Le Louvre, qui se prévaut aujourd’hui d’être le plus grand musée du monde, a pourtant failli disparaître en mai 1871, englouti par la funeste destinée des monuments incendiés par la Commune. Menacé de subir un sort identique à celui de son vis-à-vis, « feu » le palais des Tuileries, il ne doit sa survie qu’à un concours de circonstances favorisé par l’action de deux hommes : un conservateur en disgrâce, Barbet de Jouy, et un commandant de l’armée versaillaise qui devait tomber au combat quelques heures plus tard, Bernardy de Sigoyer.

C’est la sauvegarde de ce palais des arts, au milieu des terribles soubresauts de la Semaine sanglante, que relate Nicolas Chaudun. Adoptant la forme rythmée du récit historique, il combine l’humeur libre de la narration à l’exactitude scrupuleuse des sources pour décrire les péripéties de ce sauvetage haletant. La destinée du Louvre se joue dans une angoissante dramaturgie : la ronde des protagonistes, incendiaires ou bons samaritains, s’agite dans l’ambiance oppressante d’une atmosphère de fin du monde. Les Communards en déroute transfigurent l’apocalypse de leur défaite imminente en un brasier biblique qui doit ensevelir sous les décombres, avec les espérances de la révolution vaincue, les ombres majestueuses d’un passé national et municipal honni. Cette volonté d’anéantissement des symboles de la « tyrannie » royale et impériale, qui n’est pas sans rappeler l’iconoclasme religieux des huguenots, n’est pas le fruit spontané du désespoir des combattants. Il résulte bel et bien de consignes politiques données peu avant un effondrement devenu prévisible.

Dans le gigantesque autodafé qui se met en place, les sinistres préparatifs de mises à feu entrepris dans les prestigieux monuments de la capitale concernent notamment les palais de la place de la Concorde (hôtels de Crillon et de la Marine), finalement épargnés en raison de la présence d’une ambulance médicale dans leurs locaux, le Palais-Royal et la cathédrale Notre-Dame de Paris, dont les départs d’incendie sont neutralisés par le courageux dévouement des habitants du voisinage, et le château des Tuileries, dont la destruction est organisée avec un esprit de méthode d’une rigoureuse efficacité.

Au milieu de ce cercle de feu, le Louvre et ses collections sont confrontés à une nouvelle menace d’anéantissement, qui succède aux épreuves traversées depuis la chute du Second Empire. Grâce au dévouement de son personnel, une partie des collections a pu être mise à l’abri à Brest avant l’encerclement de la capitale, et la continuité des activités de préservation et d’ouverture au public a été assurée durant le siège puis la Commune. Bien que traité en suspect par les nouvelles autorités révolutionnaires, le discret, érudit et dévoué Barbet de Jouy, conservateur du département du Moyen Âge et de la Renaissance, est resté à son poste. Conscient que la propagation de l’incendie des Tuileries ronge les bâtiments d’aile qui les relient aux précieuses salles du Louvre, il prend la tête des quelques fonctionnaires fidèles demeurés sur place pour prendre des dispositions de sûreté. Mais, dans son dos, un groupe de fédérés en fuite met le feu à la Bibliothèque impériale, sise dans le pavillon Richelieu. Une poignée de bonnes volontés du voisinage tente d’en extirper quelques merveilles en péril.

L’anarchie et les destructions dues aux combats se mêlent aux efforts de sauvetage. C’est alors que le commandant de Sigoyer interrompt la progression vers l’Est de ses chasseurs à pied pour, changeant de priorité et d’ennemi, les engager contre le brasier. La menace est ainsi circonscrite, permettant au cœur du palais et à l’essentiel de sa cargaison artistique de réchapper aux flammes. Le seul désastre majeur finalement à déplorer est la destruction des trésors de la Bibliothèque impériale. Tandis que, plus loin, le feu dévore sans miséricorde d’autres édifices qui sont autant de joyaux architecturaux et archivistiques du patrimoine historique français : la Cour des comptes, l’Hôtel de ville, l’hôtel de Salm, le Palais de justice…

Même si l’évocation de cette page fumante de l’histoire parisienne n’a pas les apparences d’une étude savante, elle s’appuie néanmoins sur un travail de documentation consistant. L’auteur a même eu l’heureuse intuition d’exploiter des sources encore inédites en recourant aux dossiers d’intervention de la Brigade des sapeurs pompiers de Paris. Il faut néanmoins le reprendre sur un point précis : contrairement à ses dires, le Louvre ne possédait hélas, pas plus en 1871 qu’aujourd’hui, le moindre chef-d’œuvre de Velázquez, une lacune dont l’exposition actuellement consacrée à cet immense artiste au Grand Palais fait mesurer toute l’ampleur… Tisonnant subtilement les cendres sulfureuses de la Commune de Paris, ce récit saisissant et palpitant possède en définitive tous les atouts d’une proposition de lecture non seulement instructive mais bigrement séduisante.

© Guillaume Lévêque