3 % du PIB,…mais pourquoi au fait ?
L’article qui ouvre le dossier est peut-être le plus sidérant, car on apprend comment est né un chiffre culte, à savoir celui qui veut que le déficit public doit être limité à 3 % du PIB. On apprend donc que ce chiffre, franco-français à l’origine, est devenu le chiffre de référence en Europe. Il s’agit d’un article témoignage car c’est un des inventeurs qui raconte comment ce chiffre culte est né. L’auteur évoque aussi les tours de passe-passe pour maintenir les déficits sous des seuils symboliques, quitte à transmettre à l’équipe suivante un chiffre de 30 milliards de déficit, qui doit en fait être compris, comme un déficit de 55 milliards ! C’était à l’époque de la transition entre Valéry Giscard d’Estaing et François Mitterrand. Face à une telle réalité, il va falloir comprimer les dépenses, et donc trouver un chiffre qui puisse être communiqué facilement aux différents ministères. Un chiffre en référence au PIB est choisi car il permet d’être parlant pour tous. Le chiffre est ensuite dit, redit, ressassé jusqu’ à acquérir la valeur d’une évidence. Il change ensuite de niveau pour arriver au niveau européen. Comment résumer ce chiffre devenu culte ? Guy Abeille dit qu’il est « sans aucun contenu, et fruit des circonstances », « un calcul à la demande monté faute de mieux un soir dans un bureau, le voilà paradigme ».
Une nécessaire distance critique
Après une telle entrée en matière, on ne peut qu’être sceptique face aux chiffres. Un très bon éclairage est consacré aux indicateurs en général. Il montre les défis auxquels ils doivent répondre ainsi que les différentes catégories existantes. Un second article s’interroge sur « à quoi servent les chiffres ? » Il montre bien que les chiffres sont des armes de combat toujours plus utilisées. Surtout dans le contexte depuis 2008. Le propos est assez général mais invite fort utilement à développer l’esprit critique pour tenter de maîtriser cette inflation de chiffres. On trouvera en insert un très intéressant article qui revient sur l’illusion monétaire. De quoi s’agit-il ? Et bien notamment du problème de comparer le prix de produits de la vie courante. On entend sans cesse des déplorations sur l’augmentation du prix du pain mais que disent les chiffres ? Le prix moyen d’une baguette était de 3,14 francs en 1990 (soit 0,48 euros) et 0,86 euros en 2012. Pour comparer, il faut introduire comme variable le salaire minimum et que constate-t-on ? Là où un travailleur pouvait acheter dix baguettes en 1990 avec une heure de salaire, il peut aujourd’hui en acheter onze !
Le journal allemand, le Frankfurter Allgemeine Zeintung, consacre un article aux chiffres suspects des grands projets. C’est à la fois assez implacable et en même temps incontestable. Le projet de construction du Transrapid entre la gare centrale et l’aéroport de Munich est passé d’ 1,85 milliard d’euros à 3,4. Finalement, ce nouveau chiffrage a conduit à l’abandon du projet.
Des chiffres à oublier et d’autres à découvrir
Parmi les autres illusions du chiffre, Charles Le Lien revient sur l’idolâtrie du chiffre à travers le cas de la croissance. Il rappelle des points de base qui devraient tous nous alerter : la marge d’erreur du taux de croissance est en effet souvent supérieure à sa valeur absolue. Le chiffre définitif de la croissance n’est connu de façon certaine qu’au bout de quatre ans ! Mais il n’y a pas que des chiffres sans intérêt qui sont montrés, il y aussi surtout ce que l’auteur considère comme des chiffres significatifs qui eux ne sont jamais evoqués. Parmi eux il est sans doute plus intéressant de prendre celui publié dans un rapport du FMI. Il mesure les efforts budgétaires à consentir en terme d’excédents budgétaires primaires moyens mesurés en pourcentage de PIB sur la période 2011-2030 pour ramener la dette publique à 60 % du PIB. Compte tenu du vieillissement démographique, l’excédent annuel moyen à constituer pendant vingt ans serait de 3 % pour l’Allemagne, de 7 % pour la France, de 13 % pour le Royaume-Uni et de 21 % pour le Japon. On trouvera encore dans ce dossier une intéressante mise au point sur « comment mesurer le chômage ». Une bibliographie sitographie permet de prolonger la lecture de ce dossier sur les chiffres.
Jeux d’argent, FED et nuits parisiennes
On trouve d’autres chiffres dans les autres articles avec celui sur les jeux d’argent en France. Quatre acteurs se partagent le gâteau estimé à plus de 46 milliards d’euros. Un joueur parie en moyenne 2000 euros par an. L’article évoque aussi la part des joueurs dits « à risques » tout en soulignant que les modes de calcul ne sont pas les mêmes dans tous les pays européens. Les paris hippiques sont en tout cas en tête de course de la rentabilité pour les opérateurs. Enfin, après deux ans de présence en France, les jeux en ligne ne dégagent pas de bénéfice selon l’article.
Un article plus spécialisé est consacré au bilan de Ben Bernanke. Il est certes détaillé mais à réserver aux spécialistes du domaine. La revue se conclut avec une vision économique des nuits parisiennes. Il est sûr qu’avec 27 millions de touristes par an, la nuit est un enjeu pour la capitale. 80 % des Francais déclarent sortir en ville la nuit contre 60 % il y a trente ans. L’article n’élude pas les conflits qui peuvent surgir entre le monde de la nuit et le monde du travail de jour. Paris dessine en tout cas une géographie contrastée. La ville festive est plus polarisée avec par exemple une centaine de cinémas qui animent les débuts de soirée dans quelques quartiers.
Ce numéro de « Problèmes économiques », comme très souvent, contient vraiment des perles à conserver. Ce dossier sur le culte des chiffres doit donner à réfléchir, à penser, et incite à une vision critique, c’est-à-dire citoyenne, à propos de chiffre brandis comme des fanaux. Il faut en explorer le sens, la construction tout en se demandant si d’autres ne seraient pas plus significatifs.
Jean-Pierre Costille, © Clionautes.