Présenté sur la Cliothèque avec un certain retard, explicable par la grande bousculade des échéances majeures pour l’histoire et la géographie en octobre de cette année, (festival de Saint-Dié et rendez-vous de l’histoire de Blois), ce numéro de le revu conflits est essentiellement consacré au grand retour de l’Iran sur la scène internationale liée à l’accord qui a pu être passé entre l’État islamique et les pays qui s’opposaient à son accession au club nucléaire.

Abonnements en ligne

Le directeur de la publication, Pascal Gauchon parle dans son éditorial d’une « leçon de réalisme » qui serait plutôt de son point de vue, de la part de Barack Obama, un aveu d’impuissance. Les États-Unis semblent avoir pris conscience que leur puissance n’est pas illimitée, que leurs interventions militaires en Afghanistan comme en Irak ont davantage ouvert une boîte de pandore que contribuer à l’établissement souhaité par les néoconservateurs « d’un grand Proche-Orient démocratique », et que le retour un réalisme pragmatique s’impose.
La revue « Conflits » n’hésite pas à aller chercher des points de vue qui ne sont pas souvent entendus notamment sur certaines grandes émissions du petit écran où les mêmes experts sont présentés en boucle. Pascal Gauchon donne par exemple la parole à Mohamed Reza Hafeznia le représentant de l’école iranienne de géopolitique. Le professeur revient sur sa trajectoire personnelle, qui a commencé, certains de nos lecteurs y seront sensibles, par des études de géographie physique, avant de s’orienter vers la géopolitique après la révolution islamique de 1979. Ses travaux scientifiques portent sur le rôle stratégique du détroit d’Ormuz, et sur la gouvernance qui pourrait y être exercée dans un souci de paix et de coopération.
Hadrien Desuin, ancien élève de l’école spéciale militaire de Saint-Cyr dresse un portrait qui suscite un grand intérêt de l’actuel numéro un égyptien, le général Al Sissi. L’auteur de l’article présente cet officier supérieur comme un officier à haut potentiel qui a été dans un premier temps promu par les Frères musulmans après le départ de Moubarak. Dans le contexte trouble du pouvoir exercé par le président islamiste Morsi, le général Sissi manœuvre avec suffisamment d’habileté pour « sauver les meubles de l’institution militaire », avant de profiter du mouvement populaire que l’on pourrait qualifier de deuxième Révolution en juillet 2013 pour s’imposer à la tête du pouvoir.
D’après l’auteur le général Al Sissi cherche à s’imposer comme le successeur de Nasser. Il mène un activisme diplomatique important, cherche à se concilier les bonnes grâces de l’Arabie Saoudite comme bailleur de fonds, entend se poser comme médiateur dans le conflit entre le Hamas et l’État d’Israël, et se dote, à des conditions très avantageuses, d’un outil militaire moderne et performant. On peut rappeler à ce propos des achats de Rafales et l’option prise sur le bâtiment de commandement et de projection de type mistral, dans la vente à la Russie a été annulé.
Laurent Gayard qui s’apprête à publier « la nouvelle route de la soie », s’intéressent à un point chaud du monde, le Xinjiang, la province de l’Ouest de la Chine qui serait traversée par ce nouvel axe routier, sur lequel les Chinois et les Russes mettent beaucoup d’espoir. Pour la direction chinoise à l’égard du Xinjiang, la politique se résume en trois maîtres mots : désenclavement, développement et surtout sinisation. Il est clair que la confrontation avec la culture ouïgour, les musulmans turcophones qui peuplent initialement ce territoire, tourne clairement à l’avantage de Pékin qui n’hésite pas à mener une politique répressive permanente.
Jean-Baptiste Noé est un professeur d’histoire-géographie du lycée Hautefeuille qui présente l’intérêt de Pékin pour les canaux transocéaniques Avec les investissements mis en œuvre lors du démarrage symbolique du chantier par Pékin en Amérique centrale, la Chine intervient directement dans ce que l’on peut appeler le pré carré des États-Unis, peut-être une façon de répondre à la stratégie d’encerclement de la Chine par les États-Unis entreprises pour les dernières années par l’administration démocrate de Barack Obama.
Les États-Unis sont également largement présents dans ce numéro avec l’article de Jean-Marc Huissoud co-organisateur du festival de géopolitique de Grenoble qui s’intéresse aux découpages politiques des états américains. Celui-ci a été conçu à partir de tracés rectilignes dans de très nombreux cas, cherchant à rationaliser des territoires en négligeant à la fois l’histoire et la géographie. Le rationalisme et le scientisme qui sont le trait de l’époque ont pu faire fi de quelques évidences géographiques et historiques.
Frédéric Munier enseignant de géopolitique en classe préparatoire, au lycée Saint-Louis, livre un article sur la fabrique du soft power américain, Hollywood. Cet article sera particulièrement précieux pour le programme des classes terminales des lycées, pour traiter la question : « les États-Unis et le monde depuis 1918 ».
Hollywood représente bien un soft power mais qui s’appuie sur une industrie épaulée par le dollar. Les États-Unis produisent une sorte de melting pot cinématographique ayant prétention à l’universalité mais qui n’est pas simplement naïf, avec les gentils héros qui finissent toujours par terrasser des méchants. En réalité les États-Unis parviennent à réunir amis et critiques en leur offrant les images qu’ils aiment. L’auteur conclut en évoquant Sun Tzu son art discret de la guerre.

Le dossier central de ce numéro est consacré à l’Iran Pascal Gauchon rappelle l’histoire de ce pays qui a alterné des périodes d’expansion jusqu’au XIXe siècle avant de se heurter à la pression russe à partir de 1804 et ensuite britanniques qui ont pu le conduire au repli. L’épisode nationaliste incarné par le Docteur Mossadegh en 1951, le retour du Shah d’Iran dans les fourgons de la CIA constitue d’ailleurs une tâche indélébile dans les relations de l’Iran avec les États-Unis. On pourrait tout de même s’interroger sur la part importante de l’Islam chiite comme ciment de l’unité nationale iranienne. Certes le noyau perse ne représente que 50 % de la population iranienne avec 25 % d’azéris et 7 % de kurde. Le chiisme est un élément de cohésion puisque 85 % des iraniens s’en réclament.
Un très riche dossier de cartes montre les expansions de l’empire perse au cinquième siècle avant notre ère jusqu’à l’apogée de l’empire sassanide qui exerçait son contrôle sur le Caucase, la totalité du golfe persique jusqu’aux contreforts de l’Afghanistan actuel. Cela se passait juste avant l’expansion de l’islam.
Au tout début du XVIIIe siècle l’empire safavide doit reculer face à la triple menace des ottomans qui le chassent du territoire des deux fleuves, l’actuel Irak, des Russes qui le refoulent de l’Azerbaïdjan, est la révolte des Ouzbeks qui le repoussent vers le sud.
L’Iran actuel est le résultat de reculs successifs liés à l’expansion coloniale pendant le XIXe siècle, ce qui fonde encore une forte revendication nationaliste.
Olivier Hanne que nous avons eu le plaisir de rencontrer lors de l’édition 2014 du festival de géopolitique de Grenoble montre comment le dispositif de cordon sanitaire mis en place par les États-Unis a finalement volé en éclat, en partie grâce au jeu ambigu des monarchies sunnites, ce qui lui permet de revenir sur la scène internationale en étant un acteur incontournable du règlement de la situation en Syrie si tant est qu’elle soit possible. Si l’on s’inquiète actuellement avec juste raison du renforcement du dispositif militaire russe dans la guerre civile en Syrie, l’Iran avec beaucoup plus de discrétion, mais beaucoup plus d’hommes présents sur le terrain, instrumentalisant le Hezbollah libanais, est forcément devenu un acteur majeur dans la région.

Une présentation exhaustive de ce numéro, peut-être l’un des plus riches qui aient été publiés sur le sujet, est donc difficile. On ne peut qu’en conseiller l’acquisition et la lecture attentive, d’autant que le format des articles, volontairement courts et synthétiques, est tout à fait adapté aux besoins de toute personne qui souhaite disposer d’une publication de référence abordant tous les sujets concernant ce pays. Puissance régionale, capable de se doter d’outils de projection de puissance dans son environnement proche, puissance militaire incontestable, l’Iran est un partenaire obligé de toute évolution d’un grand Moyen-Orient vers une stabilisation politique.