Compte rendu réalisé par Lou-Ann Rouchon, étudiante en hypokhâgne (2019-2020) au lycée Albert Schweitzer du Raincy (Seine-Saint-Denis) dans le cadre d’une initiation à la réflexion et à la recherche en histoire.

 

Présentation :

Thomas Carlyle est un écrivain, satiriste, philosophe et historien né en 1795 en Écosse et mort en 1881 en Angleterre. Il est issu d’une famille calviniste et se destine tout d’abord au métier de pasteur. Mais il perd la foi lors de ses études à Edimbourg, cette perte rend ses travaux intéressants. Il est un auteur très influent durant l’époque victorienne. Son œuvre Histoire de la Révolution française en trois volumes, publiée en 1837, lui vaut une renommée européenne. Il est aussi connu pour avoir publié Sartor Resartus en 1831, Les Héros en 1841 et Past and Present en1843.

Son étude Les Premiers Rois de Norvège, parue en 1875 vers la fin de sa vie où il écrivait peu, eut très peu de succès et reste méconnue. Il s’agit d’un ouvrage historique mais reprenant le style des sagas nordiques. Thomas Carlyle retrace chronologiquement l’histoire des rois, en faisant le portrait de presque chacun d’entre eux, depuis l’unification de la Norvège sous Haraldr Hårfagre vers 860 jusqu’à la fin de la lignée des Hårfagre au XIVe siècle. Il aborde aussi le début de la lignée de Sverrir. Il apporte des précisions sur d’autres puissances européennes et fait de nombreux parallèles avec l’histoire anglaise. Cet ouvrage propose également une réflexion sur la politique contemporaine. L’œuvre contient un court prologue où l’auteur présente ses sources. Il utilise principalement les Sagas islandaises. En particulier celles de l’historien islandais du XIIIe siècle Snorri Sturluson, son Edda et son Heimskringla (Histoire des Rois de Norvège). Il utilise aussi des scaldes nordiques, des ouvrages de l’histoire anglaise et les travaux de l’historien Dahlmann. Les sources concernant cette période de l’histoire de la Norvège sont peu nombreuses, parfois peu fiables et peuvent présenter des erreurs, surtout sur les dates.

Résumé :

Chapitre I : Haraldr Hårfagre : Le récit des premiers rois de Norvège commence aux environs de l’année 860, moment où la Norvège s’unit sous un roi, Haraldr Hårfagre. La Norvège était alors composée de petits territoires républicains ou parlementaires sous l’autorité d’un jarl, le chef des armées. La conquête prit environ douze ans mais le royaume n’est pas vraiment consolidé. Le but de cette conquête était d’abord de conquérir Gyda Eiríksdóttir pour l’épouser. L’auteur explique ensuite qu’il s’agit de l’époque de la colonisation nordique, notamment celle de l’Islande, des îles Féroé et de la Normandie par les Scandinaves. L’auteur explique ensuite qu’Haraldr a su montrer son autorité et faire régner la justice et l’ordre dans son royaume.

Chapitre II : Eiríkr Hache-sanglante et ses frères : Il reste à Haraldr quatre fils encore vivants à la fin de son règne. Il fait d’Eiríkr, son fils aîné, son successeur et les trois autres ses feudataires, lui devant une contribution annuelle. Mais ce système ne fonctionne pas. Eiríkr se livre à un carnage contre ses frères, ce qui lui vaut le surnom de Hache-sanglante. Il est roi de Norvège de 930 à 935. En parallèle, Haraldr a eu un autre fils vers 920, Hákon, puis devient feudataire du roi anglais Æthelstan en acceptant malencontreusement un symbole d’investiture. Haraldr fait donc adopter Hákon par Æthelstan en utilisant une stratégie similaire. Le chapitre se clôt sur la mort d’Haraldr vers 933.

Chapitre III : Hákon le Bon : Eiríkr était très impopulaire durant son règne à cause de sa violence. Hákon fit son apparition en Norvège après la mort de son père et fut reconnu roi par le Thing, c’est-à-dire une assemblée gouvernementale, organisée dans la localité de Trondheim. Eiríkr et sa famille durent s’enfuir au Danemark. Les deux pays se mirent en guerre suite à d’importants pillages. Hákon fut un roi régulateur, apprécié, qui repoussa maintes invasions danoises. Néanmoins, ce roi élevé dans la foi chrétienne se donna comme objectif de se débarrasser du paganisme nordique en Norvège et d’y introduire l’Evangile chrétien. Il rencontre l’opposition païenne des peuples et les progrès sont très lents. L’auteur raconte le déroulement d’un Thing au cours duquel le peuple demande à Hákon de respecter leurs croyances, sinon ils déserteront. Le roi accepte. Vers 961, la plus grande tentative d’invasion danoise éclate. Les Norvégiens se battent contre les Danois qui sont beaucoup plus nombreux qu’eux mais finissent quand même par l’emporter. Néanmoins, Hákon perd la vie durant cette bataille.

Chapitre IV : Haraldr à la Pelisse-grise et ses frères : Les fils d’Eiríkr reprirent la Norvège en main avec Haraldr à la Pelisse-grise comme roi et les autres comme roitelets. Ils tuent notamment le roitelet Tryggve. Seuls les habitants de Trondheim marquent leur opposition en reconnaissant leur jarl actuel, qui s’appelait aussi Hákon, comme chef. Ce dernier fuit et se réfugie au Danemark. Les frères d’Haraldr à la Pelisse-grise se montrent violents, mais Haraldr applique sa politique avec modération et honnêteté. Hákon, en exil, obtient le soutien du roi du Danemark Haraldr à la Dent-bleue. Haraldr à la Pelisse-grise repousse les attaques du Danemark mais il tient à faire la paix avec Haraldr à la Dent-bleue. Une rencontre est prévue où Hákon tue Haraldr à la Pelisse-grise et met ses frères en fuite. La date de cet évènement est incertaine. Hákon devient gouverneur de Norvège avec le titre de jarl.

Chapitre V : Hákon le Jarl : Hákon le Jarl bénéficie de beaucoup de considérations durant son règne et il n’y a plus de tensions avec le Danemark. Il est un fervent païen ritualiste mais affiche tout de même une tolérance religieuse. Son combat contre les Jomsvikings, troupe de mercenaires vikings peut-être légendaire, semble être son plus grand exploit. L’auteur s’interroge ensuite sur le rôle des Jomsvikings dans la Bataille de Loncarty en Ecosse entre 975 et 994. À la fin de sa vie, Hákon le Jarl devient très débauché, ce qui ruine sa réputation et permet l’entrée en scène d’Oláfr Tryggvason.

Chapitre VI : Oláfr Tryggvason : Nombreuses sont les rumeurs sur Oláfr Tryggvason qui se fait appeler « Oli ». Il se fait connaître par ses nombreuses victoires en étant associé avec Sveinn à la Barbe-fourchue, prince royal du Danemark. Hákon envoie un espion qui retrouve Oli à Dublin, Oláfr lui révèle être le fils de Tryggve, tué par les fils d’Eiríkr à la Hache-sanglante. Les deux préparent une expédition en Norvège pour qu’Oláfr prenne le pouvoir. Quand il arrive, il reçoit le soutien de la population. Hákon doit s’enfuir avec son esclave. Cet esclave tue son maître et se fait tuer par Oláfr. L’auteur évoque ensuite les explorations de l’Amérique du Nord et du Groenland par l’Islandais Eiríkr le Rouge et son fils.

Chapitre VII : Règne d’Oláfr Tryggvason : Oláfr fut roi de Norvège environ de 995 à 1000. L’auteur commence par revenir sur son enfance, puis évoque ses débuts en tant que pirate. Lors de cette période, il accepte le baptême chrétien. L’auteur raconte ensuite sa conquête de l’Angleterre avec Sveinn à la Barbe-fourchue. Le règne d’Oláfr est marqué par la volonté de mettre un terme à l’anarchie en Norvège et de lutter contre le paganisme. Dans l’ensemble, Oláfr réussit à convertir son peuple en faisant usage de stratagèmes ou en utilisant la violence. L’auteur évoque ensuite les aventures entre Oláfr et la reine de Suède, Sigrid. Sveinn épousa Sigrid et Búrizláfr le roi des Wendes désira épouser Thyri, la sœur de Sveinn, mais cette dernière s’enfuit et demande protection chez Oláfr. Il l’épouse. Thyri convainc son mari d’aller récupérer ses terres chez Búrizláfr, il part avec une flotte. En voyant cette expédition, le Danemark, la Suède et le jarl Eiríkr de Norvège s’allient pour anéantir Oláfr. Búrizláfr accepte de rendre les terres réclamées sans résistance. Sur le chemin du retour, une grande armada ennemie attend Oláfr, celui-ci refuse de fuir et se livre au combat. La bataille dure toute une journée. Oláfr finit par sauter par-dessus bord et meurt.

Chapitre VIII : Les jarls Eiríkr et Sveinn : Le jarl Eiríkr fut fait Gouverneur de Norvège avec son frère Sveinn, sous l’égide de Sveinn à la Barbe-Fourchue et du roi de Suède. Il gouverna pendant quatorze ans, avec prudence et adresse. L’auteur raconte ensuite l’histoire de la conquête de l’Angleterre, qui était gouvernée par Æthelred le Malavisé, par Sveinn à la Barbe-fourchue. Sveinn réussit à accéder au trône de l’Angleterre et Æthelred fuit en Normandie. Après sa mort, son fils Knud hérite de son royaume et parvint à consolider l’Angleterre. Knud aurait pu gouverner l’Angleterre et le Nord, s’il avait vécu plus longtemps.

Chapitre IX : la période viking d’Oláfr le Gros : Oláfr le Gros est le fils d’Haraldr Grenske, arrière-arrière-petit-fils de Hårfagre. Il prit la mer très jeune avec son tuteur. Il commença à se faire reconnaître en tant que viking et stratège après une expédition en Suède. Son génie militaire lui permet d’assiéger et de conquérir Londres, jamais assiégée auparavant. Vers l’an 1027, il réussit à mettre Knud en fuite. Il revient en Norvège vers 1015 pour revendiquer son droit au trône. Il se proclame roi lors d’un Thing et rencontre peu d’opposition. Il parvient à un accord avec le jarl Hákon et toute la Norvège le reconnait comme roi.

Chapitre X : Règne du roi Oláfr le Saint : Etant donné que les deux derniers jarls étaient chrétiens mais croyaient tout de même en Thor, le paganisme reprit de l’ampleur en Norvège. Oláfr tenait donc à remédier à cela sur le modèle de Tryggvason en utilisant des méthodes violentes. L’auteur raconte ensuite le déroulement d’un Thing à Dovrefjell où il y eu un débat théologique important. Au bout de plusieurs jours les habitants se convertirent. Il parvint à faire disparaître totalement le paganisme en Norvège. Malgré sa sévérité, Oláfr était aussi vu comme un roi très juste et pieux. L’auteur détaille l’exemple où il laissa la vie sauve à un ennemi. Les dix premières années de son règne se découlent sans revers. Mais, en 1026, des tensions apparaissent avec Knud qui revendique des droits sur la Norvège. Oláfr refuse de lui payer un tribut et défend son pays. En 1027, la bataille de Limfjord éclate, opposant Knud et Oláfr. Knud en ressort vivant de peu. Il se proclame souverain de Norvège en récoltant des serments d’allégeance dans le pays. Oláfr est contraint de s’exiler plusieurs années. Knud désigne Sveinn, son fils bâtard, jarl de Norvège. Oláfr vit une opportunité de faire valoir ses droits, il regagna la Norvège et rassembla des troupes. La bataille de Stiklestad eut lieu, en 1030 ou 1033, durant laquelle Oláfr meurt.

Chapitre XI : Magnús le Bon et ses successeurs : Le nouveau roi Sveinn de Jómsborg, fils naturel de Knud, n’eut aucun réussite en Norvège. A sa mort, Knud laisse derrière lui deux fils légitimes, Haraldr ou Harold qui obtint l’Angleterre, et Harda-Knud qui eut le Danemark. En Norvège, des chefs s’accordent pour demander à Magnús, le fils d’Oláfr, de devenir roi. Cela s’exécute et Sveinn fuit au Danemark. Magnús entreprit d’attaquer le Danemark et parvint à un traité de paix avec Harda-Knud. A la mort d’Harda-Knud, Magnús devient roi du Danemark. L’auteur introduit ensuite le personnage d’Haraldr Hardråde, le demi-frère d’Oláfr le Saint. Il évoque sa jeunesse en tant que Varègue avant de décider d’aller chercher son héritage royal en Norvège. Il parvint à un compromis avec Magnús qui partagea son royaume. Ils se présentèrent donc comme les deux rois nordiques. Magnús ne vécut pas longtemps. À sa mort, Haraldr devient roi de Norvège et Svend Estridsen roi du Danemark. En 1066, Tóstig, le fils du comte anglais Godwin, demanda à Haraldr de se joindre à lui pour qu’il obtienne la part de royaume que son frère Harold lui devait suite à la mort du roi Edward le Confesseur. Haraldr accepte, s’empare de York et devient roi du Northumberland. Il meurt ensuite lors d’une bataille contre Harold. Par la suite, ses fils Oláfr et Magnús Haraldsson règnent sur la Norvège.

Chapitre XII : Oláfr le tranquille, Magnús aux Pieds-nus et Sigurdr le Croisé : Son frère Magnús étant mort peu après, Oláfr régna sur la Norvège environ vingt-cinq ans avec calme et magnanimité. Son fils, Magnús aux Pieds-nus, eut pour objectif de conquérir l’Irlande. Il eut une grande autorité sur les roitelets irlandais et poussa sa conquête vers l’ouest de l’Irlande. Mais il mourut lors d’une bataille en 1103. Il laissa trois fils qui régnèrent ensemble dans la concorde. Sigurdr régna seul pendant longtemps car ses frères étaient morts jeunes. Un certain Haraldr Gille arriva d’Irlande et se présenta comme fils naturel de Magnús aux Pieds-nus. Sigurdr lui fit promettre de ne pas revendiquer de participation au gouvernement. Mais Gille rompt cette promesse lorsque Magnús le fils de Sigurdr monta sur le trône. On estime qu’à partir de ce moment-là, vers 1130, la Norvège connut environ cent ans de guerre civile sans qu’aucun roi ne s’impose dans la durée. Gille causa donc la disparition de la lignée des Hårfagre.

Chapitre XIII : Magnús l’Aveugle, Haraldr Gille et l’extinction de la lignée des Hårfagre : A la mort de Sigurdr, Magnús monta sur le trône et peu après une guerre éclata entre lui et Gille. Gille le battit et le mit hors d’état de nuire. Il accéda au trône mais fut assassiné et Magnús repris le trône, mais les fils de Gille le tuèrent et eux-mêmes furent assassinés. Ils s’affrontent donc mutuellement jusqu’à s’exterminer.

Chapitre XIV : Sverrir et ses descendants, Hákon le Vieux : En 1177, un certain Sverrir à la tête d’une armée de pauvres hères, appelés les Birkebeinar, parvint à se faire accepter comme roi et fonde une nouvelle dynastie en Norvège. L’auteur raconte ensuite les aventures de Sverrir et ses Birkebeinar considérés comme de féroces guerriers. Sverrir mit en partie fin au chaos en Norvège. Hákon le Vieux est l’un de ses successeurs.

Chapitre XV : Hákon le Vieux à Largs : La Bataille de Largs, en 1263, fait partie des nombreux faits d’arme de Hákon. Le roi d’Ecosse Alexander III souhaitait acheter à Hákon sa souveraineté sur les Hébrides, mais il refusa et se rendit sur place. Il reprit les choses en main avec sa flotte et descendit vers Largs. Il y fut vaincu et partit vers les Orcades où il mourut. Hákon en tant que grand politicien avait obtenu que l’Islande soit unifiée au royaume de Norvège.

Chapitre XVI : Epilogue : Les descendances de Hårfagre et de Sverrir en Norvège durèrent près de trois siècles chacune. En l’an 1397, les trois royaumes scandinaves tombent sous le joug de la reine Margrete du Danemark avec l’Union de Kalmar. L’auteur propose ensuite une réflexion politique sur l’histoire des Hårfagre, il y avait chez eux quelque chose de naturellement royal. De plus, cette lignée compte deux héros « d’un type supérieur ». Enfin, l’auteur réfléchit sur le travail de Snorri en en montrant les caractéristiques homériques.

 

Appréciation :

Cette œuvre est assez complète et intéressante. Néanmoins, le problème des traces reste présent. En effet, les sources concernant cette période sont peu nombreuses. Il s’agit de sources principalement littéraires mais peu objectives, ainsi que quelques sources archéologiques, artistiques et religieuses. A cette époque, les Norvégiens écrivaient très peu. Elles viennent souvent de personnes étrangères à la Norvège. Surtout de la part d’ennemis qui devaient faire face à la menace norvégienne et aux invasions.  De plus, ces personnes étaient souvent chrétiennes et leur vision de peuples païens n’était pas neutre. Si elles viennent de Norvège, elles sont pour la plupart postérieures à cette période. Cela peut donc nuire à la véracité et à l’objectivité de certains faits. De plus, les dates déduites de l’œuvre de Snorri ne sont pas exactes car il connaissait un calendrier islandais différent du nôtre. Les dates sont donc presque toujours des approximations. Nous pouvons ajouter que Thomas Carlyle manque parfois d’impartialité concernant l’Angleterre et les rapports entre celle-ci et les peuples nordiques. Il fait souvent passer ces peuples pour des sauvages païens, surtout avant que le christianisme s’établisse en Norvège. Le « je » de l’auteur intervient régulièrement au cours du récit. Carlyle évoque beaucoup de détails sur l’Angleterre, certains sont peut-être superflus et rendent le récit parfois confus.

Il s’agit tout de même d’une œuvre intéressante qui se veut véridique. Son aspect chronologique permet d’avoir accès aux évènements de cette période méconnue d’une manière assez simple et accessible. L’œuvre est très synthétique, Thomas Carlyle qualifie lui-même son travail de « modestes évocations » mais présente tout de même des détails et anecdotes. L’œuvre est très centrée sur le plan politique mais ne délaisse pas pour autant les questions culturelles et religieuses très importantes. Elle est donc équilibrée. Bien que cette étude raconte pour la majeure partie des faits avec peu d’analyses, les réflexions personnelles de l’auteur, lorsqu’elles interviennent, sont pertinentes, en particulier sur le plan politique.