Archiviste paléographe, docteur en histoire, Charles-Éloi Vial est conservateur à la Bibliothèque nationale de France depuis 2012. Après un remarqué « Les derniers feux de la monarchie. La cour au siècle des révolutions » (Perrin, 2016), sa biographie de Marie-Louise a été couronnée l’année dernière par le prix Premier Empire de la Fondation Napoléon.
Traiter un tel sujet n’est pas neutre. Le remords de la Révolution dans le titre en dit long. Pour les partisans de la Révolution, cet épisode représente un angle mort de l’historiographie tandis que ses contempteurs se sont réfugiés dans le souvenir et les commémorations. Beaucoup des témoignages ont été relevés et des travaux se sont centrés sur les détenus, sur le procès ou sur la mort du roi (Albert Soboul), celui de la reine (Annie Duprat) ou l’abandon du dauphin. Le nouvel objet d’étude proposé par l’auteur est de saisir le rôle du Temple et de ses prisonniers au sein du Paris révolutionnaire, son rapport avec les nouvelles institutions ainsi que sa place dans les imaginaires, en somme une unité de lieu sur un temps très court. L’histoire de la captivité de la famille royale offre aussi une galerie de personnages uniques, membres des comités, soldats de la garde nationale ou simples anonymes dont les destins se révèlent passionnants. D’autres sont des acteurs majeurs de la Révolution dont les liens avec le Temple ont été oubliés. Ainsi Charles-Éloi Vial entend mener une enquête sur la détention de la famille royale en se posant la question de savoir comment des prisonniers sont devenus des cadavres, puis des victimes. Quelles sont leurs conditions d’enfermement, et qui ont-ils côtoyé ?
L’incarcération de la famille royale au Temple, le 13 août 1792, annonce le moment où la Révolution éclairée de 1789, qui se voulait pacifique, amorce une nouvelle phase. Certains auteurs parlent d’une seconde Révolution, un moment où les événements dérapent, les pouvoirs sont usurpés et le tribunal improvisé. La famille royale devient un bouc émissaire d’une période qui se radicalise, chef de la contre-Révolution alliée aux puissances européennes contre qui les soldats français se battent aux frontières. La Commune insurrectionnelle de Paris du 10 août qui remplace celle de 1789, prend en charge le destin des prisonniers royaux qu’elle fait enfermer au Temple devenu une « bastille royale », seul lieu qui pourrait éviter une éventuelle évasion. La famille royale s’avère un enjeu entre les protagonistes révolutionnaires qui se succèdent au pouvoir. En effet, le procès du roi se situe après les massacres de septembre où les prisons sont vidées « des ennemis de la nation » et l’affaiblissement de l’aile droite de la Convention nouvellement élue. Alors que les ennemis sont entrés en Champagne, les élus sont persuadés que le roi tire les ficelles d’un complot contre-révolutionnaire et le Temple devient le catalyseur des peurs les plus irrationnelles.
Mais comment juger le roi ? La perspective d’un régicide en effraie plus d’un et le sort de Louis XVI devient un enjeu politique entre les Girondins qui sentent le pouvoir leur échapper et les Montagnards désireux de couper physiquement avec le passé : l’Europe serait épouvantée et la guerre en serait abrégée car la victoire assurée. Voilà un piège tendu aux députés. Ne pas vouloir juger le roi signifierait le défendre. Paris est en ébullition. Des sans-culottes réclament la tête de Louis Capet forçant à doubler la garde de la prison. Le procès est joué d’avance. La Commune attend avec impatience le verdict. A la Convention, les Girondins cherchent à multiplier les débats pour gagner du temps mais les Montagnards qui obtiennent que chaque député exprime son vote, pipent les dés du résultat inéluctable. En France comme en Europe, la mort de Louis XVI est un choc immense. L’Autriche a tourné le dos à son allié français dont les partisans n’ont rien fait pour le sauver. Il est plus facile de pleurer un martyr que de négocier sa vie. Pour une partie des émigrés, Louis XVI a cessé de régner et certains accusent sa faiblesse. Les nobles misent sur l’avenir, une régence de Marie-Antoinette. Monsieur, le comte de Provence, apprend la mort de son frère les yeux secs et s’empresse de se proclamer le régent du royaume de France.
La levée en masse décrétée par Danton et l’envoi de représentants en mission entraînent le soulèvement de plusieurs provinces comme la Vendée. Ces mouvements ont des conséquences directes sur la détention du petit roi. C’est parce ce que des armées prétendent agir en son nom qu’il n’est jamais libéré et que ses conditions de détention s’aggravent. Alors que les Girondins sont accusés d’avoir mal préparé le pays à cette situation de crise, les enragés fulminent. Au Temple vit une famille brisée (p 177) : Marie-Antoinette dans un état de maigreur extrême, Mme Élisabeth mutique et les enfants moroses. Mme Royale aurait écrit : « cette tour est un enfer ». La dégradation de la situation parisienne et l’élimination de l’opposition girondine en juin 1793 fait pencher la balance en défaveur des survivants de la famille royale. L’enragé Hébert, rédacteur du Père Duchesne, parle du complot pour délivrer « la louve Capet et le petit Arlequin ». L’ombre de la prison s’étend de nouveau sur les factions qui se déchirent pour conserver le pouvoir. L’assassinat de Marat accentue la haine contre les captifs du Temple accusés du meurtre. Alors que le 27 juillet 1793, le comité de Salut public renforce son pouvoir avec l’entrée de Robespierre, Marie-Antoinette devient un bouc émissaire. La reine doit expier les fautes de la monarchie. Le 3 juillet, le dauphin d’une santé déjà fragile est séparé de sa mère, Couthon et Saint-Just accusant les Girondins de vouloir restaurer le trône. C’est à ce moment que le cordonnier Antoine Simon, un protégé d’Hébert, détestant les Bourbons, emménage au 2ème étage avec sa femme pour s’occuper de Louis.
Les députés décrètent que Marie-Antoinette serait traduite devant le tribunal révolutionnaire et annoncent son transfert immédiat à la Conciergerie (prison réservée au criminel d’État) sur réquisition du procureur général de la Commune. La reine est isolée dans une cellule sordide dans un dénuement complet. Le couple Richard, concierges de la prison, font payer à prix d’or la visite de la cellule de la reine, qui se plaint d’un incessant défilé d’inconnus. Déjà, la famille royale, objet de toutes les rumeurs, attise la curiosité. La reine doit attendre encore deux mois et demi, son destin étant suspendu aux nouvelles de la guerre. La loi des suspects votée le 17 septembre 1793 fournit un prétexte légal imparable. Un simulacre de procès s’ouvre dans l’ancienne salle du parlement de Paris où Marie-Antoinette se voit accusée de tous les gaspillages de la société d’Ancien Régime mais surtout d’inceste d’après les aveux que le fameux Simon a extirpé au dauphin terrorisé, rééduqué et aviné. Une mère abusant de son fils mérite la mort. Elle est jugée coupable à l’unanimité. Même Robespierre est furieux de la mise en scène élaborée par les Enragés car il comprend qu’elle discrédite le tribunal révolutionnaire.
La question de l’utilité du Temple hante les esprits. Le roi et la reine morts, le dauphin rééduqué, les princesses semblent une monnaie bien insignifiante. Pourtant l’idée de les faire passer en jugement est encore présente. La prison qui mobilise des moyens importants, rappelle un régime d’exception et reste un sujet de fantasmes et de rumeurs. L’année 1794 continue à instrumentaliser les prisonniers du Temple. Le 30 mars 1794, Robespierre accuse Danton de conspiration avec la reine avec qui il aurait eu des entretiens secrets pour le rétablissement du trône. Il est guillotiné avec ses amis dont Camille Desmoulins. Commence une époque où la grande Tour devient suspecte du coût engendré par son fonctionnement. Les dépendances du vieux donjon ont été envahies par des logements de fonction, dans des baraques attenantes. Ainsi, les employés et leur famille étaient nourris, logés, blanchis et chauffés gratuitement. De petites compromissions en arrangements fructueux, la vie au Temple permet à ceux qui avaient compris comment tirer profit de la situation de faire de copieux bénéfices et de vivre confortablement à l’ombre de la grande tour. Les revirements politiques continuent à influer sur le sort des prisonniers. Robespierre se sert de la sœur de Louis XVI comme un fusible pour galvaniser la population parisienne échauffée par les mauvaises nouvelles de la guerre. La folie de la Terreur impose le sacrifice de la dernière adulte Capet. La fin de l’Incorruptible peut surprendre puisqu’il est accusé lui aussi, de conspirer avec la prison pour épouser Marie-Thérèse et devenir roi à son tour.
En novembre 1794, trois hommes de la Convention thermidorienne viennent visiter le Temple. Ils sont surpris de trouver le fils de Louis XVI dans un état de santé déplorable, sale, mutique et terrorisé. Après les mauvais traitements subis, l’enfant de 10 ans a été oublié. Aucun n’avait envie d’annoncer sa mort au pays sachant qu’ils seraient jugés responsables. Jouet des circonstances politiques, « Louis XVII » meurt en juin 1795 de la tuberculose sans avoir servi à ceux qui voulaient en faire une monnaie d’échange. Pour l’auteur de cet ouvrage, il aurait pu devenir un symbole de réconciliation entre deux France, établissant une monarchie parlementaire.
La mort du Dauphin fait resurgir le sort de sa sœur Madame Royale qui devient un symbole pour les royalistes. La jeune fille âgée de seize ans est invisible depuis la chute de la monarchie. Sa présence à Paris gène, alors que la France reste empêtrée dans une guerre interminable. Une campagne de presse fait prendre conscience de l’état de dénuement. Mme de Chanterenne est choisie comme « femme de service », afin d’éduquer la fille des Capet. L’idée de libérer la jeune fille fait son chemin, mais à qui la confier. Ce sera à l’Autriche avec qui la France signe la paix. Elle est donc une monnaie d’échange contre des prisonniers. Le 19 décembre 1795, la jeune femme qui a fêté son 17ème anniversaire quitte sa prison après 1 222 jours de captivité. Arrivée en Autriche, Marie-Thérèse adopte l’attitude d’une martyre mais elle comprend rapidement qu’elle est l’enjeu de toutes les convoitises, côté Louis XVIII comme côté autrichien. Mariée à son cousin germain, elle devient la comtesse d’Angoulême.
L’histoire de la grande Tour n’est pas terminée pour autant. Loin de faire disparaître la royauté, la prison du Temple devient le symbole d’un martyre honni que cherchent à faire revive les nombreux témoignages de ceux qui ont fréquenté les lieux et qui ont côtoyé la famille royale. Dès mars 1796, le donjon devient une prison d’État utilisée sous le Consulat et le début de l’Empire. La fascination qu’exerce l’ancienne prison royale explique que Napoléon ordonne sa destruction en 1808. Le Temple est vendu à l’entrepreneur Robert Moel. Loin d’entamer sa destruction, le Sieur a l’idée de faire visiter les lieux et des centaines de curieux se bousculent dans l’ancienne cellule de Louis XVI. La police doit intervenir et la démolition se déroule jusqu’en 1811. S’en suivent alors des écrits qui ressuscitent les lieux qui fascinent encore aujourd’hui.
Ce voyage au cœur de ce donjon fatal fut des plus agréables et « captivants ». Cet ouvrage érudit se lit facilement ou plutôt il se vit. Happé dès les premières pages, le lecteur est vite passionné par cette narration à la fois historique et pittoresque. Une seule réserve, une conclusion toute personnelle sur les conséquences des événements révolutionnaires sur la politique française du XIXe siècle.