Voici quelques mots sur les dites « idées reçues » :
Principes
Le commerce équitable est une invention récente
C’est l’occasion d’un historique de la chose (qui, sous des formes différentes, remonte au XIXe siècle), du nom (apparu en 1989, enregistré en 2001) et des diverses étapes.
Il n’y a pas un, mais plusieurs commerces équitables.
Oui, il y a les filières spécialisées, celles qui sont labellisées (Max Havelaard ou autres) ; il y a des idées divergentes sur ce qui est « juste », des traditions différentes (caritatif, tiersmondisme …). On retrouve néanmoins souvent les idées de circuit court, de développement local, de prix « permettant de vivre » (et pour cela garantis dans la durée), d’éducation économique et de développement durable.
Ses produits sont plus chers.
Oui, et c’est normal, malgré la « filière courte » , qui, en pratique, ne l’est pas toujours. De plus, les produits « non équitables » comparables sont souvent subventionnés (en fait, c’est exceptionnel)
C’est surtout le café.
Ce fut d’abord l’alimentaire, puis le café (équitable ou pas c’est le deuxième produit le plus échangé mondialement après le pétrole), puis d’autres produits alimentaires et maintenant un peu de tout (textiles, cosmétiques …) : Max Havelaard labellisait 1.542 produits en 2006.
C’est bio.
Si le commerce équitable et l’agriculture biologique ont des idées communes, le premier est certes (mais pas forcément) bio « de fait » (petite agriculture traditionnelle) et la seconde n’a pas spécifiquement de préoccupations « Nord-Sud ». La rencontre est donc fréquente, mais pas du tout automatique.
Max Havelaard est un label.
Pas juridiquement en France. C’est une association gérant ce qu’elle appelle un label, largement reconnu, certes, mais aussi controversé.
Ne concerne que le « Nord-Sud ».
A priori, non, même si en pratique il s’agit souvent « d’une réponse aux injustices du commerce international ». L’équitable « Nord-Nord » et « Sud-Sud » se développe également, tandis que le fait d’encourager les producteurs du Sud a persévérer dans les produits d’exportation est parfois critiquée.
Tendances
Deux « idées » liées : l’équitable est une mode et n’est pas soluble dans la grande distribution.
Non, ce n’est pas une mode, car sa notoriété est forte (81 %) et il correspond au besoin d’avoir « des produits ayant du sens ». Mais, cause ou conséquence de cette notoriété, c’est la grande distribution qui est le premier canal de vente, ce qui est très controversé. D’un côté les professionnels de ces grandes entreprises contrôlent sérieusement ce qu’ils achètent, d’un autre, ils ne peuvent traiter avec un grand nombre de « petits » producteurs. Et on sent bien que la « sensibilité », voire l’idéologie, des « équitables » n’est pas favorable à la grande distribution pour des raisons bien explicitées dans ces deux chapitres.
Trois « idées » liées : les Français sont en retard /pas de garanties suffisantes/changer la loi ?
C’est vrai, nous sommes en retard par rapport aux pays protestants, malgré un rattrapage amorcé. Les Français se méfient (ce produit est-il vraiment équitable ?) et reculent devant le prix. Les auteurs rappellent alors les garanties mises en place par le privé et le cheminement de la reconnaissance des pouvoirs publics dans des pages assez techniques.
Impact
Deux « idées » liées : c’est une goutte d’eau dans le commerce mondial ? Et les producteurs du Sud en bénéficient-ils vraiment ?
Mondialement et tous produits, oui, ce n’est qu’une « goutte d’eau ». Pour certains pays et produits, non (le café bolivien, la banane vendue en Autriche), mais c’est exceptionnel. L’Asie reste en dehors. Les auteurs estiment qu’une goutte d’eau peut avoir un rôle d’exemple ou de complément.
L’équitable contribue-t-il au développement durable ?
Dans l’esprit de ses promoteurs, bien sûr. En fait c’est discutable si l’on rentre concrètement dans le détail. Là aussi les auteurs espèrent que l’essentiel est qu’il y ait sensibilisation.
L’équitable sert à se donner bonne conscience ? Est-ce une alternative au capitalisme libéral ? Une antidote au libre échange ?
L’équitable est à l’opposé du don, qui maintient dans l’assistanat, mais les auteurs craignent qu’un achat « équitable » ne soit considéré comme de la charité. Au moins estiment-ils que cela contribue à une prise de conscience des problèmes des petits producteurs du Sud. Pour une part de ses partisans, c’est un aménagement de l’économie de marché et non une alternative ; d’ailleurs une nouvelle génération de responsables sort des écoles de commerce, remplaçant celle qui pensait « commerce alternatif ». On cherche un bon rapport qualité/prix, « un libéralisme responsable » et non plus la révolution. Suit un rappel de l’évolution des idées sur le libre échange, un peu indulgent pour certaines expérimentations catastrophiques, et l’on se perd un peu entre les nuances et les nuances des nuances de ce que pourrait changer le commerce équitable.
La conclusion générale rappelle d’ailleurs « la complexité » du sujet.
Ce livre est sérieux en ce qu’il ne fait pas d’erreur de logique, donne le pour et le contre et est bien documenté. Du coup certains passages sont techniques ou un peu embrouillés, ce qui n’arrêtera pas le lecteur exigeant, mais peut déconcerter l’habitué de cette collection dont d’autres ouvrages éclairent de manière simple des questions encore plus sensibles (voir mon CR de celui sur l’Algérie). On sent bien que les auteurs ont un pied dans une utopie militante (par exemple que « le circuit court » est économique, ce qui est contraire à toute expérience concrète) et l’autre dans « l’efficace », ce qui est d’ailleurs le cas des responsables « équitables » que j’ai écouté dans diverses manifestations. Cela ne leur est d’ailleurs pas propre : il y avait un esprit analogue chez les pionniers d’Internet (la liberté, le monde à votre portée), qui a généré 10 000 faillites et 100 immenses réussites après «professionnalisation», et on pourrait retrouver des idées « progressistes » dans la plupart des « nouvelles vagues » d’entrepreneurs (au sens large) depuis 2 siècles.
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