Auteur de deux ouvrages de référence consacrés à La Guerre germano-soviétique et à La Guerre du PacifiquePubliés dans la collection Texto en 2019 et 2020, l’avocat et historien Nicolas Bernard récidive en s’intéressant cette fois à l’un des massacres nazis les plus connus de la Seconde Guerre mondiale : Oradour-sur-Glane. Mais, au-delà d’être une synthèse actualisée à l’aune des progrès historiographiques, cet ouvrage ouvre un horizon inédit de compréhension de l’événement en l’inscrivant dans l’histoire des massacres perpétrés en Europe par les Allemands entre 1939 et 1944. Nicolas Bernard s’appuie pour cela sur divers fonds d’archives français, allemands et anglo-saxons, parfaitement référencés, ainsi que sur une abondante bibliographie.

Pourquoi ?

Pour tenter de répondre à cette question qui hante la mémoire collective depuis le 10 juin 1944, l’auteur invite le lecteur à appréhender les faits sous un angle nouveau, celui des méthodes de maintien de l’ordre développées par les nazis, et plus particulièrement la politique des « villages brûlés ». Il rappelle à cet effet que la répression développée en Allemagne et dans toute l’Europe occupée est avant tout à caractère préventif : la terreur doit non seulement permettre d’imposer et de préserver la « race supérieure », mais elle sert aussi à annihiler toutes velléités de résistance. Toutefois, cette conception est loin d’être uniforme selon la période et selon les territoires, avec d’infinies nuances dans l’horreur, comme le détaille Nicolas Bernard. La description de la France en 1943-1944 illustre parfaitement ce dosage répressif évolutif face au risque de débarquement, à la multiplication des actes de résistance et au déclin de l’État français.

La destruction du village et de ses habitants

Le contexte ainsi posé donne au massacre d’Oradour-sur-Glane une toute autre signification. La destruction du village et de ses habitants n’est pas le fruit d’un quelconque hasard pas plus que celui d’une décision individuelle des chefs de la division « Das Reich ». Elle est l’incarnation de la politique de terreur nazie. Elle atteint même une forme de « perfection criminelle », pour reprendre les mots de l’auteur, tant dans la mise en scène du massacre que dans les moyens déployés. Nicolas Bernard retrace le plus précisément possible, compte tenu des rares témoignages de rescapés et surtout des rapports mensongers des SS, les cinq séquences de ce qu’il nomme « l’assassinat d’un village ». La confrontation de la mécanique froide, parfaitement calculée, des nazis et des témoignages des rescapés constitue la partie la plus difficile à lire tant elle plonge le lecteur dans l’horreur.

La question des responsabilités

La quête de compréhension de l’historien se confronte naturellement à la question des responsabilités. Nicolas Bernard cherche à éviter les évidences trompeuses et ouvre de nombreuses portes pour mieux les refermer. Il montre ainsi que la Waffen SS, commandée par des hommes de confiance d’Himmler, est bien l’outil indispensable du Reich pour mener à bien sa politique répressive, avec des recrues biberonnées à l’idéologie nationale-socialiste dès leur recrutement. Pour autant, selon l’auteur, les exactions des SS apparaissent non pas comme des décisions individuelles d’hommes ayant définitivement perdu toute humanité, mais bien comme la simple et terrifiante « logique national-socialiste ».

L’empreinte dans la mémoire collective

Le caractère exceptionnel d’Oradour-sur-Glane explique donc son empreinte unique dans la mémoire collective française et internationale. En posant son regard de juriste sur l’héritage de l’événement, Nicolas Bernard souligne combien les ruines préservées d’Oradour vont devenir rapidement le carrefour de nombreux conflits mémoriels et politiques, en France comme en Allemagne, qui vont fournir le terreau de tous les négationnistes, empêcher la justice d’apporter des réponses aux rescapés, permettre aux bourreaux de couler des jours tranquilles après-guerre mais, paradoxalement, d’être aussi les fondations de la réconciliation franco-allemande et d’une paix durable en Europe.

Si le pourquoi du massacre d’Oradour-sur-Glane résiste à l’enquête de Nicolas Bernard, cette dernière n’en constitue pas moins à la fois un apport historiographique majeur dans la compréhension de cette tragédie et une synthèse précise. Une contribution importante au plus que jamais indispensable devoir de mémoire.

 

Luc Demarconnay