Un groupe de jeunes chercheurs médiévistes réunis au sein de l’association Questes proposent cet ouvrage qui montre les rapports légendaires, fantasmés, inquiétants mais attirants des hommes avec la mer. Leur but une vulgarisation sérieuse et de qualité. Merci à Marie-Antoinette Alamenciak, Florian Besson, Tobias Boestad, Yoan Boudes, Maxime Fulconis, Nicolas Gernier, Viviane Griveau-Genest, Pauline Guéna, Catherine Kikuchi, Anne Kucab, Marie-Christine Payne, Marco Robecchi et Lisa Sancho pour ce livre passionnant.
Quelques documents iconographiques, situés en centre de l’ouvrage, le complètent utilement.
L’introduction plante le décor de la mer d’origine biblique aux mers multiples de la Baltique à l’Atlantique, au-delà de l’horizon jusqu’à la Mer Rouge quand l’époque antique se concentrait sur la Méditerranée, un élargissement des possibles, une nouvelle structuration de l’espace. Cette confrontation à l’univers marin est pour le Moyen-Âge une période de changements (outils et techniques de navigation, élargissement du commerce, aménagements côtiers) et d’une grande diversité des rapports de l’homme à la , de l’attirance à la crainte, de la pêche nourricière à un monde fantasmé habité de monstres. Enfin il ne faut pas oublier que la mer au Moyen-Âge est une espace masculin.
Percevoir la mer
Elle est d’abord perçue comme insondable, un monde hostile, le lieu de la colère divine.
La présentation du Roman d’Alexandre montre à la fois un souverain macédonien chevaleresque mais aussi épris de connaissance. C’est à cette œuvre que les auteurs empruntent le titre du présent ouvrage Le bathyscaphe d’Alexandre décrit comme merveilleux par l’auteur médiéval Alexandre de Paris qui imagine le monde marin comme le miroir du monde terrestre quand d’autres auteurs, et notamment Guillaume le Clerc, font vivre un bestiaire monstrueux. Des textes d’ Hildegrande de Bergen à ceux de Brunetto Latini une place particulière est attribuée à la baleine. Elle côtoie l’inévitable sirène, élément majeur de l’imaginaire médiéval.
Les hommes du Moyen-Âge sont intrigués par la salinité, les géographes arabes en recherche la cause et Brunetto Latini l’explication des marées assimilées à la respiration de la mer.
Si la mer est peu présente dans les légendes arthuriennes elle a une place à part dans les aventures de Tristan et Iseult où l’amour est associé à la tempête, moteur de l’aventure du Decameron à Shakespeare.
Ce premier chapitre aborde la fascination pour les îles lointaines comme « lîle aux pommes »de la littérature celtique.
Prendre la mer
Dans ce second chapitre c’est la question, bien matérielle, des techniques de navigation qui est posée à commencer par les dragons scandinaves, improprement appelés « drakkars », à vocation commerciale ou militaire. Navires efficaces, en constante évolution depuis le IVe siècle1. Les descriptions sont précises tout comme pour la « cogue » de Brême, instrument du commerce allemand en Mer du Nord et dans la Baltique.
En Méditerranée règnent galères, nefs, telle « La Roccaforte » qui conduisit St Louis en Terre Sainte en 1248, et bientôt caravelles.
Sur toutes les mers, les marins du Moyen-Âge avait une connaissance empirique des conditions de mer (marées, courants, vents, repères du trait de côte) pour une navigation par cabotage même si les historiens constatent aujourd’hui des audaces plus lointaines grâce à des instruments : la mystérieuse « pierre de soleil » scandinave, la boussole et l’astrolabe venus de Chine ou du monde arabe et les premiers repères de latitude (Tables de Tolède). Les cartes maritimes petit à petit sont plus nombreuses, plus diffusées depuis la plus ancienne connue, la « carte pisane » de la fin du XIIIe siècle à l’invention d’un nouveau système de projection en 1569 par le Flamand Mercator et aux portulans très décorés sans doute peu utilisés en mer.
Vivre en mer : horizon et dangers
Si les hommes qui vivent cette expérience sont peu nombreux les pèlerins nous informent sur les réalités de l’embarquement « se mettre en mer », le vie dans des espaces étroits et inconfortables, un monde de contraintes décrit en 1339 par le « Tractatus Marinarius » qui montre les diverses fonctions et la hiérarchie à bord. Les auteurs évoquent le difficile recrutement de l’équupage, la nourriture carencée et le danger omniprésent qui invite à la prière.
Un paragraphe est consacré aux « Vikings » quand un autre traite de la piraterie entre appât du gain et soutien des autorités.
La mer nourricière
C’est d’abord trois produits de base : le hareng, l’huître et la baleine. Les auteurs rappellent la vision chrétienne d’animaux marins souvent mal connus. Les activités de pêche sont décrites à partir des exemples de la pêche côtière du Golfe de Gascogne et la pêche au hareng du détroit d’Oresund.
La mer fournit aussi des crustacés comme la coquille St Jacques mais aussi le corail et l’encre2.
Consommés localement les produits de la mer sont aussi expédiés vers l’intérieur des terres, indispensables pour les périodes de carême ces pratiques sont évoquées dans le Roman de Renard ou dans la littérature arthurienne.
Enfin les auteurs rappellent l’importance dès le Moyen-Âge du transport maritime de nombreux produits (blé, vins, épices, bois) sans oublier les esclaves. Ils évoquent les conditions (contrat, partage des gains et des pertes) tant en Méditerranée (Venise, Gênes) que dans le monde hanséatique.
Ports et sociétés littorales
Au cours de Moyen-Âge le rôle et l’influence des différents ports évoluent en fonction du trafic maritime, des pôles politiques majeurs (Byzantins, Musulmans, Latins) et de la sécurité face aux menaces / Les auteurs analysent les atouts de quelques sites portuaires interfaces avec l’arrière pays. Abris face aux tempêtes ils doivent se protéger des pillages et sont sensibles aux évolutions politiques et économiques de l’arrière pays comme le montre l’exemple de Boulogne ou la création d’Aigues-Mortes. Une étude plus précise est proposée pour Gênes.
Le port est pas essence cosmopolite avec les populations rurales environnantes, les communautés de marchands venus d’horizons lointains, voire les pèlerins de passage ; des lieux dynamiques décrits par de nombreux auteurs du Moyen-Âge.
L’histoire des côtes médiévales est marquée par trois périodes : du Ve au XIe siècle devant les menaces barbares, un recul des populations vers des lieux plus sûrs ; dans la seconde moitié du Xie siècle une reprise du commerce et de la pêche ; à partir XIIIe siècle le développement de la poldérisation et des marais salans connus notamment grâce à l’archéologie.
A qui la mer ?
Ce dernier aborde la question de la domination politique , la « fabrique médiévale des thalassocratie modernes »3.
C’est d’abord l’occasion d’évoquer rapidement quelques grandes batailles navales (siège de Constantinople- 674-678, bataille d’Ascalon – 1123, bataille de l’Écluse – 1340, bataille de Lépante – 1571). On peut noter que la plupart opposent le monde occidental aux puissances musulmanes.
Régner sur la mer suppose une flotte (Venise) mais aussi un réseau de comptoirs ou de s’allier entre cités marchandes (dans la Baltique).
Taxer la mer ou plutôt l’économie maritime telle est la question à laquelle s’efforcent de répondre les auteurs (Danemark, Angleterre, Égypte fatimide). Un paragraphe est consacré à la question de l’appropriation des hommes et des biens en cas de naufrage en dépit d’un début de droit de la mer sont témoignent de nombreux documents (Table amalfitaine, Rôle d’Oléron, Llibre del Consolat de Mar).
Les auteurs présentent les débuts des voyages d’exploration le long des côtes africaines et comment les « grandes découvertes » pose la question de la propriété de la mer.
Un livre qui invite à ne pas négliger la place de la mer dans l’histoire médiévale.
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1Connu par le bateau trouvé dans la tourbière de Nydam au Danemark
2Encre de seiche ou pigment obtenu en Bretagne à partir du Nucella Lapillus
3Selon l’expression des auteurs p. 149