Cet ouvrage, émouvant à plus d’un titre, est le récit de la vie de Robert HébrasUn témoignage est disponible sur Cliotexte https://clio-texte.clionautes.org/temoignage-rescape-massacre-oradour-juin-44.html. Le dernier témoin du village martyr d’Oradour-sur-Glane nous a quittés le 11 février 2023 à l’âge de 97 ans. Toute sa vie, il a gardé son sourire malicieux et ses yeux rieurs malgré l’épouvante. Il a transmis son témoignage à des milliers de personnes à travers des rencontres publiques, des visites officielles avec des hommes et des femmes politiques mais également à travers des visites qu’il a effectué auprès des élèves venus du coin ou de plus loin pour pouvoir entendre et voir cette mémoire vivante du massacre auquel il a survécut le 10 juin 1944 avec cinq autres personnes (Jean-Marcel Darthout, Mathieu Borie, Clément Broussaudier et Marguerite Rouffanche).

Cet ouvrage n’est pas un énième livre sur l’histoire d’Oradour-sur-Glane. Dès le début de la lecture nous le comprenons avec l’anecdote qui a marqué l’esprit de sa petite fille, Agathe Hébras, qui était alors en classe de 3ème et qui s’est rendue avec ses camarades dans le village pour entendre le récit de son grand-père. Un souvenir spécial pour tous les deux, lui qui, au même âge (à quelques années près) avait vécu l’horreur en perdant toute sa famille et ses amis.
Nous savons alors que la suite de la lecture de cet ouvrage sera émouvante car c’est la passation du témoin entre le grand-père et sa petite-fille.

Cet ouvrage est extrêmement bien organisé, la lecture est d’une fluidité très appréciable.

Avant chaque chapitre qui nous fait remonter le temps, nous faisons une courte escapade en 2021 lorsqu’il se promène dans les rues du village martyr accompagné de sa petite fille. Elle connaît son récit par coeur mais ne se lasse pas de lui poser des questions, appréciant les anecdotes de la vie d’avant et du bon vieux temps ; il ne s’agit pas toujours d’évoquer la journée du 10 juin 1944. Par exemple, il lui montre le lit dans lequel il dormait et en profite pour le montrer aux visiteurs, heureux d’être tombés sur l’un des survivants du massacre.

Le début d’une belle histoire familiale

L’histoire de ses parents puis de celle de leur vie à Oradour-sur-Glane, la vie de famille et la vie au village. Une vie pas si facile avec des sacrifices, mais une enfance joyeuse.

Son adolescence pendant la guerre et le 10 juin 1944

Dès 1939, de nombreux hommes partent à la guerre ; parmi eux beaucoup ont été faits prisonniers. Robert grandit et doit apprendre un métier, il rêve de devenir pâtissier, mais la période n’est pas propice à la confection de gâteau car tout coûte cher. Il essaie en boulangerie mais le rythme 4h/17h est trop intense. Il tente un apprentissage dans l’étude du notaire mais il prend conscience qu’il préfère un métier manuel. Il trouve alors une place chez un garagiste et prend conscience que désormais il veut être mécanicien. Il travaille alors dans le centre de Limoges pour apprendre le métier tout en restant à Oradour car le tramway y va directement. Mais quelques mois plus tard la guerre le rattrape : les troupes allemandes sont à Limoges, le garage doit peindre des voitures pour la Wehrmarcht qui se rendent sur le front russe.
Heureusement, le temps de l’enfance revient lorsqu’il retourne le soir à Oradour ; un espace préservé mais des méfiances font jour : on soupçonne l’un d’être collabo, l’autre d’être communiste.

Mais la vie suit son cours jusqu’au 10 juin 1944, où Robert Hébras âgé de 19 ans voit arriver des troupes habillées de noir encercler le village de sorte que personne ne puisse en sortir.

Robert Hébras souligne que ces soldats étaient tout justes sortis de l’adolescence. Une précision est importante mais il ne pouvait pas le savoir à l’époque : certains d’entre eux étaient des « malgré eux » ; des Alsaciens incorporés de force pour combattre leur propre pays. Ce passage montre l’évolution dans la réflexion sur la présence ou non forcée des Alsaciens aux yeux de Robert Hébras car, dans son livre Oradour-sur-Glane : le drame heure par heure publié en 1994, il précisait « soit-disant enrôlés de force » et avait été condamné à 10 000 euros de frais de justice auprès des Associations des évadés et incorporés de force (Adeif).

Lorsqu’ils les voient, les habitants pensent alors qu’ils vont prendre les jeunes hommes et les hommes pour renforcer les troupes et lutter contre le débarquement en Normandie.
Cependant, la division Das Reich souhaite surtout écraser toute résistance ou velléité de rébellion face à cet événement majeur qui suscite de l’espoir parmi la population. Elle l’a déjà fait la veille à Tulle où 99 hommes ont été pendus et 149 habitants déportés en représailles d’une attaque commise par le maquis de Corrèze. Oradour n’a pas été ciblé par hasard, l’opération a été préparée les deux jours précédents : une population de taille moyenne, aucun résistance connue donc pas de réponse armée envisagée.

Le massacre

Le coeur bat la chamade et les lignes défilent à la lecture de ce texte glaçant dont on peut difficilement faire le récit. Robert Hébras raconte le rassemblement de tout le village sur la place centrale, le départ des femmes et des enfants, le départ des groupes d’hommes dans les granges où on leur a dit qu’ils devaient patienter le temps que chaque maison soit fouillée car les SS ont dit être à la recherche d’armes et de munitions cachées. Devant le groupe d’hommes rassemblés dans la grange, quelques soldats s’installent couchés par terre, mitrailleuse en main. Les hommes n’étaient pas choqués de les voir ainsi car ils étaient en quelque sorte surveillés le temps des recherches. Mais soudain, un bruit se fait entendre dans le village : c’est le signal. Soudain, les balles fusent, les corps s’écroulent, les cris se font entendre. Robert Hébras tombe sous le poids des corps et est touché par des balles ; il sent le sang chaud des autres couler sur lui. Il entend les soldats disperser de la paille et mettre le feu à la grange. Avant de pouvoir s’enfuir, Robert a le temps d’être brûlé à plusieurs parties du corps. Il retrouva par la suite d’autres voisins et tous essayèrent de s’évader tant bien que mal du village en feu.

Robert réussit à gagner un village à plusieurs kilomètres d’Oradour la nuit et raconte ce qu’il s’est passé. Il retrouve son père le lendemain et se réfugient chez sa soeur. Jean Hébras décide de regagner le village après le départ des SS pour retrouver sa femme et ses enfants. Le choc est terrible lorsqu’il découvre le charnier et l’odeur de la chair humaine carbonisée dans l’église. Il ne s’en remetta jamais. Lorsqu’il apprend la nouvelle, Robert ne veut pas y croire et se dit, comme beaucoup d’autres, que l’église ne peut contenir autant de personnes et qu’ils ont sans doute été emmenés plus loin. Mais le témoignage de la seule survivante, Marguerite Rouffanche, confirma qu’aucun espoir n’était permis.

Robert en ressort traumatisé, détruit par la perte tragique de sa mère, de ses deux soeurs, de ses amis, ses voisins, son foyer. Comme son père, il est un homme transformé pour toujours.

Dans les jours qui suivent, l’évêque de Limoges décide de parler publiquement du massacre lors de la messe ; le gouvernement de Vichy proteste auprès de l’Occupant.

Il rejoint le maquis pour venger le massacre de sa famille et ses êtres chers, il manque de se faire tuer puis part en Bretagne pour prêter main forte aux Alliés, en temps que mécanicien. On connaît son histoire, et bien qu’il ait envie de se battre, on le lui interdit par devoir moral envers sa famille.

La vie d’après

Robert essaie tant bien que mal de continuer à vivre une vie « normale ». Il ouvre son garage, habite dans le nouveau village d’Oradour sur Glane avec sa femme. Son père les rejoignit et la vie de famille continua sans jamais évoquer entre le père et le fils l’ancien village et leurs proches disparus.
Quant à son fils unique, Richard, il grandit sans trop voir ses parents car ils sont occupés à travailler. Bien souvent, sa tante s’occupe de lui. Robert ne lui parle jamais d’Oradour, mais Richard, à l’âge de 20 ans et avant de partir faire son service militaire à Mulhouse, lui demande de lui raconter son histoire et d’aller sur les lieux du drame. Devenu adulte, il est le porte-drapeau des anciens combattants lors des cérémonies commémoratives du 10 juin 1944.

La vie suit son cours, Robert divorce puis se remarie. Lorsque son père décède, Robert réalise que père et fils n’ont jamais parlé de leurs proches disparus, son père ayant été anéanti par la perte de sa femme et de ses deux filles. Quelques années plus tard, l’un des membres de la division Das Reich, Heinz Barth, a été retrouvé et est jugé en Allemagne de l’Est en 1983. Robert et les autres survivants du massacre sont appelés à témoigner, l’ancien soldat a avoué mais n’a pas pu donner de réponse quant à la fameuse question « pourquoi Oradour ? », ne répétant alors que des maquisards s’y trouvaient. Il fut condamné à la prison à perpétuité, mais libéré en raison de soucis de santé en 1997. Il mourut en 2007 et non pas en 2017 comme indiqué en note de bas de page dans le livre.

Marguerite Rouffanche, seule témoin du massacre des femmes et des enfants, décède en 1988. Pour Robert, c’est un choc car il s’aperçoit qu’elle n’a que très peu témoigné. Il se décide donc de le faire car, s’il a réchappé de là où personne ne le pouvait (d’après Heinz Barth), c’était pour témoigner de tout ce qu’il s’est passé. C’est ce qu’il fit alors tout le reste de sa vie, accueillant des élèves, faisant des visites etc. Vous pouvez retrouver ici un reportage qui avait été réalisé par France 3 Limoges à l’occasion d’une visite avec des élèves.

Les rencontres officielles se font plus nombreuses mais la plus importante de sa vie est celle du 10 juin 2013 où il accueille le président de la République française François Hollande et le président de la République allemande Joachim Gauck. Le but est de pouvoir poursuivre la réconciliation entre la France et l’Allemagne dans ce haut lieu de martyrs de la Seconde Guerre mondiale. A cette occasion, il retourne dans l’église du village où il n’a pu mettre les pieds depuis très longtemps, se rappelant sans cesse la disparition tragique des membres de sa famille.

A l’image de François Mitterand et de Helmut Kohl en 1984 devant l’Ossuaire de Douaumont à Verdun, ils se tiennent tous les trois la main pour symboliser la capacité de résilience des survivants du massacre et de la distinction importante à faire entre les Allemands qui ont participé au régime nazi et ceux qui n’y ont pas pris part, descendants inclus, et qui par conséquent ne doivent pas endosser la responsabilité de leurs aïeux.

Aujourd’hui, sa petite-fille Agathe a repris le flambeau de la mémoire et la conservation des ruines du village martyr car la question se pose suite à la disparition successive des témoins, que peut-on faire pour conserver des ruines, désormais seules témoins du drame du 10 juin 1944 ? Agathe Hébras, accompagnée de diverses associations, d’acteurs publics et privés, essaie d’y répondre au mieux pour la sauvegarde de ce patrimoine figé dans le temps ; notamment en espérant pouvoir faire appel aux mécènes.

Robert Hébras a accompli sa mission de témoin et de son adage « ni oubli, ni haine » car, lui qui voulait tuer des Allemands, a compris que d’autres familles seraient touchées et endeuillées. Il ne voulait pas agir ainsi car ses proches et ses amis ne reviendraient de toute façon pas. Ainsi, sa passation du devoir de mémoire a été trouvé au sein de sa famille qui s’assurera à veiller au respect des lieux et à la mémoire des survivants.
Robert Hébras qui nous a quittés le 11 février 2023 à Saint-Junien (à quelques kilomètres d’Oradour) repose désormais au cimetière du village martyr où il est né il y a 97 ans.