Chantal Théry, professeure de littérature à l’Université Laval, publie et commente la relation du voyage des Ursulines (1726-1728) qu’en fait Marie-Madeleine Hachard, sœur de Saint-Stanislas, dans ses lettres à sa famille, publiées à Rouen en 1728.

Présentation de l’autrice et du texte de la Relation

La jeune Marie-Madeleine Hachard est l’une des premières femmes envoyées pour la création d’un monastère des Ursulines en Louisiane. La relation rapporte le voyage, de Rouen à Lorient, en passant par Paris, en 1726 et la traversée transatlantique vers La Nouvelle-Orléans, en 1727.

Marie-Madeleine Hachard est issue d’une famille bourgeoise de Rouen. Son père, Jacques Hachard, est procureur à la Cour des comptes. C’est une jeune femme, 22 ans, qui va découvrir l’Amérique. Elle témoigne des échanges entre Européens, Canadiens et Amérindiens, dans un climat de rivalités entre la France, l’Espagne, l’Angleterre. A travers cinq longues lettres à son père, elle raconte son voyage, exceptionnellement long et son installation à La Nouvelle-Orléans en 1727 et 1728.

Ce sont douze religieuses qui entreprennent ce voyage. La jeune Marie-Madeleine Hachard fait œuvre de scientifique dans la description géographique, économique, de la ville, mais aussi d’urbanisme et d’historienne. Elle fait une description enthousiaste de la contrée, nouvelle « la terre promise ».

Chantal Théry situe le texte dans le contexte colonial. Elle présente le traité signé entre les Ursulines et la Compagnie des Indes qui fixe les conditions du voyage, en date du 13 septembre 1726 et le rôle de Marie Tranchepain de Saint-Augustin, la supérieure de cette nouvelle communauté missionnaire sur le modèle de ce qui s’est déjà fait au Canada. Le 22 février 1727, ce sont douze religieuses et une servante qui s’embarquent au port Saint-Louis de Lorient sur la Gironde, en compagnie de deux jésuites Étienne Doutreleau et René Tartarin.

Après un très long, cinq mois, et difficile voyage, les religieuses découvrent à leur arrivée, le 6 août 1727, que leur couvent n’est pas terminé et que l’hôpital dont elles vont avoir la charge est en très mauvais état.

Chantal Théry rappelle le rôle des Canadiens-français dans l’exploration du pays des Illinois et la vallée du Mississippi, dont Robert Cavelier de La Salle, au XVIIe siècle. Elle décrit la jeune organisation de la Louisiane sous l’autorité de Pierre Le Moyne d’Iberville et cite les premiers colons venus du Canada. Elle rapporte les événements graves qui touchent la colonie quelques semaines après la dernière lettre de la jeune religieuse : l’attaque du fort Rosalie, au nord de Bâton Rouge, le 28 novembre 1729 par les Natchez qui protègent leur territoire de l’appropriation des terres par les colons. Elle présente rapidement l’histoire de la Louisiane jusqu’en 1763. Enfin au-delà de la cession de la Louisiane occidentale et de La Nouvelle-Orléans à l’Espagne en 1763, l’autrice montre les rivalités entre Français, Espagnols et Anglais puis Américains qui influèrent sur la gestion du couvent des Ursulines.

Chantal Théry évoque les missions des Ursulines : l’hôpital, mission longuement décrite par Marie-Madeleine Hachard et l’orphelinat et les conflits qui les opposent au Jésuites concernant leur mission d’enseignement.

Comme le notait l’historien Marcel Giraud dans son Histoire de la Louisiane françaiseParu Chez L’Harmattan en 2012, la Relation de Marie-Madeleine Hachard constitue une source documentaire qui méritait d’être rendue accessible.

Chantal Théry explique comment elle a établi le texte à partir de la première édition puisque les lettres manuscrites de Marie-Madeleine Hachard n’ont pas été retrouvées.

Le texte lui-même de la Relation du voyage des Ursulines et correspondance (1726-1728)

C’est à Lorient, le 22 de février 1727, date à laquelle elle envoie sa premiere lettre, que Marie-Madeleine montre l’étendue de sa maîtrise de la langue et de sa culture. Elle décrit les arrangements entre congrégations religieuses pour l’organisation du voyage. Elle narre le départ de Rouen pour Paris puis le voyage jusqu’à Lorient. A Versailles, « On nous fit voir le magnifique palais du roi » (p. 54). La relation est très précise sur les étapes de Paris à Lorient. C’est en route que la jeune femme prend l’habit le 19 janvier 1727. L’embarquement au large effraie un peu la jeune novice.

La seconde lettre est datée du 27 octobre, à la Nouvelle-Orléans où elle évoque un courrier envoyé de la Caille Saint-Louis, à Saint-Domingue et dont il n’ y a pas de traces. Elle donne des nouvelles de ses frères et sœurs, de nombreux religieux. Elle décrit son étonnement de trouver « magnificence et de politesse », que la vie y est plus chère qu’à Rouen : « le pain y coûte dix sols la livre : il est fait de farine de blé d’Inde, autrement blé de Turquie ; les œufs quarante-cinq et cinquante sols la douzaine ; le lait quatorze sols le pot, moitié mesure de France » (p.68) et sa vie quotidienne.

Désireuse d’informer son père sur le pays, elle évoque Cavelier de La Salle et l’exploration de la vallée du Mississippi, puis en fait une description géographique. On y apprend aussi que le couvent a des esclaves noirs.

Un second texte à la même date décrit la Gironde et relate, avec beaucoup de détails, la traversée transatlantique, des délices d’une escale à Madère aux affres des périls de mer : rencontre d’un navire corsaire, tempête et la difficile remontée de l’estuaire du Mississippi. A l’arrivée, les religieuses ont quelques déconvenues pour leur installation.

La Nouvelle-Orléans, ce premier janvier 1728, la lettre évoque les tâches des religieuses : à l’hôpital, l’accueil des orphelins, un peu d’enseignement pour les filles et femmes noires.

La jeune religieuse écrit une nouvelle fois le 24 avril 1728. C’est une description géographique de La Nouvelle-Orléans et du Mississippi. Sa description de la société est vivante, si elle déplore le luxe et le maquillage des femmes de colons, elle trouve les NoirsLe terme employé est, bien évidement Nègres faciles à instruire mais tremble devant les « sauvages » qui « surtout les femmes, qui sous un air modeste cachent des passions de bête. » (P. 119). Elle décrit la maison qui les accueille, la nourriture : « Pendant le Carême, nous avons fait gras quatre jours par semaine permis par l’Église, et hors le temps de Carême, on ne fait maigre que les vendredis. Nous buvons de la bière, notre nourriture la plus ordinaire est du riz au lait, des petites fèves sauvages, de la viande et du poisson. » (p. 122), une vie plutôt facile et gourmande.

Elle évoque aussi la pénétration des missionnaires en terre illinoise, une nouvelle occasion de rapporter l’exploration de la région par Cavelier de La Salle.

Documents complémentaires

L’ouvrage est complété d’une généalogie de la famille Hachard de Rouen, d’une chronologie de l’installation des religieuses ursulines de La Nouvelle-Orléans (1727-1742) et du texte du Traité de la Compagnie des Indes avec les Ursulines entretenues à la Louisiane pour le Service de l’hôpital de la Nouvelle-Orléans du 13 septembre 1726 qui prévoit notamment les moyens d’une future autonomie financière du couvent.

La lettres de Marie Tranchepain de Saint-Augustin et des Ursulines à l’abbé Gilles-Bernard Raguet de la Compagnie des Indes (17 août 1728) expose un différent entre le couvent et la Compagnie.

Une carte de la Louisiane et des nations autochtones (XVIIe-XVIIIe siècles), des plans de La Nouvelle-Orléans, des croquis de l’habitation des Ursulines enrichissent le corpus documentaire.

Enfin, un résumé de l’expédition de Cavelier de La Salle (1684-1688) rappelle combien la pénétration du continent nord-américain a été délicate.

Le devenir du couvent, après la perte de la Louisiane par la France est illustré par une courte lettre du président Thomas Jefferson à Thérèse Farjon, supérieure des Ursulines de La Nouvelle-Orléans en date du 15 mai 1804.

 

Un ouvrage plaisant à parcourir et qui a le mérite de mettre à disposition des lecteurs une source sur la présence française en Louisiane.

 

Description sur le site de l’éditeur ICI

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