Sylvène Édouard, Le Corps d’une reine, Histoire singulière d’Élisabeth de Valois, 1546-1568, Presses Universitaires de Rennes, 2009, 277 p., 19 euros.
Élisabeth de Valois représente l’exemple parfait du mariage royal arrangé à des fins diplomatiques. Son hymen avec Philippe II, veuf de Mary Tudor, avait en effet pour but de consolider la paix du Cateau-Cambrésis, signée le 3 avril 1559, comme l’atteste son surnom en Espagne, « Isabelle de la Paix ». L’A. s’intéresse à la manière dont la fille d’Henri II et de Catherine de Médicis fut préparée à ce rôle et l’accomplit jusqu’à sa mort, en couches, à 22 ans, dans le remord de n’avoir pas donné un fils au roi. Le corps de la reine constitue le point focal de l’étude mais, pour rassurer ou – c’est selon – décevoir le lecteur, on soulignera d’emblée que les considérations anthropologiques sont rares ; passé les premières pages et « l’intertextuation du corps » que représenterait le baptême (p. 19), l’ouvrage est aisément et agréablement lisible par un public peu familier de l’époque moderne.
De la cour des Valois à celle des Habsbourg
L’auteur retrace d’abord la formation à la cour des Enfants de France, en générale sise à Saint-Germain-en Laye, où les filles comme les garçons recevaient l’éducation intellectuelle et physique qui leur permettait par la suite de tenir leur rang parmi les adultes. L’équitation et la danse étaient des moyens de maîtriser son corps ; les garçons s’entraînaient également à la guerre dans cette micro-société très marquée par l’idéal courtois et arthurien. Il leur fallait apprendre à trouver l’équilibre délicat entre la solitude royale et la proximité que la cour française voyait comme une preuve de droiture et d’amour des sujets. À l’inverse, le cérémonial espagnol d’origine bourguignonne exigeait une distanciation permanente : après son mariage, Élisabeth dut réapprendre à se comporter en reine et à se soumettre à une étiquette pesante, sous le regard souvent ironique, voire hostile, des grands d’Espagne. Cette tension entre deux traditions curiales très différentes éclate au grand jour lors des rencontres diplomatiques comme la « livraison de la reine » ou « l’entrevue de Bayonne » en 1565 : les courtisans jouent alors des différences entre les deux codes de conduite pour pousser leurs revendications avec une acuité que ne renieraient pas les meilleurs avocats d’aujourd’hui.
Être fille de France et reine d’Espagne : harmonie ou schizophrénie?
Il semble que Philippe II ait fait preuve envers son épouse, une fois qu’elle fut en âge d’enfanter, d’une affection réelle qui ne l’empêcha pas pour autant de fréquenter ses maîtresses. L’auteur montre qu’il était possible pour la reine, malgré ses obligations, de conserver un espace privé, en particulier lors de ses séjours à la campagne. Pour autant, peu envieront son sort, tant elle paraît avoir été le jouet de forces qui la dépassaient. La cour d’Espagne espérait qu’elle convaincrait son frère de rejeter sa politique de tolérance religieuse, ce que Charles IX n’avait nulle intention d’accorder, alors que Catherine de Médicis lui écrivait sans cesse pour qu’elle défende ses points de vue auprès des Habsbourg, qui lui refusaient tout rôle politique : Élisabeth ne parvint même pas à conserver auprès d’elle la suite qui l’avait accompagnée lors de son mariage.
La lecture du livre permet ainsi de comprendre comment concrètement les reines étrangères pouvaient ou non servir de pont entre les deux cours. Elle montre aussi comment sentiments et intérêts se mélangent lorsque Catherine s’inquiète de la santé de sa fille préférée et lui prodigue moult conseils médicaux afin qu’elle enfante un mâle, car c’était bien ce qu’on attendait d’elle. L’épilogue est impitoyable puisque, peu de jours après sa mort, sa mère proposa sans succès une autre de ses filles, Marguerite, pour la remplacer auprès de Philippe II.
L’ouvrage associe avec bonheur histoire diplomatique, histoire culturelle, histoire de la santé, et d’autres tendances historiographiques encore, guidant ainsi le lecteur dans les méandres de la cour et dépassant de ce fait de beaucoup le cas singulier d’Élisabeth de Valois pour s’intéresser entre autre au rôle des portraits dans les relations diplomatiques, à la médecine, à l’évolution des palais ; pour autant, il ne perd jamais de vue la trame des intrigues qui se jouaient en permanence à la cour : on ne peut qu’en recommander la lecture.
Yann Coz © Clionautes