Connu mais pas reconnu : tel est le statut paradoxal du canton. Assise locale d’une France rurale, cadre électoral, espace multiservices, ce canton polyvalent subsiste aujourd’hui malgré les dynamiques de métropolisation et les profondes mutations du métier d’élu. Menacé et décrié à différentes étapes de son histoire, sa prégnance questionne et c’est avec un engagement affiché que les trois historiens (Yann Lagadec, Jean Le Bihan, Jean-François Tanguy) organisateurs du colloque ayant précédé à cet ouvrage ont entrepris de réhabiliter « l’objet canton ».

A la croisée de l’histoire (notamment celle de la décentralisation) et de la géographie (celle du rural relayée aujourd’hui par celle des zonages d’aménagement), le canton n’avait jamais été étudié en tant qu’objet à part entière. Fort de 23 communications de chercheurs, historiens majoritairement mais également géographes et politistes, l’ouvrage livre, au fil des 5 parties, de nombreuses analyses et études de cas sur sa vie tumultueuse.

Les premiers articles évoquent naturellement la genèse du canton. Si l’Assemblée avait planifié le travail pour les départements, le travail de découpe et de choix des chefs-lieux des cantons a davantage été laissé aux acteurs du terrain. Suivant l’optique géométrique révolutionnaire, d’inévitables problèmes de dimension et d’excentration du chef-lieu allaient engendrer critiques et pétitions, lesquelles furent finalement rapidement atténuées. Le canton avait-il, dès sa naissance, atteint son optimum ?

Le canton étant un territoire administratif, les auteurs s’interrogent ensuite sur le statut du chef-lieu, véritable petite ville à la campagne, lieu de productions et d’échanges diversifiés dont le maintien de la paix semble rester la plus grande de ses attributions. Par exemple, la réunion des cantons judiciaires limitrophes visait la rationalisation et annonçait déjà le transfert des juges de paix au chef-lieu d’arrondissement. Mais dans ce domaine, c’est l’étude du déploiement des brigades de gendarmerie et de police qui est la plus développée. Avec peu de moyens, les effectifs se disséminent plus qu’ils ne s’accroissent générant souvent une opposition entre le chef-lieu et le reste. Malgré cela, l’ancrage de la gendarmerie sur l’échelon cantonal reste notoire, notamment en milieu rural, la police étant plutôt présente dans les villes.

Territoire politique, le canton demeure la terre du conseiller général, véritable poste clé dans la carrière du notable, source de convoitise entre villages. Mais au delà du « boss » local, le canton diffuse l’action partisane à l’échelle du parti politique. Dès lors, les circonscriptions sont l’objet d’incessants remaniements débouchant sur la question du mode d’élection lui-même. L’élection intercommunale est-elle une option ?

Plus largement que le débat sur les modes de scrutin, c’est une réforme dans son ensemble qui est évoquée en quatrième partie. Différents modèles de thèses régionalistes apparaissent, le canton se trouve alors en concurrence avec l’arrondissement ou le « pays ». Le lien intime avec le département l’aidera à se maintenir.

Si les cantons, dont l’effectif a augmenté depuis 1800, ont sans cesse été retouchés sans pour autant que leur image n’en ait été déstabilisée, c’est aujourd’hui avec les cadres intercommunaux qu’ils doivent composer. La superposition avec les EPCI est parfois très nette, avec le conseiller général comme président. Toutefois, la distorsion fondamentale entre l’espace de gestion (département) et l’espace d’élection (canton) amène à conclure le débat sur son maintien ou sa suppression. Quoiqu’il en soit, c’est sa capacité d’adaptation qui est jusque là restée son principal atout.

Véritable mine d’or et première synthèse réelle, cet ouvrage comble le vide sur le sujet et ouvre de nombreuses pistes de réflexion comme les expose Marie-Vic Ozouf-Marignier en épilogue. En plus d’orientations bibliographiques, un dossier documentaire rassemblant quelques écrits clés, juridiques ou critiques, vient compléter les articles. Quelques simples tableaux chiffrés sur les effectifs, la démographie, les communes des cantons…auraient pu y être ajoutés (voir http://splaf.free.fr/). En définitive, ce livre, d’une lecture plutôt ardue mais d’un véritable richesse, s’adressera plus directement aux enseignants et étudiants avancés voulant approfondir le fonctionnement de notre découpage administratif au travers de son histoire et de sa géographie.

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