Les biographies des personnages importants du Premier Empire sont légion, celles s’intéressant à des carrières plus obscures le sont moins. L’ouvrage de Natalia Griffon de Pleineville s’inscrit dans la seconde catégorie. L’auteure, d’origine russe, et rédactrice dans de nombreux magazines consacrés au Premier Empire, utilise les recherches menées pour l’obtention de son DEA consacré au général Gazan.
Certes, on a ici la biographie d’un militaire haut-gradé, chose fréquente quand il s’agit d’écrire sur un des acteurs de la période impériale, mais le choix de Natalia Griffon de Pleineville porte sur un de ses généraux restés largement obscurs et non sur les prestigieux maréchaux. A travers la longue carrière militaire du général Gazan, on va découvrir des campagnes moins connues comme celles de Suisse ou d’Espagne et l’importance des relations qui existent entre officiers.

De l’Ancien Régime aux armées du Rhin et d’Italie.La biographie du général Gazan montre ses origines familiales, un milieu relativement favorisé de la ville de Grasse, son père Joseph Gazan est subdélégué de l’intendant. Ses origines lui permettent d’intégrer le collège militaire de Sorèze, une des dix écoles chargées alors de former les futurs officiers de l’armée royale. A sa sortie du collège, Gazan reçoit une affectation dans une unité prestigieuse. La compagnie écossaise des gardes du corps de la Maison du Roi. Parallèlement à ses activités au sein de cette unité, Gazan intègre la franc-maçonnerie qu’il ne quittera plus ensuite. Ses opinions politiques penchent du côté révolutionnaire et lui valurent plus tard de nombreux certificats de civisme.
En 1789, bien que faisant toujours officiellement partie de la Maison du Roi, Gazan intègre la garde nationale de Grasse en tant qu’officier. Et c’est comme représentant de celle-ci qu’il participe à la fête de la fédération le 14 juillet 1790. C’est donc tout naturellement qu’il devient commandant en second du 2° bataillon de volontaires du Var où il côtoie un temps le futur maréchal Masséna avant de rejoindre le 27° de ligne comme commandant de compagnie.
Dés lors son parcours va nous amener sur les nombreux théâtres d’opération où la jeune république française affronte les forces de l’Europe coalisée. Gazan va servir sur le Rhin de 1792 à 1799. Son courage et ses aptitudes lui permirent de monter en grade : chef de bataillon, puis chef de brigade en 1794. Les rapports d’inspection pointent cependant parfois des lacunes matérielles dans le logement ou l’équipement de ses unités. Il croise également le parcours de certains de ceux qu’il devait être amené à retrouver sous l’Empire, notamment le niçois Masséna qui l’appelle auprès de lui en 1799 et le fait nommer général de brigade. Il prend part à la victoire de Masséna sur les Russes à Zurich. Et c’est en Suisse qu’il est nommé général de division avant de suivre Masséna en Italie. Il fait partie des défenseurs de Gênes lors du terrible siège de 1800. Néanmoins, lors de ses nombreuses campagnes, le parcours de Gazan ne croise pas celui de Napoléon Bonaparte, ni ceux des intimes du futur empereur.Au service de l’Empire.En 1805, Gazan reçoit le commandement de la 2° division du 5° corps du maréchal Lannes. Il prend part au mouvement qui mène la Grande armée en Autriche aboutissant à la capitulation autrichienne d’Ulm. Mais c’est après celle-ci qu’il va s’illustrer, sa division est momentanément détachée au corps du maréchal Mortier. Elle fait donc partie des rares troupes à marcher sur la rive gauche du Danube. Les Russes vont alors effectuer un retour offensif en espérant détruire les forces françaises isolées sur cette même rive. La résistance de la division Gazan à Durrenstein face aux forces de Koutouzov permet de tenir les Russe en échec. Mais elle y perd près de 3000 hommes, ce qui l’oblige à prendre du repos à Vienne et elle ne participe pas à la bataille d’Austerlitz. En 1806, sa division fait partie du corps du maréchal Lannes et combat à Iena, puis en 1807 à Pultusk et Ostrolenka.
Mais c’est en Espagne que le général Gazan va passer le reste de sa carrière militaire, il est donc absent des principaux théâtres d’opération qui font la renommée de la Grande Armée (Autriche, Russie, Allemagne). En 1808, sa division prend part au siège de Saragosse et aux opérations à la frontière portugaise. En 1810, c’est l’Andalousie dans l’Armée du Lidi du maréchal Soult. Gazan est nommé chef d’état-major de celui-ci. Le récit des opérations en Espagne permet de découvrir la réalité d’une guerre face à un ennemi espagnol insaisissable, souvent battu lors des batailles rangées, mais qui ne renonce pas. Et des Anglais qui, lorsqu’ils interviennent, prennent par contre régulièrement le dessus sur les généraux français qui leur sont opposés. Gazan, malgré un évident courage personnel, ne semble pas à son aise dans ce genre d’opérations. Par contre, comme de nombreux officiers français, il mène un grand train de vie à Séville et c’est avec regret et force bagages qu’il quitte la ville lorsque les Français l’évacuent en 1812.
Le départ du maréchal Soult en 1813 propulse Gazan à la tête d’une Armée du Midi fortement affaiblie par les besoins de la campagne d’Allemagne. Comme le reste des forces françaises, celle-ci doit se replier vers le nord de la péninsule en cas d’offensive anglais. Mais Gazan expose ses troupes car il fait preuve de peu d’activité dans la recherche des mouvements anglais. Une négligence que l’on retrouve dans son comportement lors du désastre de Vitoria, dans lequel il prend un part de responsabilité importante. Les armées françaises en Espagne y sont écrasées, perdant leur artillerie et de nombreux bagages (dont Mme Gazan capturée avec ses enfants…), la retraite tournant ensuite à la déroute. Le retour de Soult en juillet 1813 renvoie Gazan à son rôle de chef d’Etat-major jusqu’à la fin des opérations.

Un notable sous la monarchie.

La carrière militaire de Gazan prend réellement fin en 1814. Lors de la Première Restauration, le général fatigué par les campagnes semble surtout soucieux de garder ses avantages acquis et de se voir confirmer son titre de noblesse. Le retour de l’Empereur le surprend dans sa propriété de Grasse. Gazan évite toute compromission avant que l’Empereur ne soit à Paris. Il est cependant nommé pair de France et reprend du service pour défendre la Somme. Ce qui n’empêche pas Gazan de revenir à Paris après Waterloo et d’être associée aux discussions sur le sort de la capitale. Gazan est membre du conseil de guerre qui se déclare incompétent pour juger le maréchal Ney. Il est ensuite mis à l’écart ; mais cela ne semble pas affecter ses affaires financières, il apparaît comme un des plus gros contribuables du département.
Comme d’autres anciens de l’époque impériale, l’arrivée au pouvoir de Louis-Philippe marque un retour en grâce. Le général Gazan, nommé pair de France reçoit le commandement de la 8° division militaire de Marseille. Son ancien camarade Soult, ministre de la guerre, semble ne pas l’avoir oublié. Mis à la retraite en 1832, il siège cependant régulièrement à la Chambre des pairs jusqu’à sa mort en 1845.

Un officier typique mais pas un modèle d’officier?

Avec Gazan, on a le portrait d’un officier général mais aussi celui du mode de fonctionnement de l’armée impériale. A plusieurs reprises on assiste à des rivalités entre généraux pour récupérer munitions, vivres ou tout simplement place et honneurs. La question du ravitaillement des troupes se pose encore plus en Pologne en 1806/1807 où Gazan n’hésite pas à couvrir des extorsions de fonds ou de nourriture par ses troupes au point de s’attirer des réprimandes. Les opérations en Espagne font ressortir toutes ces difficultés et, jointes aux rancœurs personnelles, compliquent les opérations.
Le général Gazan se distingue aussi par son caractère. S’il est courageux, il n’hésite pas par contre à traîner des pieds quand les ordres ne lui conviennent pas. On le voit en mars 1807 en Pologne où après 3 jours de correspondance infructueuse entre Berthier et Gazan, il faut l’intervention de Masséna pour que Gazan se décide à obéir. Les mêmes problèmes ressurgissent lorsqu’à la tête de l’armée du Midi, il interprète à sa manière les ordres de Joseph et de Jourdan. Le général semble par contre prendre plaisir à s’occuper des échanges de prisonniers, qu’il reçoit à son quartier-général tout en correspondant avec Wellington.
La constitution de réseaux de clientèle apparaît clairement. Gazan garde autour de lui des aides de camp (en particulier Arnaud) pour lesquels il réclame avancement et décorations. De la même manière qu’il sollicite fréquemment ses supérieurs, notamment Masséna ou Soult, pour son propre compte. Gazan ne perd jamais de vue son intérêt financier, et il se fait scrupuleusement rembourser ses pertes. Ses courriers montre son désir d’avoir une situation financière …

Dans cette biographie équilibrée d’un personnage secondaire de l’Empire, Natalia Griffon de Pleineville évite de tomber dans l’hagiographie. La détermination et le courage de Gazan apparaissent tout autant que ses défauts, tant militaires (chef d’armée désastreux) que personnels : intéressé, le général est aussi un ami fidèle et un mari peu regardant sur le comportement de son épouse. L’ouvrage comprend également des illustrations et photographies. On peut cependant regretter l’absence de cartes lisibles pour suivre le déroulement des opérations.

Compte-rendu de François Trébosc, professeur d’histoire géographie au lycée Jean Vigo, Millau