Qu’ils portent sur les opérations militaires en Europe de l’Ouest et de l’Est, en Afrique du Nord, en Asie, au Moyen-Orient ou dans le Pacifique, sur les acteurs qui ont influencé le cours de la guerre de par leurs décisions, les forces armées en présence, la Shoah ou la Résistance, les ouvrages consacrés à la Seconde Guerre mondiale sont pléthores. Mais les grandes synthèses sérieuses, rigoureuses et actualisées sur ce sujet sont plus rares ! Olivier WieviorkaProfesseur à l’ENS et membre de l’Institut universitaire de France, Olivier Wieviorka est un spécialiste du second conflit mondial. nous propose ici une somme monumentale (plus de 1000 pages !) qui se veut plurielle et complète dans son approche tout en prenant en compte les recherches les plus récentes des historiens travaillant sur le sujet. Un ouvrage impressionnant et passionnant mettant au grand jour les connexions entre la chronologie, les espaces et les enjeux économique, logistique, militaire, politique, diplomatique ou mémoriel. Bref, une vraie histoire totale du second conflit mondial qui sera l’outil pratique et indispensable de l’enseignant et de l’amateur d’histoire !

Une somme plurielle pour une histoire totale

En s’intéressant à tous les fronts (l’Europe, l’Asie-Pacifique, l’Afrique du Nord ou encore le Moyen-Orient), à l’ensemble des acteurs (militaires et civils) et à tous les domaines (stratégique, idéologique, économique, logistique, diplomatique, mémoriel, …), l’ouvrage permet de saisir ce conflit comme un tout. Si les opérations militaires sont nécessairement et parfaitement détaillées, Olivier Wieviorka n’en oublie pas que le Seconde Guerre mondiale fut aussi une profonde et terrible expérience civile liée à une guerre d’occupation, de répression ou d’exploitation sur l’ensemble des fronts et même d’anéantissement en Europe de l’Est et en Asie. Aussi, pour l’auteur, la mobilisation militaire, les victoires et les défaites nous en apprennent autant sur le talent stratégique de tel ou tel général que sur les performances économiques des Etats engagés ou que sur leur capacité à encadrer ou à manipuler la population !

Cet ouvrage de plus de 1000 pages est ainsi une somme qui ne prétend pas être exhaustive, et notamment du point de vue de l’histoire militaire, mais qui propose de décrire « les connexions liant la pluralité des paramètres » (p.16) qui ont régi la Seconde Guerre mondiale … ce qu’il réussit parfaitement et brillament !

Un travail titanesque qui intègre les travaux les plus récents

Olivier Wieviorka a réussi le pari d’intégrer, pour l’ensemble des domaines étudiés, les multiples acquis issus des recherches les plus récentes. Les nombreuses notes, les sources et la bibliographie de fin d’ouvrage permettent au lecteur de pleinement saisir le progressif mais profond renouvellement historiographique de ces dernières décennies.

Par exemple, en pointant la vulnérabilité de l’industrie allemande et les succès de son adversaire soviétique, les historiens comme Mark Harrison, Paul Kennedy ou Adam Tooze ont renouvelé l’approche économique du conflit. Olivier Wierviorka n’oublie pas les autres économies malmenées et mobilisées durant la guerre et notamment en s’intéressant à l’espace asiatique et particulièrement japonais.

A propos de la Shoah, si les travaux essentiels de Raul Hilberg, Saul Friedländer, Christopher Browning ou plus récemment de Chritian Ingrao ont bien sûr toute leur place dans l’analyse, Olivier Wierviorka s’appuie aussi sur les dernières recherches notamment regroupées dans l’excellente Nouvelle histoire de la Shoah parue en 2021 avec des articles de référence comme ceux de Tal Bruttmann sur la mise en place de la Solution finale, de Audrey Kichelewski sur le rôle des ghettos dans le processus génocidaire, de Marie Moutier-Bitan sur le sauvetage des Juifs dans les territoires soviétiques occupés ou encore de Laurent Joly sur Vichy et la Shoah. De ce dernier, les travaux si importants que représentent L’Etat contre les Juifs. Vichy, les nazis et la persécution antisémite ou La Rafle du Vel d’Hiv. Paris. Juillet 1942 sont bien sûr utilisés.

Dernier exemple, à propos des forces armées et des combattants, soldats et résistants, Olivier Wieviorka s’appuie sur les recherches d’Omer Bartov sur la Wehrmacht, de Jean-Luc Leleu sur la Waffen-SS, de Jean-Louis Margolin sur l’armée japonaise, sans oublier bien sûr ses propres travaux sur la résistance française et plus largement les résistances européennes !

Des mythes déconstruits

Parce que certaines vérités ont encore du mal à s’imposer, « signe que les effets de la propagande, loin de se dissiper au fil du temps, perdurent bien après que les canons se sont tus » (p.17), cette Histoire totale de Seconde Guerre mondiale, par son sérieux et son érudition, réussit à lutter contre des légendes encore tenaces, tâche déjà entamée dans les livres co-dirigés avec Jean Lopez à propos des mythes de la Seconde Guerre Mondiale (tome 1 et tome 2). Ainsi, le prétendu hiver précoce n’explique pas l’échec de la Wehrmacht devant Moscou en 1941, Pearl Harbor n’a pas été une victoire éclatante du Japon, l’intervention allemande en Grèce de 1941 n’a pas véritablement handicapé l’opération Barbarossa, si les plages de Normandie et Stalingrad ont été les lieux de terribles combats c’est davantage dans les steppes de Russie que le Reich a perdu la guerre, …

L’ouvrage d’Olivier Wieviorka, en s’appuyant ici aussi sur les travaux de Jean Lopez, met en lumière l’ensemble des actions de la Wehrmacht bien loin du mythe d’une armée aux mains plus propres que la terrible SS. A l’Ouest, la Wehrmacht commet des crimes, à l’Est, elle participe à l’assassinat de masse des Juifs d’Europe.

Bien sûr, si le conflit fut moderne (bombe atomique, V1 et V2, …), Olivier Wieviorka rappelle que des formes anciennes ont subsisté : les sièges de villes comme Leningrad, Odessa ou Bastogne, les baïonnettes et les combats au corps à  corps furent utilisés dans les îles du Pacifique comme dans le bocage normand. Il parle ainsi d’une « modernité de la guerre s’accompagna parfois d’une démodernisation des fronts » (p.890).

En connectant les aspects militaire, logistique et économique, Olivier Wieviorka souligne que Hitler n’a jamais été en mesure de gagner la guerre tant les ressources humaines, industrielles, minières, énergétiques, alimentaires déjà limitées ont été en plus mal gérées ! Si les batailles homériques furent nombreuses (Midway, Stalingrad, Koursk, ou Okinawa), aucune ne fut décisive. C’est grâce au déploiement de moyens considérables que la victoire fut finalement obtenue. La capacité à disposer d’un puissant outil militaire et à acheminer en temps et en heure hommes et matériels pesa plus que le simple nombre de soldats ! Le poids du nombre eu toute son importance à l’échelle macroscopique, mais le propos est à nuancer à une échelle plus fine, c’est-à-dire au niveau des théâtres d’opérations au travers des exemples des victoires de Rommel en Afrique du Nord ou de la bataille de Midway. Ce qui fait dire à Olivier Wieviorka que « à l’échelle globale de la guerre, l’algèbre des nombres finit par imposer sa loi ; à l’échelle des fronts ou des batailles, le talent des généraux, la chance et les hasards pesèrent lourd » (p.892). Pour l’auteur, le Japon et l’Allemagne (sans même parler de l’Italie) avaient donc d’emblée perdu la partie. Les puissances de l’Axe furent dépassées par les arsenaux américain, britannique et soviétique et furent pénalisées par le mépris affiché de certains stratèges quant aux aspects logistiques.

Enfin, pour l’historien, il ne faut pas opposer de manière trop hâtive la rationalité des dirigeants démocrates à la folie irréfléchie des dictateurs. Certes Adolf Hitler et Staline ont pu multiplier les contre-offensives coûteuses et inutiles mais Churchill comme Roosevelt commirent eux aussi des « erreurs ». Par exemple, le premier ministre britannique a pu mésestimer le risque de guerre en Asie, privilégier l’Egypte au détriment du Moyen-Orient et s’arc-bouter sur sa stratégie méditerranéenne !

En s’appuyant sur les recherches les plus récentes, Olivier Wieviorka réussit donc à relever le défi de présenter à la fois les temporalités et les espaces de la guerre, d’analyser les différents et multiples enjeux du conflit tout en nous proposant de déconstruire certains mythes. A propos des opérations militaires, Koursk, Bagration ou Ichi-Go sont « réhabilitées » alors que l’importance de Stalingrad, Midway ou Overlord est davantage nuancée. Mais l’ouvrage ne se limite pas aux seuls aspects militaires. Cette Histoire totale de la Seconde Guerre mondiale souligne combien l’économie, la politique, l’idéologie, ou la diplomatie jouèrent un rôle essentiel. Partout, la radicalisation de ces enjeux poussa les belligérants à se battre jusqu’au bout, au prix d’un terrible bilan humain. C’est à la fois les combats, l’antisémitisme nazi, l’impérialisme racialiste nippon ou les bombardements des villes qui furent à l’origine des 60 à 70 millions de victimes. Une somme indispensable qui permet d’embrasser et de comprendre le second conflit mondial dans sa globalité.

Pour les Clionautes, Armand BRUTHIAUX

 

Vidéo de présentation de l’ouvrage :