Aborder l’économie et la géographie par la bande dessinée

Reprenant les principes de l’excellent Economix dont la quatrième édition date de 2019, les Arènes proposent une nouvelle bande dessinée destinée à expliquer la naissance et le fonctionnement de la mondialisation. A la fois économique, financière, mais aussi intellectuelle et humaine, la mondialisation est ici principalement abordée par le territoire et les acteurs.

Destinée au grand public mais aussi aux lycéens et étudiants, cette bande dessinée est l’oeuvre d’un trio composé d’Isabelle Bensidoun (chercheuse en économie internationale et corédactrice de « l’économie mondiale » chez la Découverte), de Sébastien Jean (directeur d’un centre de recherche, le CEPII) et d’Enzo, pseudonyme d’un journaliste d’Alternatives économiques. Les premières pages  mettent d’ailleurs en scène les trois protagonistes autour d’une table : « comment raconter la mondialisation en BD ? » (page 5).

La lecture économique puis financière du phénomène est au cœur de l’ouvrage. Les notions économiques abordées sont très nombreuses tout au long de l’ouvrage : les importations-exportations, les inégalités socio-spatiales, la conteneurisation, la financiarisation, la dette, la titrisation, les délocalisations/relocalisations (par l’exemple de Kusmi Tea qui relocalise sa production du Maroc au Havre en France), les chaines de valeur, les investissements directs étrangers etc. Les auteurs ont également le mérite de mettre en perspective le phénomène en s’interrogeant sur sa construction progressive depuis le début du XIXe siècle et d’expliquer les choix en matière d’implantation des sièges sociaux (page 69).

Sur le plan historique, la politique économique de François Mitterrand est traitée sur le temps long, depuis l’échec du plan de relance de Pierre Mauroy (page 119). Le graphique montrant la part croissante de la Chine dans le commerce mondial est remarquablement clair grâce à la représentation du pays sous la forme d’un dragon (pages 144-145). L’exemple du déclin industriel de Denain (page 180) pourra être lu comme un complément du cours par les élèves de première (tronc commun) ou de terminale (valorisation du patrimoine minier dans le Nord-Pas-de-Calais). La production de l’huile de palme (page 218) puis celle du soja (page 219) sont également des passages particulièrement utiles pour la constitution d’une étude de cas en géographie.

Les professeurs de SES et d’histoire-géographie pourront donc mobiliser plusieurs pages de la bande dessinée à des fins pédagogiques. Parmi les très nombreuses possibilités, signalons l’excellente mise au point sur l’étalon-or (page 98) et les débats autour du Made in France et de l’importation de matières premières pour un appareil d’imagerie médicale (page 34). Un peu plus loin, le quatrième point de la partie I s’avèrera très utile aux enseignants pour traiter de la mondialisation par le biais des porte-conteneurs et des FTN (pages 61 à 73). En témoigne cet extrait sur le rôle des grandes entreprises dans les échanges mondiaux.

Pour l’essentiel, cette activité d’exportation est en fait concentrée sur un petit nombre d’entreprises : les 500 premières réalisent plus de 70% des exportations, et les 50 premières, 43%.

Autrement dit, l’essentiel des exportations vient de quelques entreprises seulement, qui sont beaucoup plus grosses et plus productives que la moyenne.

Certaines entreprises franchissent un pas supplémentaire, en investissant à l’étranger. Elle sont donc également installées dans un ou plusieurs pays autres que la France, où elles ont des filiales : ce sont des multinationales.

La folle histoire de la mondialisation, publié chez les Arènes, Avril 2021, page 60-61

Source : Extrait tiré du livre « La folle histoire de la mondialisation » publié chez les Arènes, Avril 2021, page 22

L’un des défauts de l’ouvrage est la récurrence de petites erreurs sur les cartes. L’île de Chypre, la Finlande, la Suède et Malte sont absentes de l’Union européenne alors que l’Ukraine est présente (page 32). A la page 39, le Pakistan s’avère être en territoire indien (au Gujarat) tandis que l’Egypte et la Libye sont intervertis entre le texte et le dessin de la page 40. La Corée du Sud et du Nord sont incluses dans la production d’un jean alors que les deux pays n’apparaissent pas dans la liste de 8 pays mentionnés dans le paratexte de la vignette en haut à droite de la page 41. A la page suivante, le Nigéria se retrouve à la frontière entre le Niger et le Tchad. Au niveau des prix, le choix du dollar (page 122) au lieu de l’euro n’aide pas le lecteur à comprendre rapidement la très grande diminution du coût des télécommunications depuis les années 1970.

Sur le plan scientifique, une critique peut être émise à propos du choix de définir le XIXe siècle comme celui de la « première mondialisation » (page 91). Les travaux convoqués dans la partie dédiée aux sources se limitent aux économistes et ne mentionnent pas les travaux du géographe Christian Grataloup, qui a pourtant participé à l’élaboration de l’expression désormais enseignée dans le programme d’histoire en classe de Seconde.

Ces critiques n’empêche pas l’ouvrage d’être particulièrement riche. Un exemple à la page 71 où l’on apprend qu’un fonds de pension originaire de Californie est en charge de la gestion de l’épargne pour la retraite des pompiers. Ce fonds détient notamment une partie de la dette publique de la France, après avoir racheté des obligations de l’Etat.

En conclusion, un ouvrage spécialisé particulièrement attractif qui trouvera rapidement sa place dans les rayons d’un CDI de lycée. Les trois auteurs ont toujours le souci de mettre les sources en avant (graphiques, articles d’Arrêt sur Image, statistiques issus d’un rapport gouvernemental, sondages d’opinion etc.) et les vignettes sont particulièrement claires. Une très belle source pour la conception de séances sur la mondialisation en histoire, géographie ou en SES !

Pour aller plus loin :

  • Présentation de l’éditeur -> Lien

Antoine BARONNET @ Clionautes