, donnant du sens à l’ensemble au propos. Avec ce livre, l’auteur nous donne envie de prolonger les lectures sur les évolutions de la monarchie capétienne des XIIIe et XIVe siècles.