En ces temps où les modifications climatiques sont l’objet de toutes les discussions y compris dans les états-majors, le livre de Pierre Pagney, professeur émérite à la Sorbonne, vient combler un vide et rappeler combien l’environnement en général et les conditions climatiques en particulier pèsent de tous leur poids sur les opérations militaires quelque soit leur envergure. A l’appui de cette affirmation contre laquelle il est difficile de s’élever, de nombreux témoignages personnels de combattants, notamment ceux de l’auteur, ancien officier d’état-major dans l’armée française mais aussi l’avis de scientifiques viennent étayer la thèse de l’auteur selon lequel « le milieu physique joue un rôle fondamental dans sa relation avec les combattants, les matériels et la chaîne de commandement ».

Une prise en compte tardive.

Bien qu’à l’évidence, les conditions extérieures constituent un paramètre de la bataille ou de la guerre, les théoriciens de l’art militaire ont longtemps négligé l’impact du temps et du climat, ces derniers passant pour quantité négligeable ou facteur secondaire loin derrière les aspects plus strictement militaires du combat. Ainsi Von Clausewitz ou encore Foch, pour ne citer que ces deux-là, accordaient aux conditions « environnementales » une place dérisoire dans leur réflexion sur l’art de la guerre. Sur le terrain, il en fut de même de Napoléon ou d’autres encore qui n’envisageaient qu’assez peu la guerre sous cet aspect alors que, comme le démontre l’auteur, nombreuses furent les manœuvres sur le terrain freinées par la pluie, la boue, la chaleur : sans citer les campagnes de Russie napoléonienne ou hitlérienne, on peut citer les complications que rencontrèrent les chevaliers français à Crécy sur un sol gorgé d’eau ou encore l’invincible armada stoppée par …. des tempêtes.

Il faut finalement attendre le XXe siècle, et le passage progressif du temps court de la bataille au temps long de la guerre moderne, pour que les stratèges prennent en considération temps et climat. L’auteur décrit l’évolution longue de la guerre : de saisonnière et limitée dans l’espace et en termes d’effectifs, elle est devenue continue, multipliant les espaces concernés et les troupes impliquées. Le passage au temps long de la guerre impliqua d’envisager non seulement le temps à court terme sur le champ de bataille mais aussi le climat sur la durée de la guerre.

Accompagnant ces mutations, la prise de conscience de la nécessité de prendre en considération les conditions extérieures, dans une guerre toujours terrestre mais devenue aussi maritime et aérienne, se fit donc jour au siècle dernier allant jusqu’à envisager de modifier les conditions climatiques, expériences réalisées lors de la guerre froide. Après le tournant identifié par Pierre Pagney lors des guerres d’empire, la seconde guerre mondiale marqua l’intérêt définitif des militaires lors d’une conflagration multipliant théâtres d’opérations sous des latitudes très différentes ; l’un des exemples les plus connus étant la préparation d’Overlord et l’attente d’une accalmie permettant à cette « invincible armada » de franchir le Channel et d’attaquer la forteresse Europe.

Quels impacts sur la bataille et la guerre ?

Ils sont innombrables et affectent autant le simple soldat que le décideur de l’état-major, autant la défense que l’attaque, les hommes que le matériel.
En première ligne, les hommes subissent les agressions du froid, de la chaleur, de l’humidité car longtemps aucun équipement spécifique n’est prévu. Les exemples sont légion et ce à toutes les époques ; l’exemple de la Grande Armée et de la Wehrmacht vaincues par le Général Hiver sont forts bien connus et les milliers morts de froid ont contribué à modifier le cours de la bataille voire de la guerre. Le XXe est là encore synonyme de progrès avec la mise au point de tenues adaptées au froid ou à la chaleur. Mais à côté des souffrances physiques subies s’ajoutent des souffrances morales influençant directement la combativité des troupes supportant le moins bien l’environnement de combat. A l’autre bout de la chaîne de commandement, les stratèges eurent parfois à jouer ou à subir des conditions climatiques comme l’illustrent les réussites des deux débarquements alliés en France en 1944 ou le choix de plusieurs cibles afin d’anticiper de mauvaises conditions météos lors de la préparation du bombardement atomique du Japon.

L’auteur insiste sur le fait qu’il n’y a pas de déterminisme climatique, autrement dit aucune condition climatique n’est totalement favorable à l’assaillant ou au défenseur. Une fois de plus, les exemples fourmillent : le froid a fait s’enliser Barbarossa mais a permis aux Suédois de traverser les détroits gelés en 1657-8 pour arriver à Copenhague, la chaleur lors de la bataille de Cannes avantagea les Carthaginois au détriment des Romains.
Le matériel n’est pas en reste notamment avec sa mécanisation, sa motorisation et avec la sophistication croissante des équipements ; le froid en premier lieu et la chaleur, la sécheresse ou l’humidité furent souvent à l’origine de pannes ou de casses plaçant les troupes dans une position délicate.

La plupart des conflits récents ou en cours ont concerné ou concernent des espaces régionaux au climat bien défini, le réchauffement climatique constaté pourrait ouvrir un nouveau passage stratégique dans la zone polaire objet des convoitises des grandes puissances, plus largement les changements climatiques envisagés « risque de modifier à échéance plus ou moins brève la configuration de la Terre (…) toutes choses qu’aucune réflexion militaire ne saurait occulter ». Ce qui permettra peut-être à d’autres auteurs d’emprunter le chemin entrouvert par Pierre Pagney.

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