Entre la basse vallée de l’Yonne à l’est et celle de l’Essonne à l’ouest, entre le cours de la Seine au nord et celui de la Loire au sud, de Nemours à Briare, de Sens à Pithiviers, avec pour centre Montargis et la vallée du Loing, s’étend le Gâtinais, sur le territoire des départements du Loiret, de la Seine-et-Marne, de l’Essonne et de l’Yonne. Mais c’est essentiellement du département du Loiret qu’il s’agit ici, de sa partie orientale plus particulièrement, qui est le cadre d’une étude sur la Résistance. Les raisons du choix de cet espace pour cette étude sur la Résistance sont à chercher dans le fait que la famille de l’autrice y est enracinée, qu’elle-même y a vécu et y vit aujourd’hui, que c’est une région qu’elle aime et qu’elle connaît, et que dans son enfance, elle a été fascinée par des récits familiaux.

La quatrième de couverture ne présentant pas vraiment l’autrice, je me réfère au portrait qui lui est consacré sur le site des éditions de l’Écluse, où elle a publié un autre livre, consacré à un quartier de Montargis.  « Née à Paris en 1956, Liliane Brulez a passé son enfance à Montargis, dans le quartier de la Chaussée où ses ancêtres, originaires de Charny, sont venus s’établir au 19e siècle. De cette enfance elle a gardé un goût prononcé pour les histoires de vie et le passé du Gâtinais. Depuis des années, elle écoute les anciens évoquer leurs souvenirs et consigne leurs témoignages. Dans les archives, elle confronte récits et documents officiels. Auteur d’articles pour les Amis du Vieux Montargis, elle est aussi membre de la Société d’Émulation de l’arrondissement de Montargis et de l’association Épona (qui a pour objet la recherche, l’étude et la transmission de l’histoire du Patrimoine et des Traditions). Liliane Brulez a collaboré aux journaux locaux, la République du Centre et l’Éclaireur du Gâtinais, dans lequel elle a fait paraître des monographies locales sous le titre « Histoire d’il y a belle lurette ». Après une première carrière de professeur de sciences, elle est aujourd’hui psychologue à Villemandeur. »

L’esprit et la structure de l’ouvrage

On ne cherchera pas de problématique historique ou historiographique particulière, pas non plus de problématique liée à un cadre administratif relatif aux conditions de l’occupation, qui justifie l’étude de la Résistance dans cet espace. Le Gâtinais étant en zone occupée, le cadre administratif vichyste était le département ; l’Occupant avait calqué son administration militaire sur ce cadre, et la Résistance intérieure aussi. L’est du Loiret n’a pas d’identité particulière qui puisse justifier qu’on en fasse l’espace d’un objet d’étude sur la Résistance. Liliane Brulez a entendu quand elle était enfant ses grands parents évoquer l’Occupation allemande et elle a « voulu et retrouver ces histoires ». « Une vaste tournée des oncles et des cousins m’a permis de grapiller les souvenirs de ceux qui voulaient bien m’aider à reconstituer notre saga familiale. La collecte s’est élargie aux amis et aux voisins. Le bouche-à-oreilles a fonctionné, j’ai réuni de nombreux témoignages ». Consciente que ces sources ne suffisaient pas, elle a complété par quelques recherches dans les archives, et dans la bibliographie.

Il en résulte un beau livre, agréablement et intelligemment mis en page, imprimé sur papier glacé et très richement illustré. Un jeu de couleur, dont la clé nous est donnée au tout début du livre, permet de savoir de suite quel type de texte l’on est en train de lire : celui de l’autrice, sur fond blanc comme pour tout livre, celui d’un témoignage recueilli par l’autrice (sur un fond d’une autre couleur), un extrait de document d’archives (une autre couleur), ou un extrait de livre ou d’article (encore une autre couleur). Une bibliographie, un exposé des sources,  des repères chronologiques (distinguant les faits locaux des faits nationaux), une liste des lieux de mémoire, et un index des noms complètent utilement le récit principal.

L’ouvrage se structure en treize chapitres. Le premier (« Ma famille dans la guerre ») et le dernier (« La libération vue de Griselles) sont exclusivement consacrés à la famille de l’autrice et à son village  Les onze autres se succèdent de manière à la fois géographique, thématique et chronologique, la thématique étant fondée sur les particularités locales de la Résistance dans cet espace gâtinais, qu’il s’agisse d’organisations, de personnes, d’événements ou de l’implantation d’un maquis. Quatre chapitres sont centrés sur des organisations : deux réseaux, « Prosper » et « Comète » (chapitres 2 et 4), un mouvement, « Résistance » (chapitre 10), une organisation paramilitaire, les Francs-tireurs et Partisans (FTP, chapitre7). Bien que les chapitres centrés sur les organisations présentent leurs principaux membres, trois chapitres sont davantage centrés sur les résistantes et les résistants, principalement dans le cadre de la répression (chapitre 3 : Le drame de Chuelles ; chapitre 5 : Les chefs locaux ; chapitre 6 : Les résistants de Ferrières ; chapitre 11 : Résistants montargois contre gestapistes). Deux gros chapitres sont consacrés aux deux maquis locaux : le puissant maquis de Lorris (chapitre 8) et le maquis du Charme (chapitre 9). Mais il est également question des maquis de Ferrières, de Griselles, de Mâchefer (à Courtenay dans l’Yonne) et de Saint-Firmin-sur-Loire. L’avant dernier chapitre est consacré à l’arrivée de l’armée Patton  et à la Libération du Gâtinais. Ce compte-rendu n’a pas pour objectif de rendre compte de la totalité du contenu de cet ouvrage, mais de montrer par quelques exemples la diversité des actions résistantes racontées.

Le réseau Prosper et le drame de Chuelles

En octobre 1942, le major Suttill, agent anglais alias « Prosper », est parachuté en Seine-et-Marne. Il fonde le réseau « Prosper-Physician », affilié au réseau Buckmaster, nom du chef de la section F à Londres, Maurice James Buckmaster. Il implante le réseau dans le Loiret, Jean Vessière, garagiste à Montargis, devient responsable pour le Loiret, bientôt épaulé par son fils, et par Lucien Carmignac, épicier et cidrier à Chuelles. Prosper est l’un réseaux britanniques fondés par le colonel Buckmaster ; mais plusieurs des membres locaux sont affiliés aussi à deux mouvements de résistance, l’OCM (Organisation civile et militaire) et Résistance. Le groupe initial essaime dans le Gâtinais par les liens personnels. Leurs activités sont d’abord d’aider à l’évasion de prisonniers de guerre, puis la propagande et ensuite la réception de parachutages, ainsi que, si l’occasion s’en présente, l’aide aux aviateurs alliés tombés sur le sol du Gâtinais.

Comme pour beaucoup d’autres groupes la répression s’abat très vite et très intensément sur le réseau. En juin 1943, un parachutage d’armes et de munition est organisé à Chuelles sous l’égide de Jean Vessière et Lucien Carmignac. Quelques jours plus tard, ce sont deux pilotes anglais qui arrivent au domicile des Vessière. Jacques, 18 ans, les convoie par le train jusqu’à Paris, où ils sont pris en charge et rapatriés. Suite à l’arrestation de Suttill, le 24 juin 1943 à Paris, des arrestations massives ont lieu suivies de déportations. L’ensemble du réseau Prosper est décimé. Plusieurs centaines d’arrestations ont lieu. À Montargis, Jean Vessière parvient à s’échapper par les toits, puis le long du canal sur lequel donne l’arrière de sa maison. Les 7 et 8 juillet 1943, la Gestapo envahit Chuelles, massacre Lucien Carmignac et son fils, et déporte les membres du réseau. Elle se rend ensuite à nouveau chez les Vessière et arrête Jacques. Il sera déporté et disparaîtra à Dora, le 23 août 1944. Désespérant de trouver Jean, le chef du réseau, les Allemands arrêtent Olga, son épouse, le 30 août 1944. Elle fait deux mois de prison durant lesquels ses deux filles, âgées de onze et douze ans restent seules à s’occuper de leur petit frère de deux ans. Jusqu’en juin 1944, date de son arrestation, Jean Vessière se cache, continuant la résistance. Il est finalement dénoncé et arrêté à Dammarie-sur-Loing. Déporté, il meurt en déportation le 19 avril 1945.

Lucien Tripot et le réseau Comète

Comète est un réseau d’évasion fondé en 1941 à Bruxelles par une jeune femme de 25 ans, Andrée de Jongh, qui a obtenu le soutien logistique du MI-9, service britannique chargé des évasions. Pour les Britanniques la récupération des aviateurs dont les avions ont été abattus au-dessus de l’Europe occidentale, est essentielle. Mais il s’agit d’une activité complexe : il faut des vêtements civils, des planques, de la nourriture, de l’argent, des faux-papiers, des convoyeurs pour ces hommes qui ne parlent pas le français. C’est une activité dangereuse car l’aide est considérée comme un « acte de sabotage » et les peines encourues sont graves, exécution et déportation. Entre août 1941 et juin 1944, Comète a pris en charge près de 700 aviateurs alliés et est parvenu à en faire passer 2888 au-delà des Pyrénées. 420 femmes et hommes ont été homologués comme membre du réseau, dont un tiers de femmes. Mais au-delà des résistants homologués comme membres du réseau, nombreux sont celles et ceux qui les ont aidé (par exemple en septembre 1942 sont arrêtés à Auxerre trois personnes qui avaient simplement accepté d’héberger des aviateurs pour une nuit). Comète a ainsi  a mobilisé environ 2000 personnes. Une étude récente de l’historienne Claire Andrieu montre un peuple français immédiatement solidaire, à ses risques et périls, des Alliés en détresse. Les soldats et aviateurs alliés aidés en France sont au moins 4000. Les Alliés leur donnent le qualificatif de « helper » ; ils ont constitué pour eux des dossiers, leur ont décerné des médailles après la Libération.

Lucien Tripot est né le 16 juillet 1923 à Montcorbon. Liliane Brulez a recueilli son témoignage. Ses parents avaient une grosse ferme du côté de Courtenay. Il est entré dans la résistance en 1941 en aidant des évadés de guerre français à passer la ligne de démarcation à Saint-Florent-sur-Cher. En un an, près de soixante évadés sont passés par la ferme de ses parents. À l’instauration du STO (Service du travail obligatoire), il est venu en aide à des garçons qui voulaient se cacher. Puis il est devenu, helper au sein du réseau Comète. Le jeune homme a pris en charge de nombreux aviateurs qui échouaient dans la région. Avec d’autres compagnons, il allait les récupérer. Il s’occupait de leur trouver une cache, de leur procurer de faux-papiers, de les soigner. Il est resté très lié jusqu’à sa mort avec Ronald Emeny, un aviateur auquel il était venu en aide.

Marc O’Neill, un chef local d’envergure nationale, et beaucoup d’autres

A de nombreuses reprises dans l’ouvrage on rencontre la figure de Marc O’Neill, et son fils Georges a bien voulu en rédiger une courte préface. Marc O’Neill est né au Mans en 1909 dans une famille marquée par la Grande Guerre : son père, le général O’Neill, gazé, a succombé peu après à ses blessures et son frère est lui aussi mort au champ d’honneur. Après des études au lycée Louis-le-Grand, il intègre Saint-Cyr en 1932. Lors des combats de 1940, blessé sur la Somme, il refuse d’être évacué et se replie avec son unité jusque dans la Vienne. Affecté au premier régiment de chasseurs à Vienne, il refuse de prêter serment au maréchal Pétain, et se voit dénier l’octroi de la Légion d’honneur pour laquelle il a été proposé à titre militaire pour sa campagne de France. Muté au Maroc en avril 1941 où il est chargé de l’établissement du matériel à l’école de cavalerie de Meknès, il revient en France en avril 1942, lorsqu’il est nommé à la direction du matériel à Clermont-Ferrand puis à Paris. Grâce à sa fonction, il peut faire passer clandestinement plusieurs tonnes de matériel militaire en zone non occupée.

En novembre 1942, il quitte la direction du Matériel pour entrer à l’Organisation civile et militaire et participe à la résistance militaire en région parisienne. En juillet 1943, il abandonne son mouvement pour devenir l’adjoint de Favereau chargé de créer le Service national maquis en zone nord. Marc O’Neill réunit sous son autorité directe les groupements militaires mis en place dans les quatre départements qui forment la sous-région P2 (Eure-et-Loir, Loir-et-Cher, Cher et Loiret).  Il regroupe l’ensemble de ces forces sous le nom de Volontaires paysans et ouvriers (VPO). Fin mars 1944, il est nommé Délégué militaire régional pour la région P 2 et s’installe à Vitry-aux-Loges. Il prend part avec le maquis de Lorris-en-Gâtinais à la libération de la région, s’installe à la préfecture d’Orléans puis gagne Paris où il participe aux combats de la Libération avant de recevoir l’ordre de retourner dans le Loiret. On trouve dans cet ouvrage d’intéressantes observations sur ce groupe mal connu et souvent ignoré que sont les VPO.

On découvre aussi nombre d’autres résistants aux responsabilités diverses. On a déjà cité Jean Vessière et Lucien Carmignac, ajoutons encore Claude Lerude, Pierre-Louis Duchartret Charles Remigereau et ses trois enfants, du réseau Turma-Vengeance de Ferrières-en-Gâtinais, le communiste Robert Pichon et bien d’autres.

Le maquis de Lorris-en-Gâtinais

Une part importante est accordée à ce puissant maquis, ses origines, son évolution, ses actions et le drame de sa répression. La spécificité du maquis de Lorris réside dans le fait qu’il est passé d’une organisation clandestine cachée dans un  lieu retiré pour s’afficher ensuite au grand jour, et combattre ouvertement pour la libération de la France. Situé en plein cœur de la zone occupée, le département du Loiret est stratégiquement placé sur un axe majeur de franchissement, la Loire.

Le premier relais de Marc O’Neill dans le Loiret est Roger Mercier qu’il charge du recrutement des volontaires. Entre juin et août 1943, Roger Mercier se rend chaque mercredi à Paris pour rendre compte auprès du colonel O’Neill de ses progrès et prendre les consignes. En août 1943, O’Neill nomme Mercier Délégué militaire départemental du Loiret, avec pour mission : la constitution clandestine de petits groupes d’une dizaine d’hommes sûrs sur chaque commune du Loiret ; la recherche de terrains propices aux parachutages ; la réception, le stockage et l’entretien des armes parachutées ; l’accueil des réfractaires du STO de plus en plus nombreux au printemps 1943

Le second relais du colonel O’Neill, est Albin Chalandon, membre de l’ORA (Organisation de résistance de l’armée), chargé de recruter tous les volontaires de la région de Lorris dès avril 1944. En juin 1944, au lendemain du débarquement, Chalandon installe son PC dans une ferme au bord de la forêt d’Orléans, ferme tenue par la famille Elise d’origine  belge. Avec l’aide des services des Eaux et Forêts et de quelques gardes forestiers il va rechercher l’endroit pour implanter le premier camp du maquis au lieu-dit « les Aulnottes ».

Au printemps 1944, plusieurs groupes sont déjà structurés : de nombreux volontaires sont prêts à l’action, des contacts ont été pris à tous les niveaux, notamment avec des agents des PTT, de la SNCF ou des Eaux et Forêts, des terrains de parachutages ont été repérés et homologués par Londres, si bien qu’au moment du débarquement, le véritable point de départ de la lutte armée, ces groupes se révéleront particulièrement efficaces. Dans les projets stratégiques élaborés à Londres,  de petites unités légères mobiles d’une trentaine de personnes devaient se constituer dans le Loiret, dont l’objectif serait d’organiser la réception d’une brigade parachutée et la couverture de la Loire entre Briare et Orléans, en vue du débarquement. En mai 1944, Marc O’Neill  est nommé Délégué militaire régional de la région P2, en liaison et sous la direction d’André Rondenay, Délégué militaire de la zone Nord, lui-même sous les ordres de Chaban-Delmas.. Il devient responsable de quatre départements, le Loiret, le Cher-Nord (le Sud est en zone non occupée), le Loir-et-Cher et l’Eure-et-Loir. O’Neill est chargé par Londres, et le colonel Rondenay,  d’une mission très précise : la création de deux unités de combat de part et d’autre de la Loire dont l’objectif serait, le moment venu, d’entraver tout envoi de renforts ennemis sur le front par la vallée de la Loire : ce sera le rôle des maquis, cachés en forêt d’Orléans rive droite, en Sologne rive gauche.

O’Neill décide aussitôt de s’installer dans le Loiret pour diriger la manœuvre. Il est d’abord accueilli par Mercier à Sceaux-du-Gâtinais, avant de passer par Puiseaux, puis d’élire domicile à Vitry-aux-Loges, dans la ferme de la Folie, louée pour lui par l’Abbé Visage, le curé de Vitry. De son PC de La Folie, il est en contact permanent avec Londres et les quatre chefs départementaux de la région P2 grâce à son radio, le capitaine Charles Villemin  et sa femme, Paulette, chargée du codage et du déchiffrement des messages. Pour s’assurer du parachutage régulier d’armes depuis l’Angleterre, O’Neill prend contact avec Philippe de Vaumécourt, chef SOE pour la région P2 après le démantèlement du réseau Prosper, puis avec le BCRA à Londres. Plus de 50 parachutages auront ainsi lieu entre mai et juillet.

L’étape suivante consiste à constituer des équipes entraînées pour récupérer les armes, les entretenir, et apprendre à s’en servir. A ce moment-là, sur Lorris et les communes environnantes, il existe déjà des responsables locaux de la Résistance qui sont les mieux placés pour le choix des volontaires. Dès le printemps 1944, on assiste donc à la formation de plusieurs maquis en forêt d’Orléans : à Vitry aux Loges, à Chambon-la-Forêt, à Lorris, où il existe déjà le groupe armé sous la direction d’Albin Chalandon. Tous ces volontaires, de très jeunes hommes, n’ont pas de formation militaire. Conscient de la difficulté, Albin Chalandon décide d’organiser l’instruction clandestine des volontaires. Il organise alors la venue depuis Paris des « Cyrards » pour instruire ces hommes au maniement d’armes et explosifs. Il s’agit d’anciens étudiants élèves officiers de l’armée française du lycée militaire de Saint-Cyr, transféré dans un premier temps à Aix-en-Provence en octobre 1940 puis fermé en 1942. Nombreux sont ceux qui recevront par la suite une instruction clandestine dans le but d’alimenter les groupes de résistance qui voient le jour un peu partout sur le territoire. Albin Chalandon décide après le débarquement d’envoyer 21 de ces cyrards en forêt d’Orléans. Dix d’entre eux seront cachés par des fermiers dans les communes environnantes de Lorris, certains rejoindront rapidement les groupes auxquels ils sont affectés, avec pour mission d’organiser la réception des parachutages d’armes, de procéder, souvent de nuit, à l’instruction militaire des volontaires, avec entraînement au maniement des armes et des explosifs et de mener les groupes de résistants lors des missions, ils intègrent pour cela la chaîne de commandement du maquis.

Mais alors que les plans d’Etat-major prévoyaient la création de petits groupes armés et entrainés d’une trentaine d’hommes sur la Loire, des événements totalement imprévus allaient bouleverser la donne. Les trois groupes terrés en forêt d’Orléans devaient par la force des circonstances se regrouper en juillet 1944 pour ne former qu’un maquis, le plus important du Loiret par ses effectifs, le Maquis de Lorris, fort de près de 600 hommes mi-août 1944. Les agents forestiers étaient chargés de surveiller les allées et venues en forêt et signalaient le moindre mouvement anormal. L’objectif était d’harceler l’occupant en menant des actions de guérilla contre les troupes allemandes venant du sud de la Loire afin de ralentir leur progression vers le front de Normandie, puis d’entraver leur repli à partir d’août 1944. Les principales missions des maquisards étaient des embuscades contre des convois de véhicules allemands, des sabotages de voies ferrées ou de ponts, les arrestations d’individus dangereux, collaborateurs, miliciens. Le maquis de Lorris, sur décision unilatérale du colonel O’Neill,  avait également pour mission de participer à la libération d’Orléans prévue le 15 août. Le 12 août le capitaine Albert se trouvait dans ce but au PC du colonel O’Neill à Vitry pour la mise au point des derniers préparatifs de la mission. C’est Albin Chalandon qui prend alors le commandement du maquis en l’absence du capitaine Albert. Afin de se procurer des véhicules, les maquisards organisent ce 12 août l’attaque de véhicules ennemis remontant sur la nationale 60, près du lieu-dit « Chicamour ». Mais l’embuscade tourne mal, et les combats font rage toute la journée. Neuf maquisards sont tués.

Le 14 août au matin, l’armée allemande encercle le carrefour d’Orléans, pensant y trouver le camp du maquis. Au centre de la forêt d’Orléans, quatre communes, Lorris, Les Bordes, Ouzouer-sur-Loire et Montereau,  se rejoignent donc en un point appelé « carrefour d’Orléans ». Quatre maisons y sont construites, habitées par des familles. En ce matin du 14 août, seule une poignée d’hommes demeure au carrefour, restant en liaison constante avec le maquis. Dans l’infirmerie, installée non loin de là, seuls trois blessés de l’attaque de Chicamour ainsi qu’un malade se reposent.

Ce lundi matin, alors que se déroule l’inhumation des neuf victimes du 12 août, trois camions chargés de soldats allemands s’approchent du carrefour d’Orléans. Afin de ne pas éveiller davantage les soupçons de l’ennemi, les troupes se cachent dans les maisons forestières. Ailleurs dans la forêt, les maquisards s’efforcent de faire disparaître tous les objets compromettants (brassards tricolores, armes, munitions, etc.). Les Allemands poursuivent leur encerclement méthodique, n’arrêtant que de jeunes gens désarmés qu’ils rencontrent en chemin. Malgré leurs efforts, ils ne parviennent pas à découvrir le maquis. Vers 13 h 30, des soldats arrivent de toutes les routes ou sortent des fossés ; au total 500 hommes se rassemblent, cernant les baraquements. Les Allemands font sortir les Français, y compris les blessés et les infirmières. Les Allemands se livrent alors à un interrogatoire. Les captifs se disent ouvriers forestiers et prétendent ignorer le maquis. Des soldats profitent de l’occasion pour piller les maisons avoisinantes, quand soudain ils découvrent des brassards tricolores. Les Français, incapables de fournir une explication valable à la présence de ces objets, sont alors considérés comme « terroristes . Les détenus, excepté l’infirmière, sont conduits sur la route, puis abattus d’une balle dans la tête. En plus de ces quinze victimes, un corps calciné est retrouvé, puis dans la soirée, deux jeunes gens sont fusillés. Ainsi dix-huit périssent au carrefour, tandis que seize autres maquisards trouvent la mort en forêt d’Orléans, dans des conditions atroces.

Le maquis est attaqué dans l’après-midi. Les combats font rage de 15h  à  21h. La défense des maquisards est efficace. Les Allemands, sentant leur défaite proche, bombardent alors le garage qui prend feu, avant de se retirer. Vers 23h 00, les Allemands ayant abandonné, les hommes quittent le camp du Ravoir. Le convoi auto parti dès 21h a rejoint Vitry aux Loges. Ceux qui ont évacué à pied ont été divisés en deux groupes puis ramenés à Vitry le 16 au soir.

Mais le bilan de cette triste journée n’était pas encore complet. Dans la soirée, un convoi automobile du maquis se dirige vers Ouzouer-sur-Loire quand il se heurte à un barrage allemand. Les FFI parviennent à forcer le barrage mais cinq d’entre eux sont tués. Les Allemands, mécontents d’avoir laissé passer les maquisards, multiplient les représailles qui font treize morts ou disparus. Ces événements empêchèrent le maquis de Lorris de participer à la libération d’Orléans. Les maquisards qui survécurent continuèrent leur marche et contribuèrent à la libération de Châteauneuf-sur-Loire, avant de rejoindre Orléans libéré, puis de monter sur Paris, afin de participer aux combats pour la libération de la capitale, aux côtés du colonel Marc O’Neill.

Aujourd’hui, au carrefour d’Orléans, rebaptisé après la guerre Carrefour de la Résistance, une stèle commémorative se dresse en hommage aux morts du maquis de Lorris, alors que les maisons forestières incendiées sont restées telles quelles depuis ces événements tragiques. A Lorris un intéressant et très vivant musée inauguré en 1988 relate l’histoire du maquis, en la relaçant dans le contexte plus global de la guerre et de l’Occupation..

Intérêt et limites de l’ouvrage

L’un des premiers intérêts de ce livre est de nous faire revivre les grands événements de cette période  et de tracer les portraits de nombreuses résistantes et résistants locaux. Un autre est d’avoir recueilli des témoignages quand il en était encore temps et de les avoir transcrits, témoignages encore chargés de vie et d’émotion. Et ainsi de permettre de comprendre comment se sont tissés les relations qui ont permis la naissance de groupes locaux, par des affinités diverses, familiales, amicales, professionnelles, politiques etc. On constate concrètement la distance qui existe entre une approche institutionnelle de la Résistance et une approche concrète des réalités locales. Nombre de résistants et de groupes sont affiliés de fait et simultanément à plusieurs mouvements et réseaux, sans même toujours savoir exactement auxquels, de même que les activités d’un même acteur ou d’un même groupe sont de nature diverse. Enfin, au fil des pages et du récit on découvre l’importance de la répression et rôle non négligeable de la trahison et de l’infiltration.

L’ouvrage traite essentiellement des années 1943 et 1944, même s’il est aussi question brièvement de la genèse des groupes locaux de résistance. La première résistance, sujet important dans l’historiographie actuelle n’est pas étudiée. Le sous-titre du livre montre clairement que la période qui voit naître et se développer les maquis est largement privilégiée. C’est d’autant plus compréhensible que c’est cette période, celle des parachutages, des combats et de la répression, qui a le plus marqué la mémoire collective, et celle des contemporains.

Or la source essentielle de l’étude est constituée par les témoignages, qu’ils aient été consignés dans des livres, ou qu’ils aient été recueillis par l’autrice. Très souvent le récit est constitué par le témoignage, qui établit ainsi, de fait, la réalité de ce que fut l’histoire. L’autrice est convaincue que le témoignage établit la vérité, que son auteur ne peut se tromper : « La mémoire est certes faillible et peut altérer la réalité. Mais la puissance traumatique de certains témoignages écarte tout risque de cet ordre. La plupart des acteurs rencontrés rapportent en effet des événements ayant tant bouleversé leur existence que la fiabilité de ces souvenirs ne peut être mise en doute ». Malheureusement ce postulat est erroné. Nombreuses et déjà anciennes sont les études qui ont montré les reconstructions et déformations involontaires de la mémoire. La fiabilité du témoignage doit être mise en cause et confronté aux sources écrites, dans le cadre d’une démarche historique méthodique, qui souvent aboutit à mettre en évidence des questions et des doutes. C’est cette démarche qui a souvent compliqué les relations entre l’historien et le témoin. Plus la distance dans le temps et le témoignage est grande, plus sa fiabilité est problématique. Or la plupart des témoignages qui constituent le récit historique de ce livre ont été recueillis à la fin des années 1990 et dans les années 2000, soit cinq à six décennies après les événements. L’autrice nous dit qu’elle a « écumé » les dépôts d’archives, mais l’inventaire de ses sources montre que nombre d’archives essentielles à une telle histoire, dans les fonds des archives départementales, dans ceux du Service historique de la Défense ou des Archives nationales, n’ont pas été consultées.

Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage, qui s’apparente davantage à une chronique de la Résistance locale qu’à une étude historique de la Résistance, est d’un grand intérêt pour la connaissance de la période et devrait être d’une grande utilité pour tous ceux, enseignants ou élus locaux, qui ont trop souvent beaucoup de mal à interpréter les plaques, les stèles et les monuments commémoratifs qui jalonnent les rues et les chemins du Gâtinais..