« Et si la meilleure façon de raconter l’histoire du monde, c’était de commencer par sa géographie ?

En mobilisant la géologie, l’anthropologie, la climatologie, la démographie, la génétique ou encore l’économie, Christian Grataloup dessine dans ce livre lumineux et pionnier une autre histoire des sociétés humaines. En confrontant toutes ces disciplines à nos connaissances historiques, il raconte pourquoi et comment les civilisations sont apparues sur la Terre, se sont développées ou ont parfois disparu. Une histoire qui est aussi humaine qu’environnementale. Une histoire globale. Une géohistoire. 4e de couverture.»

Plaidoyer pour la « Géohistoire »

Une notion qui a fait son chemin chez les enseignants d’histoire et de géographie

Les professeurs d’histoire-géographie de l’enseignement secondaire français savent qu’ils enseignent un couple disciplinaire unique au monde Cf. Les cafés géographiques, 24-04-2013. .

Cette « exception française » est plutôt une aubaine pour l’auteur, qui reprenant à son compte depuis quelques 3 décennies l’expression forgée par Fernand BraudelLe mot apparaît pour la 1ère fois lors d’une conférence donnée en 1941 à l’Oflag de Mayence par l’officier français prisonnier de guerre et qu’il écrira en 1949 dans sa thèse La Méditerranée et le monde méditerranéen au temps de Philippe II. se réjouit avec un sourire malicieux « qu’on ne puisse faire de la géographie sans le temps et de l’histoire sans l’espace ».

Mettre « géo » ( même encore en abrégé) devant histoire permet un rééquilibrage judicieux qui ne pourra qu’être bénéfique à une profession dont 1 seul étudiant sur 10 s’y destinant se sera d’abord formé en tant que géographe. D’ailleurs, l’auteur nous y invite : « Je suis devenu géographe pour faire l’histoire que je voulais » Dans « Idées » RFI. Entretien avec Pierre-Édouard Deldique le 17-12-2023. .

Les rédacteurs de la Cliothèque avaient rendu compte des ouvrages antérieurs de Christian Grataloup sur la géohistoire,  qui étaient plus destinés à la formation des étudiants et enseignants d’histoire-géographie :

Géohistoire de la mondialisation (A. Colin, Collection U, 2007), par Catherine Didier-Fèvre

Introduction à la géohistoire (A. Colin, coll. « Cursus », fév. 2015 ), par Frédéric Stévenot

Géohistoire de la mondialisation (A. Colin, 2e ed., 2016 ) par Antoine Baronnet

Géohistoire de la mondialisation (A. Colin, 3e éd., 2023), par Michel Bruneau

La géohistoire, c’est aussi pour le grand public

Cette fois, après ses 3 atlas aux Arènes qui ont connu un grand succès éditorial, Christian Grataloup a souhaité avec ce nouvel ouvrage se mettre à jour et s’adresser à un large public : « Les problématiques ont changé et il manque dans l’ouvrage de 2007, qui était destiné à des étudiants, une dimension environnementale. Ce nouveau livre fait suite à l’Atlas historique de la Terre. C’est un ouvrage pour le grand public, même s’il est sérieux. Je crois qu’aujourd’hui une partie du grand public éprouve le besoin d’une mise en perspective de notre présent et de notre avenir, d’une compréhension de la façon dont notre espèce s’est appropriée la planète. »

C’est donc avec ce fil rouge que l’auteur avait été convié aux Rendez-Vous de l’Histoire de Blois par Héloïse Kolebka, rédactrice en chef de la revue « L’Histoire » à présenter son ouvrage et à dialoguer avec le journaliste scientifique spécialiste d’histoire environnementale, Laurent Testot et son Vortex. Faire face à l’Anthropocène https://www.clionautes.org/80-milliards-de-sapiens-sur-1-seule-terre.html.

De la géographie historique de Braudel à la géohistoire actuelle

Le géohistorien et enseignant Vincent Capdepuy qui a récemment publié Le monde ou rien retrace ici l’historique de la notion de géohistoire et l’évolution de son lien principal, originellement avec l’histoire à celui de la géographie, grâce aux travaux pionniers de Christian Grataloup.

Car la géographie peut avec la géohistoire traiter d’égale à égale avec l’histoire. L’auteur le déclare d’entrée : ce livre se donne pour objectif d’ « éclairer ce que l’histoire des sociétés doit à leur espace » (p.7). 

« Géohistoire », une somme

Re-cartographier le monde

En lisant la table des matières, les historiens pourront toutefois se rassurer en y discernant un plan chronologique, en gros de « Homo » à la Terre actuelle des humains.

Mais la promesse est tenue. L’espace est partout, avec des mots nouveaux qui remplacent les anciens, pays développés / en développement, Nord / Sud trop liés à une histoire eurocentrique. Car l’auteur se place résolument dans le sillage de l’Histoire mondiale de la France dirigé par Patrick Boucheron C’est d’ailleurs Patrick Boucheron qui a écrit l’introduction à L’Atlas historique mondial. .

Or, la déconstruction était déjà à l’œuvre avec un autre livre, L’invention des continents, qui avait fait date. Les noms donnés aux fils de Noé, partis vers l’Est, l’Ouest et le Sud de l’okumène antique deviennent l’Eufrasie, tandis que son Axe connecte les mondes de l’Ancien Monde (carte p. 28-29), et ce, depuis des millénaires…

L’Ancien Monde connecté

Le « bouclage du monde »

La gestation de Géohistoire est liée à la mondialisation, objet majeur de la géographie scolaire.  L’auteur se livre à un récit passionnant de la mise en relation des parties du monde par les échanges. Il identifie ainsi plusieurs étapes dans le « bouclage du monde » d’avant la mondialisation, des grandes migrations néolithiques au basculement atlantique de l’époque moderne.

Éloge des cartes

Un mot personnel au passage sur l’éblouissement que constitue cet énorme corpus de cartes, claires et originales des trois Atlas et de cet ouvrage. Le jeune cartographe que fut l’auteur a forcément connu à ses débuts l’angoisse de la tache ! La façon dont la cartographie a évolué techniquement est fascinante. Il faut dire que si la réalisation s’est simplifiée avec les outils numériques, la demande de compréhension de ce qui fait à la fois l’unité et les différentiations spatiales des parties du monde s’est considérablement accrue dans un large public.

L’histoire comme contingence

« Toute l’histoire des humains sur la Terre, dit Christian Grataloup, est affaire de pure contingence, et le monde tel que nous le connaissons, avec ses empires économiques, ses inégalités sociales, ses cultes et ses totems, eût pu prendre mille autres formes, jusque dans le génome qui nous compose et nous caractérise. Elle est un bon antidote au finalisme d’une histoire qui s’est crue universelle et n’était qu’eurocentrique. Entretien avec François Chazal, Les Échos, Idées-Débats, 11 décembre 2023. »

Les petits hasards qui font la grande histoire

Histoire de chas

Il arrive parfois que dans l’histoire des hommes, de menues inventions, telle celle de l’aiguille, déterminent la dispersion des peuplements sur la planète. Pour franchir les isthmes les plus septentrionaux, Sapiens, parti de son berceau africain, eut besoin de vêtements ajustés au corps, faits de couches de peaux et de fibres végétales cousues entre elles. L’auteur en conclut que « Sans l’aiguille à chas, l’Amérique n’aurait pas été peuplée par des humains et Colomb aurait abordé un nouveau monde vierge. » L’Histoire tint à un fil Idem.

Son invention en pleine période glaciaire nous a permis d’avoir des vêtements ajustés avec des tendons d’animal. Ötzi avait des vêtements de 5 animaux différents et les futurs Amérindiens, bien habillés et au chaud, ont pu ainsi traverser à sec le détroit de Béring. 

Que retenir d’un tel livre ?

Il faut un début à tout : le point de départ, c’est que les humains soient partout et dans tous les milieux – ce qui laisse une belle place à la géographie !  

Au passage, Si Christian Grataloup est fidèle au FiG de Saint-Dié-des-Vosges – magnifique exemple de lieu de géohistoire Rappel : c’est en 1507 à Saint-Dié que le cartographe Waldseemüller, membre d’une équipe de savants autour du chanoine Vautrin-Lud, a écrit sur une mappemonde attestant la présence du continent découvert par Colomb le nom d’America. – il ne craint pas de faire des apparitions remarquées dans le fief des historiens à Blois…

Les humains sont partout…

Les humains se séparent des singes il y a 7 millions d’années, puis des Australopithèques, il y a 2 millions d’années. Or ce sont ceux-là qui se diffusent sur la terre. L’Australie c’est 60 000 ans, l’Amérique 35-40 000 ans (Carte p. 2-3). 

Out of Africa

Dès que nos ancêtres évoluent en tant qu’espèce  « homo » avec une station droite, des jambes solides, et une grosse tête, ils sortent de la savane arborée, leur milieu d’origine et s’aventurent en faisant preuve d’une grande mobilité et d’une très grande sociabilité, afin que leurs petits – de grands prématurés, c’est la rançon des hanches droites – puissent survivre. 

 

Sapiens s’adapte à tous les milieux

 

Parce qu’il a su s’adapter à des milieux très différents, bien que sortant d’un milieu originel chaud, Homo a su s’habiller, faire du feu, s’abriter y compris dans des régions polaires ou de haute montagne. Adaptation et disparition sont le lot de l’évolution environnementale. Les humains y ont répondu comme Cro-Magnon en Dordogne, avec un climat nettement plus froid qu’aujourd’hui. 

Tour de Babel

Puis, ces petits groupes se sont disséminés tout en se différenciant fortement. En s’éloignant, ils se dispersent et se différencient, non pas biologiquement – quelques centaines de milliers d’années comptent peu – mais socialement et linguistiquement. Pour faire société, il a fallu un langage commun au groupe. Deux groupes qui s’éloignent finissent pas ne plus se comprendre avec les années. Au XVe avant la Grande Connexion, il y a plus de 17000 langues. Aujourd’hui, il en reste 5000. 

Enfin, ces sociétés fractionnées sont entrées en interaction, produisant des processus historiques plus ou moins importants…

Bilan :  UNE seule humanité (Sapiens s’est métissé avec les autres « homo » disparus) et DES sociétés, qui  se différencient, se recontactent et se métissent (Carte « Diffusion et métissage de Sapiens » p. 2-3). 

… avec un essor démographique exponentiel

Il y a 12 000 ans, on est 2-3 millions sur la Terre. En 10 000 ans, on passe à 100 millions, la révolution néolithique est passée par là. Autour de 1770, après une période d’essor pondéré par des crises on est à 800 millions quand s’amorce la transition démographique, pour arriver en 2022 à 8 milliards d’humains. 

Avec la même espèce humaine

L’unité de l’espèce est prouvée par l’interfécondité. Cf La controverse de Valladolid » ; les Européens et les Indiennes eurent des enfants viables contrairement à ce que soutenait Sepúlveda pour qui les Amérindiens ne pouvaient descendre des 3 fils de Noé partis peupler les 3 continents. 

Une seule humanité et une multiplicité de cultures, ce qui exclu scientifiquement le racisme biologique mais n’en empêche nullement la croyance…

80 milliards

Si on fait la somme de tous les humains qui ont vécu sur cette Terre, ¼ y auront vécu au XXIe siècle. Pierre Chaunu se posait la question du nombre d’humains pour le Jugement Dernier. En 2100, 80 milliards d’humains…

L’Axe de l’Ancien monde, matrice millénaire de la mondialisation

La principale nouveauté par rapport aux 3 Atlas est ce que Christian Grataloup appelle « L’Axe de l’Eufrasie » (cf. Carte ci-dessus de l’atlas p. 28-29)

L’Axe de l’Euphrasie

Voilà une notion de géographie qui rend mieux compte de l’histoire humaine depuis des millénaires, que cet axe de sociétés denses qui va de la Méditerranée (Afrique du nord comprise) jusqu’aux mers de Chine (excepté la Sibérie, peu habitée). Cette bande horizontale assez étroite passe par les moussons de l’Océan Indien, grâce auxquelles les circulations sont aisées : Homo le traverse, voile vers l’Est en été, voile vers l’Ouest en hiver. On y trouve toujours d’ailleurs comme avant 75% de l’humanité et les connexions maximales. Dès l’antiquité, les cerisiers sont en Méditerranée et le blé en mer de Chine. D’autres interconnexions se font pour le pire (voies d’invasion mongoles et même bassin épidémiologique avec la peste au XIIIe, tuant au moins ⅓ des populations). 

Connexions et différences culturelles

L’Himalaya est la seule véritable barrière géographique de l’Axe. Ainsi pour les écritures : alphabet à l’ouest, idéogrammes à l’est. Mais la route de la soie passait par ses cols. Elle n’a pas non plus empêché le bouddhisme né en Inde de se répandre dans toute l’Asie de l’Est (carte p. 32-33). 

De l’histoire des possibles

Et si ?

Et si ? C’est de l’histoire expérimentale que l’on essaie de pousser le plus loin possible. Autrefois (il y a 10 ans) faire une histoire contrefactuelle eût été un péché pour l’historien, comme l’anachronisme. Or ce qui est passionnant à lire dans ce livre, ce sont ces récits consacrés aux autres possibles. On pense à ce qui aurait pu se passer si l’amiral chinois Zheng He avait contourné le cap de Bonne Espérance pour arriver à Lisbonne cinquante ans  avant que le portugais Vasco de Gama ne « découvre » l’Asie… 

Et si le lama avait été une vache ?

Il y a 2 cartes dans l’atlas, concernant l’histoire des domestications des végétaux (p. 14-15) et des animaux (p. 16-17), avec des conséquences sur l’histoire des hommes. Dans l’Ancien monde on a domestiqué à la fois des plantes et de grands animaux. Dans le Nouveau monde on a domestiqué des plantes importantes mais pas de grand mammifère. Soit ils n’étaient pas domesticables. Soit les sociétés n’ont pas essayé de le faire. Or cette différence va jouer un grand rôle dans la main mise de l’Europe sur l’Amérique. La maitrise des animaux, par exemple le cheval, a modifié le processus historique. 

Des dogmes égratignés

À l’instar de ces atlas centrés sur le Pôle Nord qui nous obligent à décentrer notre regard et celui de nos élèves, l’auteur nous invite à nous défaire de quelques dogmes historiques.

Révolution néolithique, oui, mais pas partout !

Ainsi celui de la révolution du néolithique, présentée un peu rapidement comme le passage du nomadisme à la sédentarité. Car une situation postglaciaire s’était déjà produite au moins une autre fois il y a 120 000 ans. Sapiens était déjà là mais on n’a pas de trace archéologique qui donne du néolithique. Ce qui infirme la thèse de Noah Harari dans Sapiens, qui considère l’émergence des sociétés sédentaires comme un mouvement général lié à une révolution cognitive.

Les chasseurs – cueilleurs de la civilisation Jōmon qui rayonna sur le nord du Japon de – 16500 à – 2400 avant notre ère, chassaient avec des chiens, pêchaient des coquillages, tout en se livrant à une poterie sophistiquée. Ils étaient sédentaires sans être agriculteurs, et ont fait de la sylviculture en privilégiant des espèces nourricières et en éliminant d’autres jugées moins utiles. Ils transformaient donc déjà comme d’autres peuples appelés « premiers » des forêts qu’on considérait encore il y a peu comme « vierges » ou « primaires ».

C’était également le cas de l’Amazonie qui était « cultivée » en tant que forêt, le cacao, le manioc, le piment y sont originaires. Ces nouvelles compréhensions sont dues aux progrès de l’archéologie des sols.

Le grand basculement du XVIe siècle

La vraie découverte de l’Amérique, c’est il y a 30 000 ans, quand elle est peuplée via la Béringie (carte p. 12-13). 

Pourquoi l’Europe s’est-elle intéressée à l’Amérique et non l’inverse ?

Il était inévitable que l’Axe où se trouvaient l’essentiel des connexions et des populations aillent vers les mondes plus isolés (Amérique, Australie, Polynésie, Afrique subsaharienne) pour les reconnecter par des « découvertes ». Ça a failli être les Chinois. Les 7 grands voyages de Zheng He avec 30 000 hommes de l’Insulinde à la Mecque – Zheng He est musulman – et jusqu’au canal du Mozambique. Colomb, 50 ans plus tard, c’est 105 marins. Le coup d’arrêt après la mort de Zheng He, lié vraisemblablement à la priorité donnée à la menace mongole au nord, a probablement empêché les jonques chinoises de contourner l’Afrique et d’arriver à Lisbonne ou Londres. Poussées par les alizés, elles auraient pu atteindre l’Amérique, ce qui aurait donné une toute autre histoire…(carte p. 36-37)

La clé : les épices

Si on remplace le terme inexact de « Grandes Découvertes » par celui de « Grandes Connexions », on comprend mieux comme dans tout contact devenu pérenne, c’est le 2nd voyage qui est important, comme les Portugais avec les iles aux épices. Les Européens étaient déjà allés jusqu’à Madère et aux Açores parce qu’elles pouvaient être des « iles à sucre ». Le sucre était considéré comme la 1ère des épices que l’Europe, tempérée et froide une partie de l’année, ne pouvait cultiver, à la différence des empires ottomans, indiens ou chinois. Colomb ne peut faire accepter son 2nd voyage qu’à condition de ramener de l’or… et des épices. 

Il faut avoir également en tête que partout dans l’Axe  on a convenu d’échanger des biens contre des métaux plus ou moins précieux. Or les Amérindiens utilisent abondamment l’or et l’argent mais n’en font pas leur base monétaire. Ils ont des coquillages, des plumes rares, etc. 

L’échange microbes / nourriture

L’Europe apporte bien plus de maladies que d’hommes – Zheng He aurait fait pareil – de tout l’ancien monde. Sur 50 millions d’Amérindiens en Amérique latine, 90% disparaissent de 1530 à 1700. Sans cette catastrophe démographique quasi sans équivalent On sait depuis les travaux et le livre de Christophe Sand  Hécatombe océanienne- Histoire de la dépopulation du Pacifique et ses conséquences (XVIe-XXe siècle) que l’Océanie a connu le même destin funeste., l’Europe n’aurait pu s’emparer de l’Amérique. 

D’après Braudel, on sait que l’Europe n’a jamais été unifiée, les petits se liguant contre les candidats potentiels à l’imperium, contrairement aux mondes chinois, iranien, russe, indien du nord, ou turc qui créèrent des empires durables devant se prémunir contre les mondes des steppes. Quand l’empereur de Chine arrête les expéditions, tout s’arrête. Quand Colomb essuie le refus portugais, il va voir les rois catholiques. D’où ce qu’on a appelé « la course au drapeau » dès le 17e qui créa une très forte dynamique de conquête puis de colonisation européennes. 

La vision eurocentrique du monde

Autre tournant majeur, la révolution industrielle qui accélère l’occidentalisation du monde. Et la transition démographique qui commence en Europe à la fin du XVIIIe. 

« L’Europe s’est offerte le monde Frédéric Taddeï, entretien avec l’auteur sur Europe 1, le 05-11-2023.» . Les Européens étaient le quart de la population mondiale à la fin du XVIIIe et 60 à 80 millions ont émigré en plus d’un siècle. Il y a une européanisation du monde qui se superpose à la carte de la colonisation. Ainsi, la carte des langues dans la partie atlas montre que les langues européennes s’installent partout. Une période qui ne dure quand même que 4-5 siècles, dont l’apogée a duré quelques décennies entre la fin du XVIIIe et le début du XXe, et qui se termine. On assiste d’ailleurs au retour du bâton…

Il y un « roman continental « que les Européens se sont racontés, parce qu’ils étaient les plus forts.

D’autres chemins pour l’humanité auraient été possibles

Ceux qu’on nomme « peuples premiers » furent laminés démographiquement en Amérique et en Océanie, faute de brassage microbien. Une des cartes retenues pour l’atlas est celle sur les peuples autochtones du XXIe siècle, proposée par Laurent Testot. Il y avait par exemple plus de 500 langues chez les Aborigènes, dont la plupart ont disparu. Ces sociétés nous rappellent qu’il ne faut pas oublier l’héritage commun des humains et que l’on a longtemps nié ou fait disparaître (Carte p26-27). Songeons que les Polynésiens ont été les plus grand navigateurs de l’histoire avec embarcations et cartographie spécifiques. Auraient-ils pu continuer ailleurs ? Leurs fabuleuse expansion ne se comprenait probablement que dans un milieu océanique et ses îles. 

Axe et Périphéries

Ce furent en conséquence les sociétés les moins connectées à l’Axe qui le subirent à leur détriment : l’Océanie « blanche », le continent américain, la Polynésie et une partie de l’Afrique subsaharienne.  

La question des droits inhérents à ces peuples est plus compliquée. Étaient-ils premiers sur leur milieu ? Incontestablement les Aborigènes, Māori, Kanaks, peuples premiers du Canada le sont. Mais en Malaisie, les Malais et les Polynésiens (venus par le détroit de Taïwan) peuvent y prétendre. Et les métissages rendent la notion floue. 

Des développements différents

L’Amérique du XVe était très différente de nos représentation encore récente, il y a 10 ans. Ainsi Les Mount Builders d’Amérique du Nord comme les Nachez, des sociétés qui purent également passer des villes à l’activité nomade. Ou l’empire Commanche qui connut une transformation socio-économique due à la domestication et l’utilisation des chevaux sauvages introduits par les Européens, puis une expansion remarquable Carte p. 382-3 de l’Atlas historique mondial.

Les Natchez  Gilles Havard Taillandier/Flammarion, 2024, 608 p., 26,90 €

La mondialisation : faire monde ?

Notre monde est totalement interdépendant. L’Egypte, le grenier à blé de l’empire romain (certes avec 2 millions d’habitants essentiellement dans les zones irrigables) ne se nourrit pas aujourd’hui. Les problèmes à l’échelle mondiale sont légions. Mais nous restons toujours des sociétés, Etats, nations, qui peinent à rendre compte de sociétés différentes. D’où également nos difficultés à organiser une gouvernance pour gérer la biosphère dont nous n’occupons qu’une mince pellicule, entre -200 m dans la mer à 8000 m au sommet des plus hautes montagnes.

Un immense défi est devant nous…

Notre biosphère, notre défi

L’équilibre naturel de la biosphère en danger
Le carbone (p. 54-5)

Le livre s’achève sur le processus géohistorique à l’œuvre, l’ère du carbone fossile, le plus inquiétant pour notre avenir. Qu’il s’agissant de l’extraction des métaux utilisés dès le néolithique ou de l’équilibre atmosphérique créé par le vivant entre le dioxyde de carbone, l’azote, l’oxygène et l’ozone, notre biosphère est soumise à l’énorme pression de 8 milliards d’humains. Sols, forêts et mers sont eux aussi en grande tension comme ressources encore trop considérées comme inépuisables. Quant à leur capacité à absorber le carbone, il est établi scientifiquement qu’ils n’en ont plus la capacité. Le retour de la guerre à nos portes et la menace atomique nous rappelle que la 6e extinction est possible, et plus rapidement que celle promise par l’emballement climatique.

Car même si le pire n’est jamais sûr et que l’adaptation a toujours été le maître-mot de notre espèce, la continuité d’une autre histoire des humains sur la Terre, c’est aujourd’hui la possibilité de leur disparition – eux qui ne pèsent qu’une infime partie de la biomasse vivante sur la planète – qui est envisagée, et non celle de la Terre elle-même.

Plaidoyer n°2…

– « Aujourd’hui, on veut ramener l’enseignement de l’histoire à celle des grands hommes et aux récits nationaux.

Il y a-t-il encore de la place en classe pour la géohistoire ? »

– « Le terme apparaît de plus en plus dans les programmes et les manuels. Beaucoup d’enseignants s’y référent. Certains me l’ont dit aux Rendez vous de l’histoire de Blois il y a quelques jours. Une université (Evry) crée un poste de maître de conférences fléché en géohistoire. Donc la situation n’est pas si mauvaise que cela.

Mais il y a bien une demande chez des politiques et dans une partie de la société pour un retour aux romans nationaux. Je m’étais positionné sur ce sujet dans “L’Atlas historique de la France”. Il est important d’apporter des réponses aux demandes de compréhension du monde dans lequel on s’insère et de la planète sur laquelle on vit. C’est à quoi essaie de répondre la géohistoire. »

(Christian Grataloup, entretien avec François Jarraud du Café Pédagogique, le 11 octobre 2023)