A partir d’un évènement tragique – la mort d’un écolier mis hors de la classe le 24 décembre 1890 pour le punir, par une institutrice congréganiste, et mort de pneumonie quelques jours plus tard – Bernard Charon évoque le processus de laïcisation de l’enseignement dans le
département de la Sarthe à la fin du XIXe siècle.
C’est aussi un hommage indirect à la grand–mère paternelle de l’auteur, Marie Tollet, épouse de Joseph Charon, institutrice dans la Sarthe entre 1876 et 1904 qui vivait dans des conditions très difficiles, perdit deux enfants sur trois, l’une de la tuberculose, sans doute à cause du caractère insalubre de son logement et qui se heurtait à l’hostilité des autorités municipales, peu favorables à l’école laïque. L’ouvrage dresse le portrait d’un département, la Sarthe, dans lequel le poids social des notables et de l’Eglise sont forts et dans lequel la laïcisation progresse lentement.
Comme le souligne l’historien de l’éducation Claude Lelièvre la laïcisation n’est pas un état mais plutôt « un processus : un long fleuve (pas si tranquille que cela d’ailleurs …) ». C’est ce que montre l’ouvrage. La loi Falloux de 1850 disposait que l’enseignement primaire pouvait être assuré par des écoles publiques et des écoles privées. Dans les écoles publiques, l’enseignement pouvait être dispensé par un personnel laïc ou un personnel congréganiste. Depuis 1867 et une loi présentée par Victor Duruy, très favorable à l’enseignement des jeunes filles, les communes de plus de 500 habitants doivent construire une école pour les filles. En 1877, il existait environ 20 000 écoles communales de filles, dont plus de la moitié des enseignants étaient des institutrices congréganistes. Il faut ainsi distinguer les écoles publiques à personnel congréganiste et les écoles privées congréganistes. Enfin, comme le souligne l’historienne Jacqueline Lalouette, la loi Goblet du 30 octobre 1886 (« la troisième des grandes lois organiques consacrées à l’Ecole ») imposait la substitution d’un personnel laïque au personnel congréganiste en place dans les écoles communales. Le processus fut assez rapide pour les instituteurs, mais beaucoup plus lent dans les écoles de filles. Le niveau de formation des instituteurs était en voie d’amélioration, mais restait très faible pour les institutrices congréganistes les plus âgées.
Depuis 1816, comme le rappelle l’historien J–M. Gaillard, on ne pouvait être instituteur si l’on ne possédait pas un titre de capacité, le brevet élémentaire, mais les institutrices membres des congrégations religieuses vouées à l’enseignement pouvaient en être dispensées, si elles étaient en possession d’une « lettre d’obédience » délivrée par la supérieure générale de la congrégation ou l’évêque du diocèse. Les lettres d’obédience étaient souvent délivrées avec complaisance et le niveau des institutrices congréganistes était souvent faible, ce dont se plaignaient les parents.
C’est dans ce contexte que se déroule un évènement tragique à Fercé au sud–ouest du Mans. L’enseignement est dispensé par Sœur Adèle Poulain, (les élèves étaient sans doute trop peu nombreux pour qu’il y ait une école de garçons et une école des filles ; les garçons et les filles
étaient cependant souvent séparés au sein de la classe). Née en 1842, membre de la congrégation des sœurs de Notre–Dame de Briouze fondée en 1853 dans l’Orne, Adèle Poulain possède une lettre d’obédience, mais son niveau d’instruction paraît très faible et elle est très dure avec les enfants. Le 24 décembre 1890, elle exclut de la classe le petit Isidore Bourgneuf, qui n’a pas neuf ans, et qui a siffloté (« sublé «) en classe. Il reste sans doute une demi–heure la tête et les pieds nus dans un froid glacial. L’enfant tombe malade et meurt d’une pneumonie le 8 janvier 1891. Le14 janvier ses parents (son père est cultivateur) envoient une lettre au préfet pour relater les faits. La mort d’Isidore Bourgneuf provoque une enquête de l’Inspecteur primaire. Il constate que la Sœur Poulain a fait pression sur les élèves pour qu’ils nient l’exclusion d’Isidore Bourgneuf. Le maire et un certain nombre d’habitants soutiennent l’institutrice Seuls quelques parent soutiennent la famille Bourgneuf. L’Inspecteur primaire demande la révocation de la Sœur Poulain et la laïcisation de l’école. On ignore précisément ce qu’est devenue la sœur Poulain. Elle n’a pas été jugée, elle a été déplacée, il est possible, mais pas certain qu’elle ait continué à enseigner. Elle meurt en 1894.
Le processus de laïcisation fut lent dans le département de la Sarthe. En1896, une centaine d’écoles de filles étaient tenues par des congréganistes. Dans certains cas, les plaintes des parents qui déploraient le faible niveau des institutrices pouvaient conduire à la laïcisation.
En fin de compte, la laïcisation semble s’être accélérée dans les années 1895, non sans provoquer des protestations. A partir de la loi du 7 juillet 1904, sous le ministère Combes, les membres des congrégations religieuses ne peuvent plus enseigner, ce qui conduisit à la fois au départ d’environ 30 000 congréganistes, à une réorganisation de l’enseignement religieux et à un développement de l’enseignement public.