A quoi pouvait ressembler une ville française à la veille de la Première Guerre mondiale ? Pour le savoir, on pourra se plonger dans le nouveau livre d’Antoine Prost qui revient ici à ses premiers travaux. Ce célèbre historien a publié de très nombreux ouvrages dont «  Douze leçons pour l’histoire » ou encore plus récemment «  Français de la Belle Epoque ». Le livre est agrémenté de plusieurs tableaux statistiques, graphiques ou cartes.

Antoine Prost l’explique dans l’avant-propos, il avait travaillé sur Orléans et avait publié plusieurs articles dans les années 1980 et 1990Les ouvriers orléanais dans leurs quartiers en 1911 in Maurice Garden, Yves Lequin (dir.), Habiter la ville, Presses universitaires de Lyon, 1984. Il précise qu’il ne vise pas dans ce livre une quelconque exhaustivité et qu’il n’a pas, par exemple, exploré les différents mouvements sociaux. Il n’est pas nécessaire de connaître la ville pour se plonger dans cette analyse.

Présentation d’Orléans

Orléans est une ville moyenne parmi tant d’autres. Dans ce premier chapitre, l’auteur retrace les grandes étapes de l’histoire de la ville, des Romains jusqu’à la fin du XIXe siècle. Aux XIe et XIIe siècles, Orléans est l’une des principales villes de résidence des rois. Antoine Prost donne donc des repères en lien avec les grandes périodes comme la Révolution française. La IIIe République fait de la ville un lieu de garnison. Vers 1911, la ville se caractérise par le rassemblement des lieux de pouvoir à proximité de la cathédrale. 

Portrait de groupe

Orléans dispose d’une pépite d’archive, la liste nominative du recensement de 1911. Son avantage est de lier l’ensemble des dimensions qui définissent les individus. La ville compte alors environ 63 000 habitants dont 55 % de femmes. Près de trois Orléanais sur dix ne sont pas inscrits sur les listes électorales. Pour affiner l’approche, l’auteur définit ensuite cinq secteurs dans la ville. Si les secteurs sont différents, il n’est pas approprié de parler de ségrégation. Les ouvriers sont très présents dans la ville alors que celle-ci n’est pas spécialement une ville ouvrière. 

Les familles bourgeoises

La bourgeoisie représente entre 6 et 7 % de la population de la ville. On remarque la présence de celle-ci dans tous les quartiers. Les véritables contrastes sont dans les styles de vie. Près d’une Orléanaise sur dix était femme de chambre, cuisinière ou bonne à tout faire. Le nombre de domestiques dépendait du niveau social, non du nombre des enfants. C’est au niveau culturel que les différences sont le plus marquées.

Les ouvriers dans leurs quartiers

La prépondérance s’explique par le faible développement du secteur tertiaire. Antoine Prost insiste sur les confusions qui peuvent naitre du mot « ouvrier ». L’époque est encore à l’atelier plus qu’à l’usine. L’auteur propose là encore une approche par secteur pour avoir la vision la plus fine possible. On en ressort avec l’image d’une « pluralité de groupes définis par des métiers et des quartiers. »

Mariage, jeunesse et société

Les actes de mariage se révèlent une source précieuse même si la taille de l’échantillon incite à une certaine vigilance. Au contraire d’autres villes, le prolétariat n’a pas encore remplacé le peuple des villes. La mobilité sociale était liée à la qualification. Antoine Prost en profite pour expliquer quelques éléments de méthode comme lorsqu’il calcule un indice de mobilité sociale. « La catégorie des employés était de celles où l’on passait, plus que de celles où l’on restait ». L’auteur précise ensuite l’âge au mariage selon les catégories sociales. Tout comme il incitait à se méfier du mot d’ouvrier, il invite à l’être tout autant avec celui de jeunesse. Il est a minima nécessaire de distinguer filles et garçons. Pour les premières on peut distinguer au moins trois variantes selon le niveau social. L’étude du jour de mariage est un indicateur qui permet de voir les différences sociales. « Jusque dans son calendrier, la cérémonie du mariage est socialement déterminée ». Antoine Prost exprime sa préférence pour l’idée de catégorie socio-professionnelle plutôt que de parler de classe sociale. 

Jeanne à la fête. Identité collective et mémoire

Dans ce dernier chapitre, Antoine Prost retrace les évolutions de la fête autour de Jeanne d’Arc. « Héritée d’un Moyen-Age lointain, elle associait les autorités et le peuple dans une relation complexe où les autorités confirmaient leur pouvoir en l’exposant à la liberté des regards populaires et à la contestation permise ». Suivre les différents tracés des défilés s’avère parlant. Malgré les aléas, la fête n’a pas été interrompue depuis 1803. Lors de la séparation des Eglises et de l’Etat, la fête apparaît menacée et il faut trouver des arrangements pour qu’elle perdure. Le cortège est composé de la société civile, du clergé, du corps de ville, des corps constitués. Comme le dit Antoine Prost « l’histoire de la fête orléanaise révèle plusieurs balancements qui lui donnent son sens : […] entre l’institutionnel et l’informel, la commémoration officielle et la fête populaire, entre l’ordre et la transgression ». 

En conclusion, l’auteur souligne une nouvelle fois la qualité des sources qui ont permis une telle étude. Se situant clairement du côté de la micro-histoire, Antoine Prost précise néanmoins qu’on pourrait encore affiner l’analyse en croisant des données sur le bâti et les données sur les occupants. 

Jean-Pierre Costille