Les excellentes éditions petit à petit, spécialisées dans le format Docu-BD, nous proposent ici un nouveau volume consacré à l’affaire Grégory, tragédie survenue en 1984 au cœur des Vosges, qui est devenue l’un des dossiers criminels les plus complexes et médiatisés de l’histoire judiciaire française !

En 1984, le corps de Grégory Villemin, un enfant de 4 ans, est retrouvé ligoté et noyé dans la Vologne, une rivière paisible de la région. Mais derrière ce crime se cache une saga judiciaire marquée par des rebondissements incessants, une instruction chaotique, une profusion de suspects et de théories, ainsi qu’un emballement médiatique sans précédent.

Un Docu-BD pédagogique et rigoureux

Ce très bel objet brille par son propos clair, pédagogique et nuancé qui repose sur une recherche documentaire sérieuse effectuée par Béatrice Merdrignac et Tristan Houllemare. Les planches illustrées sont suivies d’un court propos explicatif qui permet au lecteur de mieux comprendre les tenants et les aboutissants de cette affaire. Les dessins de Grégory Lê, vifs, expressifs tout en restant assez sobres, donnent vie à cette saga criminelle tragique, aux rebondissements multiples. Le lecteur averti remarquera les décors soignés : la reproduction de l’habitat vosgien, de l’église de Aumonzey ou de celle de Granges-sur-Vologne (aujourd’hui Granges-Aumonzey).

Un corbeau et des rancœurs

L’enquête révèle rapidement un contexte familial complexe, marqué par des tensions et des rancunes profondes. Depuis des années, les parents de Grégory, Jean-Marie et Christine Villemin, sont harcelés par un corbeau, un mystérieux individu qui les menace par des lettres anonymes et des appels téléphoniques. Les soupçons se multiplient au sein de la famille élargie, provoquant divisions et accusations croisées. Les suspects se multiplient au sein de cette vaste famille : du côté Villemin, Laroche ou Bolle. Mais l’identification du corbeau, crucial pour résoudre l’affaire, devient un labyrinthe sans issue.

Des suspects mais toujours pas de coupable

Le premier coup de théâtre intervient avec l’arrestation de Bernard Laroche, un cousin de Jean-Marie Villemin, le père de Grégory. Laroche est dénoncé par sa belle-sœur, Murielle Bolle, qui affirme l’avoir vu emmener l’enfant. Cependant, elle se rétracte rapidement, accusant la police de l’avoir manipulée. Laroche est relâché, mais il est abattu en mars 1985 par Jean-Marie Villemin, en quête de justice pour son fils.

L’instruction, menée par le juge Jean-Michel Lambert (qui finit par se suicider en 2017), devient un sujet de controverse majeure. Surnommé par les médias le « petit juge », Lambert semble dépassé par la complexité de l’affaire. Ses décisions sont parfois contestées, comme l’inculpation précipitée de Christine Villemin, la mère de Grégory, en 1985. Elle est accusée sur la base d’éléments fragiles, notamment des analyses graphologiques contestées et des témoignages indirects. Christine clame son innocence et bénéficie finalement d’un non-lieu en 1993, mais sa mise en cause entache durablement l’enquête.

Les erreurs se multiplient : scènes de crime mal protégées, indices potentiellement contaminés, et rivalités entre enquêteurs (police / gendarmerie). Les analyses scientifiques, encore rudimentaires à l’époque, n’apportent pas les preuves décisives attendues. À chaque avancée, une nouvelle impasse semble apparaître, laissant l’affaire sombrer dans le chaos.

Au fil des décennies, la liste des suspects s’allonge, et les théories foisonnent. Le mystère du « corbeau » demeure entier : un ou plusieurs auteurs ? Qui a manipulé Murielle Bolle ? La thèse d’un complot familial se heurte à des contradictions, tandis que celle d’un prédateur extérieur reste sans fondement probant.

En 2017, Jacqueline et son mari Marcel Jacob sont mis en examen pour « enlèvement et séquestration suivis de mort ». Le couple est soupçonné d’avoir agi par jalousie envers les Villemin. Bien que leur alibi semble fragile, le dossier ne débouche pas sur une condamnation, faute d’éléments probants.

Une médiatisation hors-norme

L’affaire Grégory est rapidement happée par les médias, qui transforment ce drame familial en feuilleton national. Les journalistes campent dans les Vosges, scrutent chaque geste des protagonistes, et relayent les rumeurs les plus invraisemblables. La famille Villemin devient l’objet d’un voyeurisme impitoyable. La douleur des parents, déjà accablés par la perte de leur fils, est exposée au grand jour.

Cette surmédiatisation contribue à polariser l’opinion publique : Christine Villemin, en particulier, est vilipendée par une partie de la presse. La recherche de sensationnalisme prime parfois sur le respect de la présomption d’innocence. L’affaire Grégory illustre ainsi les dangers d’une couverture médiatique envahissante, capable d’influencer non seulement l’opinion, mais aussi, parfois, le cours même de l’instruction.

 

Quarante ans après les faits, ce Docu-Bd souligne, avec sobriété et sérieux, que l’affaire Grégory reste un gouffre d’interrogations. Malgré les avancées technologiques et judiciaires, le meurtre demeure une énigme. Ce dossier, où se mêlent rancunes, tragédies humaines et erreurs judiciaires, continue de fasciner et de diviser.