Le rédacteur en chef, Jean-François Daguzan, insiste sur la persistance des maux traditionnels : contrôle du pouvoir par l’élite révolutionnaire, gaspillage des ressources de l’État, imposition d’un islamisme de façade, progression d’Al Qaida, fuite des cerveaux. Il rappelle les différentes périodes d’espoir, mais « à chaque fois le soufflet retombe un peu plus bas », cette fois du fait de la troisième élection d’Abdel Aziz Bouteflika. Suit une description détaillée de l’économie du pays, et des promesses électorales de la présidentielle.
En deux mots, la catastrophe continue, notamment avec l’accroissement du déficit alimentaire et « l’entretien de l’instabilité » qui fait à la fois le jeu du pouvoir et des islamistes.
Une économie « ratée »
Arslan Chikhaoui, avec « l’Algérie dans l’ombre de la récession mondiale », insiste sur le fait que la croissance est insuffisante pour résoudre les problèmes. On note le gouffre entre le produit par habitant : 6.220 (dollars ?) et la consommation : 1.830. Ce point n’est pas commenté mais il est permis d’y voir un reflet de la différence entre les sommes qui vont à l’État, notamment via les hydrocarbures, et celles qui arrivent à l’Algérien de base. Les hydrocarbures représentent en effet toujours 97% des exportations et 75% des recettes fiscales.
L’auteur risque quelques prévisions : « la violence évoluera du terrorisme vers la criminalité et le banditisme » (il n’y a déjà pas de limite nette entre les deux aujourd’hui). Il espère que le plan bénéficiera à la production agricole et aux PME et permettra de moderniser les services publics, dont la défaillance est un frein considérable. Le nouveau programme de privatisation laisse espérer une modernisation technique et surtout organisationnelle. Le flux des IDE devrait rester autour de deux milliards par an, ce qui reste très modeste pour un pays de cette importance, car les étrangers sont échaudés par l’insécurité physique et juridique, telle la brusque décision d’imposer 51 % de capital algérien.
On peut regretter l’absence d’analyse des ressources humaines, dont on sait qu’elles sont dans un état déplorable. Les retours de la diaspora, maintenant désirés et aidés, butent à mon avis manque sur le manque d’écoles privées francophones. Le contraste avec la Tunisie et le Maroc est frappant dans ce domaine.
Les Algériennes
Rachid Tlemçani, enseignant à l’Université d’Alger, déplore l’arriération persistante du sort des femmes. Si celles-ci sont maintenant largement scolarisées, la mauvaise qualité de l’enseignement devrait tempérer des statistiques triomphales. Moins de 18% des femmes actives sont salariées, c’est l’un des taux les plus faible du monde. Le pays se « ré-islamisme, se re-traditionalise et se patriarcalise ». Les mouvements féministes en sont réduits à demander une politique de quotas et de toute façon, comme tous les autres mouvements politiques et sociaux, font de « l’entrisme politique, non pour changer l’ordre des choses mais pour servir le prince. »
Les islamistes
Le chapitre « Régime et islamistes en Algérie » a été rédigé par Louisa Dris-Aït Hamadouche, enseignante et chercheur dans le supérieur algérien. Elle rappelle tout d’abord qu’au plus fort de la guerre civile on craignait une Algérie devenant un autre Afghanistan avec un régime encore plus autocratique et pourri que l’actuel, une implosion des institutions, des vagues d’exilés, des accords internationaux reniés etc… C’est finalement la libéralisation économique qui est advenue, le FMI l’ayant exigé. Il a fallu céder pour éviter la faillite.
Le régime algérien a finalement gagné cette guerre civile. L’auteur estime que c’est notamment du fait d’échanges politiques avec les islamistes. D’une part, le passage à l’économie de marché et les privatisations permettent de rémunérer, de caser, donc de « clientéliser » des individus ou des groupes qui seraient restés dans l’opposition armée. D’autre part l’existence de l’islamisme est utile au régime en justifiant contrôles et répression.
On sait que ce régime a toujours été ressenti comme illégitime. Cela se traduit par un nombre croissant d’émeutes et de protestations. L’État cherche donc des alliés et il les trouve d’abord dans les confréries. Il oublie ses reproches de conservatisme et de francophilie pour constater qu’elles dissuadent les jeunes de rejoindre les djihadistes, qui, eux, estiment qu’elles s’éloignent du « véritable islam ».
Un autre échange, plus connu, entre islamistes et gouvernement, a été de réhabiliter, voire « confortablement caser », ceux que les Algériens considèrent comme les assassins de leurs familles. Ces djihadistes ralliés fournissent des renseignements, voire des troupes contre les irréductibles du GSPC. Ce dernier s’est rallié à Al Quaida pour compenser son affaiblissement. Le gouvernement continue dans cette voie de « clientélisation » en lançant de nouvelles offres d’amnistie. En contrepartie il ré-islamise le pays, notamment via la télévision d’État.
Cet entrisme encouragé des islamistes accentue la corruption. Le clientélisme et sa contrepartie s’étendent maintenant aux nominations les plus modestes de l’administration ou de ses alliés de la société civile. Au passage, l’auteur note que si la presse écrite a gardé une certaine indépendance, ce n’est pas le cas des médias « lourds » comme la télévision (ce qui est contrebalancé par les télévisions étrangères, du Moyen-Orient en langue arabe et internationales en français).
En conclusion, si à court terme les islamistes semblent perdants puisque leur opposition se dilue au fur et à mesure que leurs membres et leurs chefs ont des positions dans le système, ils pourraient à long terme s’emparer de celui-ci.
L’Algérie face à l’Union Européenne
Ce chapitre est rédigé par Aomar Baghzouz, enseignant en France et en Algérie. Après s’être complètement isolé de la « mer ennemie », ce qui était cohérent avec son option socialiste nationaliste et de fermeture générale, l’Algérie a commencé à s’ouvrir lorsqu’elle y fut contrainte par l’échec et la pression corrélative du FMI de passer à l’économie libérale.
Depuis les année 1990, l’Algérie a participé aux innombrables accords regroupant les pays des deux rives de la Méditerranée. Mais elle en a tiré peu de bénéfice, notamment par ce que investissements étrangers sont freinés par des questions internes à l’Algérie. Elle a accueilli favorablement le projet d’Union pour la Méditerranée, mais il s’est révélé beaucoup plus modeste qu’envisagé et ne comprend pas de volet migratoire permettant aux Algériens de circuler plus facilement en Europe.
Ce souci de l’Algérie pour les migrations est, d’après l’auteur, largement une imposture : ce pays « oublie » les causes algériennes des départs et ne veut pas perdre le contrôle de sa population. Finalement on peut penser que l’Algérie espère qu’en disant « oui » à l’UPM elle s’épargnera les critiques et les pressions de l’UE sur la démocratie et les droits de l’homme.
Le Sahel : une régionalisation contraignante.
Ce chapitre est rédigé par Sherif Dris, universitaire algérien. On sait que le Sahel, en arabe « la rive » (sud du Sahara), est partagé entre le Maroc, la Mauritanie, l’Algérie, le Mali, le Niger auquel on ajoute géopolitiquement le nord très musulman du Nigéria.
Le Sahel est un lieu de trafic de drogue, de contrebandes en tous genres et de migrations clandestines de Sub-sahariens espérant aller en Europe. Enfin le Sahel est la partie productrice de gaz et de pétrole pour l’Algérie et d’uranium pour le Niger.
C’est une zone où le terrorisme s’est implanté en articulation indirecte avec les mouvements d’autonomie des Touareg, dont le combat est encouragée par la Libye. Les États-Unis étant très sensibles à l’installation du terrorisme international dans des territoires mal contrôlés ont réussi à amener l’Algérie dans ce problème régional, malgré sa volonté d’indépendance tous azimuts. D’autant par ailleurs que les États-Unis (et la France) sont d’abord les alliés de son ennemi marocain. Le virage historique est net : jusqu’au 11 septembre l’Algérie était un pays isolé, en guerre civile, alors que, depuis, le « reste du monde » fait appel à sa compétence en matière de lutte antiterroriste.
Les États-Unis et l’Algérie
Ce chapitre rédigé par Yahia H. Zoubir enseignant en France est sous-titré : antagonisme, pragmatisme, et coopération.
Les Etats-Unis et l’Algérie ont été adversaires jusqu’à ces dernières années : les Etats-Unis sont alliés du Maroc et ont longtemps considéré l’Algérie comme une sorte de Cuba du fait de son alliance avec l’URSS. Puis est arrivé l’islamisme et donc la coopération militaire à partir du 11septembre, mais qui n’a jamais été jusqu’à une aide militaire significative, sauf pour le Sahel, où l’auteur reprend les considérations du chapitre sur ce sujet.
Les relations politiques sont toujours grevées par le conflit israelo-palestinien. Par contre les relations pétrolières sont actives, contrairement à l’’investissement direct des entreprises américaines, qui craignent la bureaucratie et la corruption.
Les relations franco-algériennes, perpétuelle leçon de tango
Ce chapitre de Jean-François Daguzan, rédacteur en chef de Maghreb Machrek, rappelle l’importance des liens entre les deux pays : importance en France d’une communauté algérienne et de ses descendants, celle du commerce bilatéral, et une sorte « d’amour-haine » cultivé côté algérien, qui insiste sans cesse sur une nécessaire « repentance de la France » (à mon avis plus pour des raisons d’auto légitimation que de fond). La liberté de ton de la presse française agace considérablement Alger.
Face à la France, l’Algérie est en perpétuelle définition de sa propre identité nationale et doit gérer la fascination réciproque entre les deux pays. D’où des hauts et bas depuis cinquante ans, allant de l’échange d’injures à la perspective d’un traité d’amitié.
L’auteur note par ailleurs l’érosion du pouvoir algérien sur l’islam en France, où la Mosquée de Paris recule face aux organisations marocaines ou proches des Frères Musulmans.
Le nucléaire régional
Après ce dossier sur l’Algérie se trouve un article de Samir Battiss, chercheur canadien, sur le nucléaire civil en Afrique du Nord et au Moyen-Orient. Les pays les plus avancés seraient l’Egypte, le Maroc, l’Algérie et l’Arabie.
L’Egypte avait commencé un programme militaire qu’elle a officiellement abandonné mais reste suspectée. De même pour l’Algérie qui, comme l’Egypte, a adhéré au TNP. La Syrie, tout aussi suspecte, est moins avancée.
Par contre la Tunisie et le Maroc sont considérés comme sans arrières pensées militaires. Le Maroc va accueillir un réacteur de recherche acheté à la Russie, et un autre acheté aux Américains dont la partie production électrique pourrait néanmoins revenir aux Français. La Tunisie fait actuellement une étude de faisabilité avec le CEA français sur le site de Skhira.
Pour les futures et théoriquement nombreuses centrales nucléaires de la région, la compétition oppose surtout la France et les Etats-Unis. La France est réputée meilleure et a formé de nombreux ingénieurs dans beaucoup de pays. Mais elle est aussi plus chère. La Russie et la Chine commencent à se positionner comme futurs fournisseurs.