L’atelier occidental du terrorisme, Les racines du mal est un ouvrage publié en 2018 par les éditions Arkhê. L’auteur, Didier Musiedlak est professeur en histoire contemporaine à l’universiLes racines du malté de Paris-Nanterre. Spécialiste reconnu du fascisme italien et des totalitarismes, il a enseigné durant de nombreuses années à Sciences Po et à l’INALCO.
L’objectif principal de cet ouvrage est de mesurer la contribution de la culture occidentale au terrorisme, à la fois dans sa dimension politique mais aussi culturelle. Au moment où l’Occident apparaît comme la cible privilégiée du terrorisme, il est peut-être temps de s’intéresser à sa responsabilité dans les origines du phénomène. L’auteur s’intéresse particulièrement aux éléments qui permettent d’appréhender la violence politique en Europe. Dans la seconde moitié du XIXe siècle, l’industrialisation, l’urbanisation et la croissance du capitalisme ont favorisé l’apparition de nouvelles formes de luttes. Le terrorisme est un phénomène lié à la modernité et au passage à la société de masse.
Ce livre s’écarte de la vision manichéenne d’un Occident, présenté comme une victime innocente du terrorisme international incarnant les forces du mal. Selon George Schulz, la culture occidentale vise un monde de paix où les droits de l’homme sont respectés. Elle s’opposerait à des individus qui refuseraient les règles de la civilisation. Mais cette culture occidentale est contradictoire, car elle parle de paix, de tolérance, mais elle a engendré des massacres de masse. La construction des États-nations développa la centralisation et la bureaucratisation. Puis cette construction fut utilisée par les régimes totalitaires pour servir leur intérêt et mettre en place un terrorisme d’État dans le cadre de la militarisation de la société.
Le 11 septembre est un évènement terrible, une rupture. Par le choix de ces cibles c’est la première puissance occidentale qui est visée dans son centre et ses fondements économiques, politiques et militaires. Le terrorisme se développe alors dans le cadre de la mondialisation en opposant l’Occident à l’Orient.
Ce livre essaie ainsi de comprendre les mécanismes originels qui ont conduit aux attentats du 11 septembre et de Paris. Ainsi, la réflexion de Didier Musiedlak repose sur cette question : « De quelle façon l’Occident est devenu une machine à produire de la destruction à partir de la fin du XVIIIe siècle. » Pour y répondre, il propose de retracer les grandes étapes qui ont transformé un individu anonyme issu de la masse à un ennemi politique qu’il faut abattre.
Dans une première partie, l’auteur s’intéresse au terrorisme de masse.
Didier Musiedlak met en exergue les contradictions de la culture occidentale. Il présente aussi les origines du terrorisme à la Révolution, qui au nom de la liberté, inaugura le terrorisme d’État et celui de masse dans une pratique relevant du sacré.
Pour des raisons diverses, la Russie passe pour avoir inventé le terrorisme de masse moderne. Dans les années 1900, le phénomène connait une très nette accélération sous l’influence des socialistes révolutionnaires, des anarchistes et ce qui est moins connu des Bolcheviks. Le processus d’exécution est de plus en plus déshumanisé. Le but des attentats dépassait la chute du régime et touchait l’ensemble de la structure sociale.
Du côté des anarchistes, c’est seulement après les années 1880 que le terrorisme s’associa au mouvement de propagande « par le fait ». Il s’agit d’abandonner le terrain de la théorie verbale et écrite dont l’inefficacité avait été démontrée pour passer à une entreprise insurrectionnelle. C’est à cette époque qu’une identité anarchiste se forma à l’échelle internationale. En effet, des réseaux de compagnons et de militants se renforçaient à travers des références, des symboles et des contacts en commun. La propagande « par le fait » encourageait des hommes à sortir de la masse au péril de leur vie. La série d’attentats commis sur le sol français connu aussi un grand retentissement, car le régime politique était la République, régime fondé a priori sur le respect des libertés.
La nature de l’État-nation dans la seconde moitié du XIXe siècle a également offert un terrain favorable au développement du terrorisme de masse. L’idée d’un État unitaire disposant d’un contrôle territorial bien défini avec des frontière assurées et doté d’une culture homogène, renforce l’oppression sur les minorités.
Un tel processus eut pour effet de faire passer au second plan les vertus de tolérance et d’humanisme au profit d’une culture basée sur la contrainte et la force. Ce mouvement de radicalisation a conduit des nationalités opprimées à considérer que seule la lutte armée était en mesure de faire aboutir un processus d’émancipation.
La deuxième partie de l’ouvrage se concentre sur la militarisation de la société.
La militarisation de la société qui encouragea le terrorisme est liée à à l’héritage de la Première Guerre mondiale. Durant le conflit les Etats étaient parvenus à canaliser la violence au service du champ de bataille. Il en résultat une tuerie de masse sans précédent. Infliger la mort est devenue un acte banal. Dans ce contexte nouveau, le terrorisme a pu s’épanouir pour devenir un instrument privilégié de la lutte politique. La maitrise des terrains de combats a conduit à inaugurer des pratiques nouvelles qui tendent à effacer la distinction entre combattants et non combattants, allant jusqu’au massacre systématique des minorités ethniques.
La guerre a introduit une culture paramilitaire au sein de société civile. Dès le début des années 1920, Hitler est convaincu que l’espace public doit être militarisé et c’est ce qui le détermine à créer les SA (Sections d’Assaut).
Ce terrorisme d’État fut appliqué par les régimes totalitaires pour s’imposer par la terreur. De même en parallèle pour défendre leur intérêt à l’étranger, ils renforcèrent leur réseau. L’international rouge et celle noire visaient à étendre leur idéologie et enrayer la progression des ennemis.
Dans la dernière partie, Didier Musiedlak analyse le développement du terrorisme dans la deuxième partie du XXe siècle et le XXIe siècle.
A la fin de la Deuxième Guerre mondiale la matrice du terrorisme est fixée. La frontière entre civils et miliaires s’est estompée. L’idéologie a été élevée à un niveau inouï au nom de la race et du communisme. De plus l’organisation mondiale a changé avec l’apparition d’un monde bipolaire et plus tard celle de Tiers Monde.
Les menaces nationalistes, au moyen du terrorisme, fragilisent les empires coloniaux. Ces derniers usent également de la violence (pendant les guerres de décolonisation). L’ensemble permet de comprendre la nature du terrorisme durant la Guerre froide (notamment par le recours à la guérilla).
De plus, le spectre de la guerre civile plane en Europe. Entre 1970 et le début du XXIe siècle, la globalisation a eu pour effet de limiter la capacité de l’État-nation à réguler ses propres intérêts économiques. Son interdépendance le rend aussi plus vulnérable. Cette faiblesse s’est accrue en termes de sécurité nationale, en particulier face au terrorisme, qui utilise les moyens de la mondialisation (réseaux de transports, nouvelles technologies…)
Certes les États sont aussi confrontés à de menaces terroristes nationales ou ethniques. Mais le développement du terrorisme transnational à l’échelle du globe est important. Il révèle les liens complexes entre l’Orient et l’Occident.
Le radicalisme islamiste se développe en parallèle des volontés réformistes de l’intérieur en Islam (déjà présente depuis le XVIIIe siècle). Mais cette volonté réformatrice s’est dénaturée par le colonialisme qui l’orienta vers la création d’une communauté restreinte au cadre national imposé par des traités de paix.
Les massacres dans l’Hexagone s’apparentent à une stratégie de harcèlement contre les régimes démocratiques, en vue de saper leurs fondements. Même si l’Europe contrairement à l’Orient est encore à l’abri d’une guerre civile, il apparait que l’amputation de certaines parties de son territoire au profit d’un islamisme radical représente une sérieuse menace pour la démocratie.
En conclusion, le terrorisme est bien lié à la construction du monde moderne (industrialisation, mondialisation…). En opposition à l’individualisme et au capitalisme, des groupes se sont formées. Ils affirment la légitimité d’une action terroriste pour défendre une idéologie sacralisée, qui autoriserait les massacres. Sur le fond de globalisation s’oppose deux grandes aires culturelles, l’Occident et l’Orient (avec les fondements de l’Islam). Les deux revendiquent des valeurs universelles. Or les islamistes s’inspirent des origines terroristes apparues en Europe, qui a sa part de responsabilité dans cette violence mondiale.