L’album Le Berger et l’Assassin constitue le fruit de la cinquième collaboration entre l’auteur Henri Meunier et l’illustrateur Régis Lejonc et leur première avec les éditions Little Urban. Dans leurs précédents ouvrages en commun, comme dans celui-ci, les sujets abordés sont toujours forts. Dans La Môme aux oiseaux (Rouergue – 2003), avec beaucoup de poésie, les deux artistes évoquent les non-dits et leur libération par la parole et l’imaginaire. Dans La Mer et lui (Notari – 2004), ils abordent la question de la mer et de la manière dont elle parle aux marins, ils évoquent déjà ce dialogue entre l’homme et les forces de la nature. Dans La Rue qui ne se traverse pas (Notari – 2011), ils mettent en scène deux amants qu’une rue séparent et qui ne peuvent s’aimer que par le vol des oiseaux et l’imaginaire qu’ils se créent ensemble, surmontant l’obstacle de cette rue béante. Enfin, dans Cœur de bois (Notari – 2016), ils imaginent la suite, 20 ans après, de l’histoire du Petit Chaperon Rouge. Elle a grandi et est une femme maintenant ; lui, le loup, est un vieillard tapi au fondes bois que seul le Chaperon Rouge vient voir.

            Régis Lejonc est né en 1967. Après des études à Sciences Po et une école de gestion, il peint en autodidacte, travaille pour la publicité et l’illustration de presse. Sa rencontre avec Olivier Douzou, au milieu des années 1990, le pousse à dessiner pour la jeunesse. Le premier ouvrage qu’il illustre, Tour de manège, est publié en 1995 aux éditions du Rouergue, où Olivier Douzou est directeur de collection. Pendant, quelques années, au milieu des années 2000, il partage un atelier avec Henri Meunier, sur Bordeaux.

            Henri Meunier est né en 1972. Après avoir étudié les arts plastiques à l’université, il fait ses premiers pas en littérature jeunesse avec l’album Le Paradis illustré par Anouk Ricard, publié aux éditions du Rouergue en 2001. Depuis, il a écrit et/ou illustré plus de 80 albums, publiés chez diverses maisons d’édition.

            Le Berger et l’Assassin est une aventure humaine. Comme dans La mer et lui, le récit met l’homme face aux forces de la nature. Le récit débute in medias res. Un berger héberge dans son chalet d’altitude un assassin en fuite qui a reçu une balle dans la jambe. À travers les lignes, on arrive à comprendre que l’on doit se situer dans les années 1940, à la frontière entre l’Italie et la France. L’assassin est traqué par des chemises grises « fascistes ». L’assassin veut passer de l’autre côté de la montagne. Le berger, sous la menace, doit le guider à travers les cimes. « Qui que tu sois, la montagne est plus dangereuse que toi », lance le berger à l’assassin. Entre les deux hommes, un simulacre de confiance s’installe, une aventure humaine finit par les relier. Cette aventure est livrée dans le récit qui apparaît toutes les deux pages. Les blocs de textes et les dialogues sont entrecoupés par des illustrations splendides de la montagne. Au fil des images, on voit passer les jours. Si ce n’est sur la couverture et sur l’avant-dernière image, les deux personnages ne sont jamais représentés. L’illustration vient dépeindre le troisième personnage : la montagne.

            À travers la narration texte/image, la montagne apparaît comme un géant qui impose sa loi aux hommes. Elle protège mais elle punit quand l’homme manque de prudence. Elle est cette force de la nature devant laquelle l’homme est tout petit. La montagne sépare. Elle est la frontière : derrière elle, c’est la liberté. Cette liberté se mérite : il faut pour cela que l’homme surmonte divers obstacles (l’escarpement, la roche, la glace et la neige, le froid). Elle sépare, sur un même flanc, les hommes de la vallée, milices fascistes, et hommes des cimes, le berger, qui vit en retrait au milieu de ses moutons. Pour le berger, les alpages sont un refuge, une fuite du monde.

            Le récit livré par Lejonc et Meunier est poétique en ce sens où il laisse aux lecteurs aguerris de multiples champs d’interprétations. L’ouvrage, très réussi dans sa mise en page et dans sa composition, est une véritable réflexion symbolique sur la nature humaine et sur la montagne.