Un documentaire bien ficelé
Il a fallu quatre ans de recherche et d’interview pour que cet ouvrage soit mis au jour. Auteur de Cher pays de notre enfance, Benoît Collombat journaliste à la cellule Investigation de Radio France, s’associe avec Damien Cuvillier pour enquêter sur les choix économiques qui ont généré un chômage de masse.
Le cinéaste Ken Loach a rédigé la préface. Il présente le développement du néolibéralisme en Angleterre et les quatre leçons à en tirer, lui qui a montré les conséquences sociales des choix libéraux notamment avec son film « Moi, Daniel Blake » sur les ravages du chômage et son dernier regard sur l’uberisation de la société, « Sorry, we missed you ».
L’ouvrage est divisé en cinq chapitres, avec un prologue, un épilogue et un post-scriptum : 1) On a tout essayé, 2) Des protections inadmissibles, 3) Vive la crise !, 4) Les vents dominants, 5) Y a pas d’argent magique.
Une enquête policière
Il s’agit de mener le récit comme une enquête policière avec des indices, des pièces à conviction et des témoins (une quarantaine d’interviews) afin de montrer le grand basculement quand les politiques néolibéraux choisissent de remettre les clés du pouvoir aux financiers. Les auteurs ont fait un gros travail de documentation. Ils ont interrogé des hommes politiques (Jacques Delors, Jean-Pierre Chevènement…), des sociologues, des économistes, des philosophes (Barbara Stiegler, Jacques Rancière…).
La BD commence par évoquer l’arrivée du libéralisme en France et la mondialisation. Ainsi de nombreux faits historiques sont convoqués comme les accords de Bretton Woods, le plan Marshall, le traité de Rome en 1957, mais aussi la crise financière de 2008 ou celle des gilets jaunes. On comprend l’importance d’acteurs historiques comme Jacques Delors ou de Michel Camdessus (directeur du Trésor), Tomaso Pado-Schioppa (économiste italien et membre directeur de la Banque centrale européenne).
Les auteurs ont cherché les causes d’un chômage toujours croissant. Le titre « du choix du chômage » est provocateur, car selon eux il relève de choix politiques assumés mais peu diffusés auprès du grand public. La politique accepte de ne plus avoir la réalité du pouvoir. Petit à petit, elle se soumet aux lois du marché. L’État devient un facilitateur de l’économie et promeut activement la concurrence dans tous les domaines. Les idées néolibérales distillent ses théories où l’économie a besoin d’une main d’œuvre précaire, donc plus docile, avec ce que cela recouvre de violence sociale.
Il faut rendre hommage au dessin de Damien Cuvillier. Il n’a pas sa pareille pour croquer les différentes expressions d’un même personnage qu’il insère de sa tribune à son bureau. Ses mises en pages très variées ponctuent un récit économique ardu : des schémas pleine page, des reproductions de lettres, ou des photogrammes de films (Charlot dans Les Temps Modernes), l’âne du parti démocrate, Tintin au Congo. De petits récits dessinés de style graphique plus simple évoquent des épisodes biographiques comme la vie de Jean Monnet. Enfin des grands événements historiques sont représentés : le général de Gaulle descendant les Champs-Élysées, ou la chute du mur de Berlin.
Afin de montrer le travail documentaire réalisé, les auteurs se mettent en scène régulièrement au cours de la narration ce qui n’est pas sans susciter une empathie du lecteur.
Plusieurs lectures sont nécessaires pour intégrer les notions et comprendre les mécanismes complexes de l’économie, difficiles à résumer ici. Cet ouvrage est destiné plutôt aux étudiants et à tous les passionnés d’économie.