Organisé en dix chapitres, chacun débute par un récit comme celui de Giulio Gavotti qui bombarda la Libye en 1911. Dans le prologue, il est clairement dit qu’il ne s’agit pas d’un ouvrage exhaustif. Le sujet est aussi l’occasion pour l’auteur d’aborder des grands thèmes de l’histoire du XXe siècle comme la colonisation, les totalitarismes ou encore la globalisation. Le livre est agrémenté de nombreuses notes regroupées sur quarante pages à la fin. Ainsi, chacun pourra prolonger sa lecture si un point précis l’intéresse.
Aviation et histoire
L’auteur évoque la façon dont l’aviation fait tomber certaines divisions qui avaient existé dans les combats jusqu’à la première guerre mondiale. C’est donc une autre façon de faire la guerre. Thomas Hippler propose régulièrement des mises en perspective en indiquant par exemple que « l’aviation cristallise une série de dichotomies entre terre et ciel, homme et machine…. ». Il évoque des faits parfois moins connus, comme le bombardement de la Somalie en 1920 (page 75). On pourra relier ces éléments à des travaux sur la violence de guerre. Toutes les puissances coloniales recourent à ce qu’il nomme le « police bombing » ou bombardement policier dans les années 20 et 30. C’est dans la périphérie colonisée que l’aviation fait la démonstration de sa puissance. On voit là comment le thème de la colonisation s’entremêle avec celui traité par l’auteur. De la même façon, Thomas Hippler souligne que la Première Guerre mondiale « pulvérise l’ancienne séparation du monde, entre un centre où la violence était limitée par l’Etat et une périphérie où elle pouvait être totale ».
Giulio Douhet, le théoricien
L’auteur choisit de retracer l’itinéraire de ce personnage. Giulio Douhet est un général italien et c’est le plus important théoricien du bombardement stratégique. Lorsque l’on aborde en classe la question de la « guerre totale », cet ouvrage peut donc servir à en ajouter une dimension. Pour Douhet, l’aviation peut à elle seule gagner la guerre. Parmi les trois principes essentiels qu’il développe, il pense que la suprématie aérienne est un facteur primordial dans la guerre, qu’ensuite l’aviation est une arme qu’il est mieux d’employer de façon autonome, et qu’enfin c’est une arme essentiellement offensive. Un des intérêts du livre est de souligner, de tracer des liens entre les époques. Ainsi, le douhétisme a-t-il inspiré ce qui s’est passé durant la deuxième guerre mondiale.
Les ravages de la deuxième guerre mondiale
Thomas Hippler évoque les bombardements qui ont eu lieu durant ce conflit, et pas seulement Hiroshima et Nagasaki. Il donne des informations sur celui qui a frappé Hambourg où 35 000 personnes périrent dans les flammes. « Les stratégies mises en œuvre par la Grande-Bretagne et les Etats-Unis se rapprochent fortement des préceptes du théoricien italien ». Les bombardiers alliés larguèrent 1,3 million de tonnes de bombes sur l’Allemagne. Il s’agissait par exemple de viser certains secteurs clés mais aussi la population. Pour le Japon, 22 millions de personnes, soit 30 % de la population, se retrouve sans abri. Le nombre total de morts est supérieur à celui des soldats tués. Dans le premier cas, le bombardement dura cinq ans avec des intensités variables alors qu’au Japon cela dura six mois de façon intensive.
Au temps de la guerre froide et des drones
En six mois, les États-Unis larguèrent 7 millions de tonnes de bombes sur le Vietnam, soit plus de cinq fois ce que les Alliés avaient largué sur l’Allemagne durant la deuxième guerre mondiale. Thomas Hippler analyse ce conflit particulier en montrant qu’il est à la liaison de deux types de guerres : conflit asymétrique et conflit de guerre froide. Dans cette guerre, on évite l’idée d’occuper au sol et, au contraire, on mise tout sur le bombardement. Les théories actuelles renforcent encore le poids de l’aviation, car il s’agit de perdre le moins possible d’hommes et donc de s’impliquer de façon minimale au sol. La fin de la guerre froide n’a pas mis fin à la fin de l’utilisation de l’aérien. Aujourd’hui, cela se décline sous la forme de drones. Sait-on par exemple qu’il y a aujourd’hui une frappe tous les quatre jours en moyenne au Pakistan ?
Au total, en replaçant l’histoire des bombardements aériens dans un cadre long, et en croisant avec l’approche philosophique, l’ouvrage de Thomas Hippler ouvre des perspectives et donne à penser autrement cet aspect de la guerre qu’on avait souvent réduit à quelques faits et à quelques images emblématiques.
© Jean-Pierre Costille pour les Clionautes